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publié par arnaud le 07/04/06
Eluvium
- Talk Amongst The Trees
Talk Amongst The Trees

Nappes cotonneuses et brouillard moelleux

Il y a deux ans, paraissait Lambent Materials, un album passé presque inaperçu, révelant pourtant une personnalité intrigante, celle de Matthew Cooper, alias Eluvium, dont les nappes cotonneuses alliées aux notes délicates de piano, laissaient sans voix en dépit de la briéveté de l’œuvre. Avec An Accidental Memory In The Case Of Death l’année suivante, l’Américain laissait quelque peu perplexe, en marchant sur les plates bandes d’un Sylvain Chauveau, il délivrait 7 pièces uniquement interprétées au piano. D’un charme certain, mais encore de courte durée, le disque faillissait à convaincre pleinement, comme si à nu, le jeune homme perdait un peu de son pouvoir de fascination. L’arrivée cette année de Talk Amongst The Trees allait rassurer puisqu’il sonnait le retour aux riches couches sonores qui avait fait le succès de morceaux comme Zerthis Was A Shivering Human Image en 2003.

Inertie simulée et échos destructurés

Dès New Animals From The Air, longue composition bourdonnante aux textures de claviers épaisses, l’auditeur se voit envelopper d’un brouillard sonore moelleux, qui, comme sur Lambent Materials, simule l’inertie, amenant ses variations de manière discrète avant de mourir dans un long souffle. Les familiers de Stars Of The Lid ou de William Basinski seront en terrain connus, même s’il faut reconnaître qu’Eluvium possède déjà un son particulièrement identifiable, plus distordu que le duo texan, et plus bavard que le musicien new yorkais. Les morceaux se succèdent dans une gracieuse harmonie, semblable à un ballet au ralenti, sensation largement appuyée par l’absence de tout élément rythmique, même le piano a disparu.

Talk Amongst The Trees est une troublante nappe synthétique qui semble se fixer sur une mélodie pour la modifier doucement avant de passer à une autre sculpture sonore sans jamais vraiment sombrer dans le silence. Quand Cooper décrivait sa musique comme ce qui resterait dans une salle de concert vide après un concert de Sonic Youth, on peut facilement comprendre à quoi il faisait référence, car c’est bien de cela dont il s’agit, une impression cotonneuse, comme si un orchestre furieux, toute saturation dehors, n’avait laissé que des traces de sons, des échos destructurés, abimés par le temps (on rejoint d’ailleurs le principe des Disintegrated Loops de Basinski, bandes magnétiques dont on avait recopié le contenu jusqu’à ce qu’elles perdent elles-mêmes toute capacité à le rejouer).

Altération du son et résonnance infinie

Cette illustration de l’altération du son, exposition concrète du temps qui passe, est au centre de cet album. Alors que paradoxalement ici le temps semble être en suspension, on se rend bien vite compte en prêtant mieux attention, que chaque pièce se trouve peu à peu modifiée en son sein. Ce processus se fait de manière détournée, et l’auditeur n’en voit que les conséquences sans jamais assister à sa mise en œuvre. Un peu comme s’il ne touchait ici qu’aux minces particules de sables provenant de l’érosion d’une roche, sans jamais sentir le vent qui l’a provoquée. Eluvium porte décidément bien son nom, imposant sa musique comme unique témoin rescapé d’un tourbillon érosif qu’on ne pourrait pas décrire.

Talk Amongst The Trees est un album envoutant, une résonnance infinie qui semble se nourrir d’elle même, tel un organisme vivant. Les ambiances s’y succèdent, laissant parfois filtrer une douce lumière (les notes dansantes de Everything To Come) ou préférant immerger l’auditeur dans une eau plus sombre (le final du disque sur One, vibration profonde, comme une respiration, à peine dérangée par un clavier plus léger qui cherche à se glisser au premier plan).

Cœur palpitant pour machines glaciales

Mais c’est avant tout l’impression de flottement qui prévaut, comme le décrit parfaitement Taken et ses 16 minutes aériennes, introduisant une guitare détournée, qui laisse s’installer une transe épique en filigrane pour une sorte d’écho électronique de la musique sacrée orientale. Matthew Cooper signe avec Talk Amongst The Trees son œuvre la plus riche, une musique qui parle à l’âme, en dépit d’un repli vers les claviers de synthèse qui aurait pu être synonyme de froideur robotique. Il n’en est rien, Eluvium crée un brouillard organique, parcouru de courants variés, soufflant le chaud comme le froid, et qui ne laissera personne indifférent : à mille lieues des machines glaciales, il y a un magnifique cœur palpitant logé au milieu de ces arbres là.

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publié par le 07/04/06