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publié par Mélanie Fazi le 31/03/09
Eleni Mandell
- Artificial fire
Artificial fire

Murmure

Si l’on a tardé à chroniquer ce nouvel album d’Eleni Mandell, c’est que l’on gardait en tête l’expérience du précédent, Miracle of five, dont les abords de « petit disque jazzy sympa mais gentillet » cachaient une merveille absolue, impressionnante démonstration d’assurance tranquille, qu’il fallait seulement prendre le temps d’apprivoiser. Si ses premiers albums (notamment les fabuleux Thrill et Snakebite) étaient de ceux qu’on reçoit comme une claque en pleine figure, les plus récents prennent leur temps pour s’imposer. Ils ne sont pas moins intenses : ils le sont différemment. Et rappellent qu’il y a parfois davantage de puissance dans un murmure que dans un cri.

Autoportrait

On manque peut-être encore de recul pour juger Artificial fire dans sa globalité plutôt qu’une chanson à la fois (il avait fallu six bons mois avant de classer Miracle of five parmi les grands albums de 2007). Sans compter qu’il faut, pour qui a vu récemment Eleni Mandell sur scène ou écouté son live Voxhall & Wuk, un temps d’adaptation supplémentaire : on n’aborde pas cet album avec une oreille vierge. On retrouve des morceaux déjà familiers comme “Right side” à la mélodie irrésistible, ou le sublime “Personal” qu’elle avait interprété en session Cargo : fascinant autoportrait qui commence par une description physique (avec notamment cette première phrase parfaite : « My eyes are the color of martini olives ») puis bascule vers tout autre chose en nous laissant combler les blancs. On connaissait cette chanson sous sa forme la plus dépouillée, guitare et voix ; à la première écoute de la version studio, on s’étonne de ces arrangements qu’on vit d’abord comme une intrusion, puis on s’y habitue peu à peu. Et on se réjouit que cette chanson ait enfin sa place sur un album. Ce n’était tout simplement pas juste qu’elle ne soit réservée qu’à une poignée de fans collectionneurs.

Jeu de piste

D’autres morceaux qu’on n’avait pourtant pas spécialement mémorisés se rappellent à notre souvenir au détour d’une phrase ou d’un refrain. On retrouve également deux chansons qui nous avaient marqués sur scène lors d’un concert à la Maroquinerie début 2008, en première partie de Hey Hey My My, où Eleni avait envoûté un public qu’elle n’avait qu’une petite demi-heure pour convaincre. On se rappelait une chanson à la mélodie entêtante dont le texte intrigant parlait d’une carte, d’un jeu de piste et de Montréal. Elle s’appelle “Artificial fire”, ouvre l’album et rend très vite méchamment accro. Autres retrouvailles, un peu plus loin : “Tiny waist” qu’on avait découvert ce soir-là dès l’ouverture du set et dont le refrain tout en envolées nous avait emportés très haut. Sidérés, comme chaque fois, par l’évidence de ce talent mélodique, la fluidité de cette voix, en même temps que par ce petit miracle qui se produit presque chaque fois qu’Eleni monte sur scène : il se passe quelque chose de sublime qui arrête le temps, mais qui échappe à toute description. On sait seulement que chacune de ces chansons est une perle et nous devient familière dès la toute première rencontre.

Reptilienne

D’autres morceaux, qu’on découvre pour la première fois, surprennent davantage. “Two faces” à la lenteur sinueuse, reptilienne, qui se déploie tranquillement. A peine un cliquetis de batterie et une ligne de basse pour soutenir la voix, mais l’atmosphère est hypnotique et dense. “God is love” qui laisse un peu sceptique au départ, jusqu’à ce qu’on prenne du recul : on cesse de focaliser uniquement sur la mélodie et on se laisse porter par les guitares psychédéliques. De tout l’album, c’est le morceau qui cache le mieux son jeu, et on se surprend très vite à l’écouter en boucle et à le chanter en chœur. Dans son ensemble, l’album retrouve l’éclectisme un peu « bric-à-brac » des tout premiers, qui contraste avec la cohérence magnifique de Miracle of five. Il donne l’impression, parfois, de partir un peu dans tous les sens, d’autant qu’il est assez long (56 minutes pour quinze morceaux). On sent clairement le plaisir que prend Eleni Mandell à varier les ambiances, cédant chaque fois à une envie différente, sur l’impulsion du moment, sans s’obliger à trop réfléchir sur le long terme. Certaines pièces du puzzle sont poétiques et nostalgiques (“Personal”, “It wasn’t the time (it was the color)”), d’autres sont des fulgurances rock à la fois brutes et ludiques (“Tiny foot”, “Cracked”). En guise de fil conducteur, on retrouve sa capacité à faire naître toute une palette d’émotions en caressant les mots de sa voix chaude. On s’émerveille ainsi d’un instant de grâce tout simple dans “It wasn’t the time (it was the color)”, la nostalgie qui’elle imprime à ces quelques mots : « I miss the sound, I’ll miss it forever », à l’image de cette chanson qui égrène des souvenirs d’enfance et d’adolescence, dont celui du premier baiser, à travers des impressions sensorielles. L’un des plus jolis textes avec celui de “Personal”.

Pièges

Si l’on peut émettre une réserve concernant cet album, c’est l’impression que certaines chansons perdent l’immédiateté qu’elles possédaient sur scène en version voix/guitare. Mais c’est toujours le risque quand on a trop fréquenté certains morceaux en live avant de les entendre figés sur album. L’auditeur qui découvre Eleni Mandell par ces morceaux cèdera à leur charme sans se poser la question. On ne cesse en tout cas de revenir à cette phrase qui nous tourne dans la tête à force d’écoutes répétées de la chanson titre, et qu’elle lâche avec un calme glaçant : « I’m a killer at heart and I wanted to feel/So I laid out my trap with my artificial fire ». Et l’on songe que la formule décrit très justement la façon dont Eleni tisse ses chansons comme autant de pièges, inoffensifs en apparence, dont on ne sort jamais indemne.

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publié par le 31/03/09