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publié par Mélanie Fazi le 03/05/07
Eleni Mandell - Un rendez-vous manqué? -
Un rendez-vous manqué ?

Un rendez-vous manqué : on pourrait décrire ainsi le rapport que semble entretenir le public français à la musique d’Eleni Mandell. Le décalage est frappant entre l’enthousiasme que suscitent ses disques et concerts chez ceux qui la connaissent, et son absence de notoriété.

au nom de toutes les filles dont on a brisé le cœur

Pourtant, sa participation en 2003 au festival « Les femmes s’en mêlent », où elle partageait l’affiche avec Lisa Germano et Maria McKee, avait fait très forte impression : dès son entrée sur scène, elle y avait envoûté le public avec une aisance rare. Voir la description à la fois drôle et touchante qu’en fait Luz dans sa BD Faire danser les filles où il la qualifie de « plus authentique révélation du festival » et s’extasie devant ses « chansons superbes qui font glouglouter les yeux, comme si elle chantait au nom de toutes les filles dont on a brisé le cœur ». La plupart des gens qui l’ont découverte lors de ce concert en gardent un souvenir très fort. Comment expliquer alors que le bouche-à-oreille n’ait pas réellement pris depuis ? Il y a là quelque chose qui relève du malentendu. Le fait que tous ses disques ne soient pas disponibles en France a sans doute joué. Si peu de gens la connaissent dans mon entourage, tous ceux qui l’ont écoutée ont craqué aussitôt sur ses chansons. Le problème n’est donc pas que les gens n’apprécient pas sa musique, simplement qu’elle ne parvienne pas jusqu’à eux.

éclectisme

C’est d’autant plus dommage qu’il s’agit d’une artiste dont la musique suscite généralement une adhésion immédiate. Comme l’a prouvé l’expérience des « Femmes s’en mêlent », il n’est pas nécessaire de connaître son répertoire pour apprécier l’intensité, l’énergie et l’émotion que dégagent ses chansons sur scène. C’est peut-être même une première approche idéale. Avec simplicité mais assurance, elle captive dès les premières secondes, pose immédiatement une ambiance, et certaines des chansons qu’on découvre alors sonnent aussitôt comme de vieilles amies. Elles tissent avec le nouvel auditeur un lien qu’il devine déjà tenace et durable. Ne reste plus alors, à l’instar de Luz dans sa BD, qu’à se précipiter acheter ses disques dès la fin du concert pour prolonger la magie du moment.

Wishbone et Thrill

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Ce qui frappe à l’écoute des deux premiers albums, sortis respectivement en 1999 et 2000, c’est leur éclectisme. Eleni Mandell n’est pas de ces artistes qui cherchent à explorer de nouveaux territoires musicaux. Plutôt à creuser des sillons classiques en y imprimant sa marque. Sur ces deux albums, toutes sortes d’influences se télescopent. “Snake Song”, à la mélodie entêtante et aux sonorités orientales, côtoie un “Tristeza” sublime de mélancolie qu’on rangerait sans peine aux côtés des plus belles ballades country de Tarnation. “Pauline”, plus rock, a tout du classique immédiat avec sa ligne de basse obsédante, son énergie contagieuse et ses paroles où chaque détail sonne juste (« Smells like a magazine/Tastes like a watermelon/Looks like you’ve got a problem »). On croise ici pêle-mêle du rock, de la pop, du jazz, de la country, parfois sous leur forme la plus basique, parfois revisités de façon plus personnelle. Le point commun de toutes ces chansons, et ce qui frappe en deuxième lieu, c’est la beauté de la voix qui les habite. Aussi versatile que les influences mentionnées ci-dessus.

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Juste après ces concerts de 2003, on la comparait beaucoup à celle de PJ Harvey. Référence qui peut sembler pertinente lors des premières écoutes, mais nettement moins lorsqu’on se familiarise ensuite avec cette voix. Elles possèdent sans doute un timbre vaguement similaire, une même sincérité, un même souci de ne pas se répéter. Peut-être, à la rigueur, entend-on des échos du chant de Polly Harvey dans la façon dont Eleni Mandell, dans “Pauline”, monte soudain dans les aigus lors du refrain. Mais la comparaison s’arrête là. Ce qui est certain, c’est que le timbre d’Eleni Mandell envoûte autant qu’il impressionne. Sa voix s’adapte avec une incroyable aisance aux registres les plus divers, épouse à la perfection toutes les nuances de sa musique. Rugueuse ou soyeuse, hargneuse ou caressante, elle pare ses chansons d’accents aussi sincères que poignants. Une grande partie du charme de ses disques réside dans cette voix. Une de celles qui imposent immédiatement une personnalité. En concert, notamment lors des chansons calmes qui vous prennent aux tripes, c’est encore plus flagrant.

Snakebite

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Le troisième album se situe un peu à part. Il prolonge l’éclectisme des deux premiers en le déplaçant sur un terrain de jeu différent. Plus théâtral et, d’une certaine façon, plus européen. J’ignore pourquoi cet album m’évoque l’univers de Kurt Weill (est-ce simplement le titre du génial “Pirate song” qui me rappelle le “Pirate Jenny” de L’Opéra de quat’ sous ?). Cet album est un peu plus noir, plus étrange que les précédents. Une tension diffuse semble rôder sous la surface. Des mélodies tranquilles en apparence, comme celle de l’entêtant “Alien eye”, se concluent parfois par de bizarres pirouettes vocales. Le disque est traversé de quelques bouffées d’air pur, entre “Dreamboat” où flotte une émotion sublime et “I believe in spring”, tout en douceur, qu’on croirait sorti d’une comédie musicale. De tous les albums d’Eleni Mandell, c’est sans doute l’un des plus fascinants.

Country for true lovers

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Ce quatrième opus sorti en 2003 tourne une page. C’est le premier disque sur lequel, pour une fois, elle creuse une piste unique au lieu de multiplier les influences. Le titre annonce la couleur : il s’agira exclusivement de country, tendance « chansons d’amour tristes ». Sans doute cet album n’est-il pas si surprenant dans sa discographie : des titres comme “Tristeza” ou “Closer to him” l’annonçaient déjà. Sur ce disque, des reprises côtoient ses compositions personnelles. Elle fait merveille dans les deux cas. Sur le traditionnel “Kingsport town” comme sur sa propre chanson “Home”, elle atteint des accents poignants, voire déchirants. C’est sans doute dans ce registre que sa voix trouve le mieux sa mesure. L’aspect plus dépouillé de la musique comme des paroles lui offre un espace où prendre son envol. Dans “Home” notamment, une phrase aussi simple que « She’s gone, she’s gone and she didn’t want to go », presque un cliché, véhicule une tristesse qui prend à la gorge.

Afternoon

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Après la parenthèse Maybe, yes (autre exercice de style où elle alterne reprises et chansons personnelles, cette fois sur le thème du jazz), sort en 2004 l’album Afternoon, curieusement distribué en France avant sa sortie américaine. Il joue aussi bien la carte des ballades mélancoliques, dans la lignée de Country for true lovers, que celle d’une pop ensoleillée plus surprenante. “Fall away”, notamment, entêtante à souhait, a tout de la chanson parfaite pour une après-midi d’été (rien d’étonnant sans doute à ce que la pochette montre une Eleni souriante barbotant dans une piscine aux eaux d’un bleu vif). La tonalité générale est plus légère que sur l’album précédent. Mais l’intensité reste la même.

Miracle of five

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Sorti en 2007, ce dernier album en date se situe à l’exact opposé de Snakebite dans sa discographie : c’est son disque le plus lumineux. Les chansons se font douces, apaisantes, merveilleusement soutenues par des arrangements subtils. On pourrait, après une écoute distraite, les croire inoffensives et en déduire que sa musique a perdu de sa force. Mais elles s’incrustent, ces chansons, petit à petit, comme les comptines auxquelles elles font parfois penser (le très joli “Salt truck” notamment). Là où Eleni, autrefois, chantait des amours déçues et des histoires sombres, elle évoque à présent une adolescente au temps des premiers émois. Il y a dans cette candeur apparente quelque chose d’extrêmement touchant. C’est un disque attachant, euphorisant, dans lequel on se sent vite chez soi. Et qui conforte dans l’envie de faire encore un bon bout de chemin en compagnie de cette voix.

Un commentaire lu sur le Net disait en substance : voilà une artiste qu’on voudrait voir connaître un grand succès, mais qu’on a malgré tout envie de garder jalousement pour soi. Il y a, encore une fois, quelque chose d’incompréhensible dans l’accueil encore confidentiel que lui réserve la France. Mais c’est une de ces artistes avec lesquelles se produit une véritable rencontre, la découverte d’un univers dans lequel on s’immerge aussitôt. Le plus triste, finalement, c’est peut-être de songer à tous ceux qui ne la croiseront jamais sur leur route. Ceux-là ne sauront jamais ce qu’ils perdent. Espérons, pour elle comme pour eux-mêmes, qu’ils seront le moins nombreux possibles.

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publié par le 03/05/07