feindre
Il faut dire que ça a commencé insidieusement lorsqu’en juillet on s’est mis à arborer un t-shirt à (petite) tête de mort. L’excuse étant que c’était un cadeau, on était bien obligé. En plus la tête de mort étant dans le dos, on pouvait tout à fait feindre l’ignorance (à la différence d’un entourage plus frisquet) et puis c’était un t-shirt de manga, pas de musique. Mais on sait ce que c’est, ça commence comme ça, discrètement, et on se retrouve en décembre dans un magasin au rayon métal. C’est aussi pour un cadeau, d’accord, mais c’est comme pour les sex-toys, il faut oser passer en caisse après. Oui, bien sur, à l’ère internet, il existe des moyens simples pour éviter le regard inquisiteur du vendeur mais avouez tout de même que ça enlève une bonne partie du frisson.
noz
Et que fait-on quand on se retrouve à acheter un disque de métal pour son beau-frère sur les conseils d’un collègue ? On teste la marchandise bien sur ! Il a beau être à 20 000 km, on ne voudrait pas qu’il invoque les dieux vikings contre soi pour les trois prochaines générations. Et là, vous allez rire, on découvre que le fabriquant s’est trompé ! Sous une jaquette aux connotations tout ce qu’il y a de plus métal (sombre, des flammes, l’écriture gothique, la totale) il a mis un CD de fest-noz bretonne le blagueur. On imagine d’ici la tête des ‘talleux hirsutes à l’écoute de la vielle et d’un chant en gaëlique plutôt sobre ... il fait quoi l’amateur de métal dans ces cas là ? Il lève le petit doigt et se joint à la danse ? On ne sera pas sous le sapin australien cette année mais on donnerait beaucoup pour voir ça.
commençons
En même temps on serait surement surpris, et vous pouvez blâmer les a priori hors d’âge d’un folkeux de base à l’égard d’une frange entière de la population musicale, ayant découvert il n’y a pas si longtemps que le métalleux est (en général) d’une douceur inversement proportionnelle à la crainte qu’il inspire, on se dit que c’est peut-être plus une question d’état d’esprit que de cris gutturaux, le métal finalement. Du coup ça donne envie d’en savoir plus, de consulter les études sur le sujet, car on se demande quand même (puisqu’il semble que ce ne soit pas une erreur de casting) comment ce genre de musique peut se retrouver au rayon métal. Le babo-folkeux est-il plus réac et catégorisateur que le tatoué-métalleux ? Le peace-and-love gratteux-coin-du-feu est-il moins ouvert d’esprit que le peau-percé cheveu-bouclé amateur de gros son ? Où sont passés les hardos-still-loving-you qu’on fuyait à l’adolescence ? Toute une mythologie qui s’effondre ainsi sous nos yeux, cela mériterait une étude sociologique, une enquête de fond, des mois d’investigation. Or, non seulement nos faibles moyens cargotiques ne nous permettent pas ce genre de fantaisie, mais cela nécessiterait surement d’aller à des concerts (voire des festivals) de métal, d’écouter des heures durant des voix qui vous font mal à la gorge rien que de les entendre, et ça, psychologiquement ça parait difficilement réalisable. On n’est pas encore prêt que voulez-vous. Mais justement, pour avancer sur le long chemin de l’acceptation, commençons soft, commençons abordable, commençons Eluveitie.
séquence
Ceci dit il parait qu’on a justement pris l’album le plus ... ou le moins ... disons l’album pour toutes les oreilles. Et on s’en réjouit car c’est d’un exotisme breton des plus agréables, ça sent bon les sous-bois humides, le lichen et les réunions de druides. Il faut juste s’habituer à la voix un peu crispante de la chanteuse et le tour est joué. Une fois cette adaptation réalisée, entre deux rondes enlevées, on découvre des morceaux plus mystiques qui viennent poser une ambiance sombre et mystérieuse, on ne serait pas surpris de croiser un korrigan ou deux, on se prend même à l’espérer. Côté respectabilité métal, on a le minimum syndical de deux ou trois cris gutturaux et un ou deux morceaux avec grosse-voix-des-cavernes et guitare électrique discrète, pas de quoi faire fuir les amateurs de Cat Power loin de là. Côté plus intimiste par contre on s’attache particulièrement à la séquence "Dessumiis luge" / "Gobanno". "Dessumiis luge", un excellent morceau ésotérique à plusieurs voix, susurrées à la excalibur au départ, solennelles ensuite, hypnotiques enfin ; "Gobanno", instrumentale en demi-teinte qui complète à merveille le morceau précédent. On se prend à imaginer ce que donnerait un album complet dans cette veine, penchant plutôt du côté de la transe et de la mélancolie. Serait-ce suffisant pour nous faire passer du côté obscur de la force ? Ce n’est pas impossible ...
complications
En attendant, on ne pouvait rêver mieux comme initiation au métal, on attend maintenant l’équivalent pour le zouk, mais c’est une autre histoire. Quant à savoir si cet album a sa place dans la rubrique métal, une rapide enquête auprès du collègue en question semble confirmer que oui : vu comme ils bougent leurs cheveux sur scène, c’est homologué sans problème. C’est vrai finalement, pourquoi chercher des complications inutiles. Et d’apprendre au passage que cette branche du métal porte même un nom, le folk-métal. Comme quoi, il n’y a pas à dire, on était faits pour se rencontrer.