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publié par alex le 01/12/98
Eels - Rien n’est jamais acquis

au beau milieu de l’automne 1996, alors que les membres de u2, enfermés dans leur studio à dublin, se démènent pour trouver le son "parfait" pour leur prochain album, un nouveau groupe fait sensation sur la planète pop. ils répondent au nom mystérieux de eels (les anguilles) et leur beautiful freak ne tarde pas à devenir le chouchou d’une partie de la presse. le très branché inrockuptibles, par exemple, les met en couverture dès octobre et titre "déjà le groupe de l’année". l’album est un mélange de chansons calmes, avec mellotron, guitare acoustique ou même banjo, et de chansons rageuses et électriques. dans tous les cas les paroles sont tristes, dues, mais jamais démissionnaires. les mélodies sont impeccables, le son est truffé de bidouillages en tous genres et les arrangements sont incroyablement novateurs et sophistiqués. l’auteur-compositeur, (e), débarqué de nulle part (en fait de los angeles, ce n’est pas exactement pareil), semble avoir tout compris à la musique, et trouvé une formule magique. "one day the world will be ready for you and wonder how they didn’t see", peut on lire en première page du livret de l’album. plus d’une personne à dû effectivement se poser la question. comment tant de maisons de disques ont pu ignorer (e), qui s’est fait virer de polydor après deux albums solo pour manque de résultat ? prêt à tout abandonner, (e) est repêché par le tout nouveau label dreamworks, dernière nouveauté de l’empire spielberg (associé à un ancien de disney et surtout à mister geffen en personne), et décide de créer un groupe, après l’échec de son aventure en solitaire. tout s’enchaîne alors très vite. eels sort donc son premier album, beautiful freak, à l’automne 96, la fnac distribue gratuitement des k7 promo avec des extraits de l’album, les inrocks les mettent en couverture et surtout les font venir à leur festival en novembre, et le 5 avril suivant, après deux passages à nulle part ailleurs, eels remplit l’olympia pour un concert exceptionnel. mais pour (e) tout s’effondre déjà. après avoir perdu son père à 19 ans, sa sœur se suicide quelques temps après la sortie de beautiful freak, puis il apprend que sa mère, sa dernière famille, est atteinte d’un cancer en phase terminale (ndlr : elle est morte en novembre). le deuxième album du groupe, electro-shock blues (sorti en france le 16 septembre) est conçu par e comme une thérapie. après être revenu sur les drames qui ont rythmé sa vie ces derniers mois il termine par un "ps : you rock my world" où il déclare, la voix pleine d’espoir, mais qu’à moitié rassuré, "maybe it’s time to live". je suis allé interviewer (e) à alençon où le groupe s’apprêtait à jouer son deuxième concert de l’année dans une très jolie petite salle, la luciole. (e) a accepté pour cargo ! et le site français de eels, last stop : this site de nous donner la seule interview de toute la tournée française.

votre tour manager vient de me dire que la tournée a commencé hier. bonne chance. espérons que ce sera aussi bien que l’année dernière.

e : ce sera différent. très différent. il y a une pierre tombale au dos du livret du c.d. de notre nouvel album qui dit : "everything is changing". tout change en permanence, chaque seconde. nous aussi.

est-ce que vous êtes tous contents de vous retrouver sur la route ? est-ce que cela représente pour vous la meilleure partie de votre travail ou bien est ce que ce n’est pas ce que vous préférez en tant que musicien ?

e : je ne préfère rien. j’aime les concerts, faire des concerts et rencontrer des gens, ce qui est très amusant, mais je n’ai pas de préférence. je me dis toujours qu’un jour je ne ferai plus tout cela, alors j’en profite.

revenons à votre premier album solo, a man called e. dans "nowheresville" vous dites " i wanna see paris, insane on the seine ". c’est les premiers mots de la chanson. aujourd’hui vous avez la possibilité d’aller à paris 2 ou 3 fois par an. est-ce que cela ressemble à ce que vous rêviez ?

e : malheureusement je suis toujours si fatigué et je n’ai jamais assez de temps pour apprécier les villes que nous traversons. comme aujourd’hui, c’est une si jolie petite ville tellement charmante. j’apprécie beaucoup la qualité de l’air. je souhaiterais me sentir mieux, mais je suis toujours si fatigué d’essayer chaque nuit de dormir dans le bus. je ne peux jamais vraiment profiter de tout cela.

dans la chanson "e’s tune" vous dites : " if i had a millions bucks it wouldn’t matter, because my soul is always climbing up a ladder ". c’est aujourd’hui plus vrai que jamais, non ?

e : je suis encore bien loin de posséder un million de dollars (rires).

vraiment ?

e : oui, je m’en rapproche un peu

parthenon huxley semble être une personne importante pour vous, depuis le début de votre carrière solo. qui est il exactement ?

e : c’est un de mes amis. j’habitais juste à coté de chez lui jusqu’à il y a deux mois. il a co-produit mon premier album. nous n’avons pas vraiment travaillé ensemble depuis sauf sur le dernier album. il joue de la guitare sur "going to your funeral part 1".

il y a une chanson de l’album beautiful freak que nous n’avons jamais entendu en concert "manchild", qui est néanmoins une des plus belles chansons que vous ayez écrites.

e : en fait on l’a bien joué plusieurs fois, même en france, à un festival, je ne sais plus où exactement. nous avons estimé qu’elle ne fonctionnait pas vraiment en concert. nous n’arrivions pas à trouver un moyen de finir la chanson (rires). on n’arrivait jamais à la terminer, on continuait, on continuait et à un moment on " tombait à plat", ce qui n’est pas vraiment ce que nous sommes censés faire. on a donc abandonné cette chanson.

est ce que vous vous souvenez du moment exact où vous avez réalisé que eels allait marcher, que vous n’auriez plus jamais à faire la " nashville handshake " (poignée demain de nashville : technique qui consiste à repérer quelqu’un qui ressemble à un producteur, lui serrer la main et en profiter pour lui mettre une k7 de démos dans l’autre) ?

e (rires) : pour moi rien n’est jamais acquis, je ne me dis jamais ça y est, ça va marcher. "succes here today gone/later today".

vous avez déclaré avoir écrit plus de 70 chansons en prévision de l’album beautiful freak. butch le batteur m’a dit que les 55 restantes étaient très bonnes. c’est vrai ? comptez vous les sortir un jour ?

e : ho non, elles ne sont pas très bonnes ! je ne pense pas les sortir un jour ! parlons de votre nouvel album, electro-shock blues. il y a deux parties distinctes dans l’album. êtes vous d’accord ? la première partie est très noire, très dure, et la seconde est plus détendue, plus sereine. les singles seront probablement tirés de cette seconde partie.

e : peut-être. j’aimerais penser que "cancer for the cure" pourrait être un single, mais je ne sais pas si les gens voudront reprendre le mot "cancer " 63 fois, n’est ce pas… (sourire). en général, je pense que la première partie est implacablement sombre, alors que la deuxième partie tu commences à arriver, en fait tu n’arrives pas à la partie plus sereine avant la fin de l’album.

un journaliste a demandé à billy corgan s’il considérait la musique comme une thérapie. il a répondu que non, qu’il pensait que c’était le contraire, car contrairement à l’homme normal qui va travailler au bureau en communiquant par téléphone, il devait affronter ses propres sentiments et surmonter ses états d’âme toute la journée, ce qui est très dur.

e : mais c’est cela la thérapie ! il ne sait pas ce que c’est une thérapie (rires). la thérapie c’est faire face à ses propres sentiments et apprendre à les surmonter. la seule chose qui n’est peut être pas thérapeutique pour lui est qu’il n’apprend pas comment les surmonter en jouant de la musique, mais c’est bien une façon d’y arriver. c’est une bonne façon de passer le temps et c’est la meilleure manière de canaliser toute cette énergie que de se droguer ou des trucs de ce genre.

"last stop this town" est le premier single du nouvel album. ne pensez-vous pas un peu tricher avec cette chanson car elle est très différente du reste de l’album. elle est plutôt drôle, joyeuse. est-ce que c’est une manière de faire acheter l’album aux gens ?

e : non, cela serait bien si cela arrivait je voulais parler… cet album parle de la mort, et la mort est souvent présentée comme l’opposé de la vie mais je voulais la montrer comme une partie intégrale de la vie, ce qu’elle est, et tout n’est pas si triste. il y a plein de gens qui meurent "acceptés". cette chanson est inspirée par… quand ma sœur est morte, le propriétaire de ma maison qui habite juste à côté est venu me voir et m’a dit "je ne veux pas te faire de peine e mais j’ai vu le fantôme d’une jeune femme marchant dans ta maison hier" et j’ai pensé wow, ça m’a fait peur au début et je n’ai pas trouvé le sommeil cette nuit là, mais le lendemain je me suis dit, bon c’est finalement peut être une bonne chose, c’est probablement ma sœur qui vient me dire au revoir et j’ai donc écrit une chanson joyeuse sur ça.

qu’est il arrivé à tommy (l’ancien bassiste du groupe) ?

e : on ne s’entendait plus en gros entre nous trois.

vous dîtes souvent que vous ne voulez pas être une rock star. est-ce que vous évitez le succès ou est ce que vous ne vous en préoccupez pas tout simplement ?

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e : non, ce n’est pas que je ne veux pas être une rock- star, je ne veux pas devenir une rock star type avec tous les clichés. bon évidemment j’apprécie tout cela assez pour le faire. je peux arrêter quand je le veux, mais, c’est juste que je ne veux pas devenir une de ces caricatures de rock stars (rires). je ne me sens pas du tout comme une rock star. mais honnêtement j’apprécie m’exprimer comme je le fais et j’aime un minimum l’attention dont je fais l’objet, sinon j’arrêterai tout de suite… je n’aime pas les tournées donc en fait je vais peut être arrêter … (rires)

est-ce que vous aimez jouer dans des petites salles, comme ce soir ou est ce que vous préférez jouer à paris, comme à l’olympia l’année dernière ?

e : oh le concert à l’olympia était très bien, vraiment très bien. on est très bon dans les petites salles, c’est amusant de jouer dans les petites salles, c’est probablement ce que je préfère faire... quand vous pouvez voir tout le monde dans le public, comme ce soir, c’est si petit, cela devrait être assez intéressant (rires). je ne sais pas. il faut que je compare avec le concert de paris lundi prochain).

avez vous scream 2 ?

e : je n’ai vu ni scream, ni scream 2.

vous savez qu’il y a un extrait de "your lucky day in hell" (une chanson du premier album).

e : oui je sais.

ca vous fait quoi de voir que "your lucky day in hell" est dans une des plus grosses productions cinématographiques de l’année. est ce bizarre ?

e : ca ne m’enthousiasme pas vraiment, non. je suis bien plus heureux d’être dans les films de wim wenders que dans scream 2. je vais voir les films de wim wenders, ce qui n’est pas le cas de scream, ni le 1, ni le 2. cela ne m’intéresse pas.

que diriez vous aux lecteurs sur eels et sur cet album ? si vous essayiez de les convaincre d’acheter electro-shock blues.

e : je leur dirai que notre musique n’est pas aussi grandiose. c’est comme des petits dessins.

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publié par le 01/12/98