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publié par alex le 24/03/00
Eels - Je veux être un artiste

Eels est le premier groupe que nous ayons interviewé pour Le Cargo, en septembre 98, au début du electro-shock blues tour. un an et demi plus tard, les californiens sont de retour avec de nouveaux musiciens, et surtout un excellent nouvel album, Daisies of the galaxy, qui marque d’une certaine manière un retour aux sources pour E ainsi qu’une renaissance musicale après electro shock blues. nous sommes allés rencontrer E à Dijon, où le groupe s’apprêtait à jouer un des meilleurs concerts de la tournée. E, toujours aussi introverti, mais de bonne humeur, a répondu à nos questions quelques minutes avant le concert

Je voudrais d’abord revenir sur l’album précédent et la tournée qui a suivie. la dernière fois que nous vous avons rencontré, nous étions fin septembre 98 et vous étiez censé revenir en tournée début 99. vous n’êtes pas revenus, apparemment parce que l’album ne s’est pas assez bien vendu en europe, même si les journalistes ont adoré l’album et si artistiquement c’était un succès. est ce que vous vous êtes senti amer, abandonné par le public ou votre maison de disque ?

Non. si je m’étais préoccupé de la réussite commerciale de cet album, de son succès, je ne l’aurais jamais fait pour commencer. je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre. j’étais juste très content de l’avoir fait. cela aurait été génial si quelqu’un avait entendu "climbing up the moon" à la radio et avait ensuite découvert le reste de l’album, mais apparemment cela n’est pas arrivé. je suis toujours content de l’avoir fait.

Vous revenez avec daisies of the galaxy, et cet album, pour moi et pour beaucoup, n’est pas un album de eels, mais plutôt un album de e, ce que l’on pouvait déjà dire d’electro-shock-blues…

Et de Beautiful freak. Ce sont tous des albums de E, et ils ont tous été fait de la même manière. la plupart de beautiful freak a été enregistré comme un album solo.

Le reste du groupe n’avait il pas plus d’influence sur la production et les arrangements à l’époque du premier album ? tommy apparemment…

Non, non, pas du tout. en fait c’était moins le cas, tommy a joué sur trois chansons de beautiful freak, peut être quatre au maximum. pratiquement toutes les chansons avaient été enregistrées avant que je le rencontre. butch a participé beaucoup plus à beautiful freak…

De nombreux journalistes ont dit du nouvel album qu’il n’était pas aussi optimiste, positif, enjoué que ce à quoi ils s’attendaient. je ne suis pas d’accord avec eux. je trouve que c’est un album très positif, très optimiste. même lorsque les paroles sont tristes, comme le refrain de "tiger in my tank", la musique est si enjouée que le résultat est tout à fait réjouissant, un peu comme une renaissance, votre renaissance en tant qu’artiste ou personne…

Oui, exactement. c’est un peu comme un nouveau début pour moi dans ma vie. si les gens ne le trouvent pas aussi joyeux que ce qu’ils pensaient, et bien, vous savez, je ne sortirai jamais un album dont toutes les chansons sont joyeuses. je suis un artiste, je montre la vie telle qu’elle est. la vie n’est jamais uniforme. il y a une grande différence entre être triste et être déprimé. etre triste est le même genre d’émotion qu’être heureux. cela fait partie de la vie. on est heureux par moments, et triste par moments. quand on est en état de dépression, on n’a plus ce genre d’émotions. on ne ressent plus rien, on est miné et on ne fonctionne plus. c’est l’erreur qui est commise à propos de cet album. il est joyeux. et triste par moments. c’est l’expression de différentes émotions. c’est un album sur la vie. electro shock blues était sur la fin de la vie, et daisies of the galaxy est sur la vie. la joie et la tristesse sont indissociables.

J’ai remarqué une différence dans les paroles entre cet album et les précédents. certaines paroles de cet album sont surréalistes. dans "tiger in my tank", par exemple, vous dites : " j’ai fait un rêve la nuit dernière, la télé et le téléphone se mettaient à marcher et me laissaient tout seul ". les paroles de "mr e’s beautiful blues" aussi. alors que les paroles de vos quatre premiers albums ressemblaient plus à des pages de journal intime. est ce que vous êtes d’accord ?

Eh bien, en fait, il n’y a pas de grandes différences. il y a plein d’anciennes chansons dont les paroles ne viennent pas de mon " journal intime ", très souvent cela ne parle pas de moi, le narrateur est quelqu’un d’autre. les paroles de la chanson "tiger in my tank" ne sont pas si surréalistes, cela veut dire quelque chose pour moi. quand je dis " j’ai fait un rêve la nuit dernière, la télé et le téléphone se mettaient à marcher et me laissaient tout seul " , c’est juste une manière d’expliquer que ma vie serait complètement différente si je n’avais pas de télévision et de téléphone. que se passerait-il si je me retrouvais tout seul dans le silence total ? parfois cela me fait assez peur.

Quelque chose surprend tout de suite quand on écoute le dernier album : de nombreuses chansons sont très proches de broken toy shop, votre deuxième album en solo, des chansons comme "jeannie’s diary" ou "wooden nickels". est ce voulu ?

Non, mais "Jeannie’s diary" a été écrite il y a très longtemps, avant a man called e (le premier album solo de E), c’est une très vieille chanson. "wooden nickels" est une nouvelle chanson. je ne sais pas, ça doit être dû à la façon dont ces deux albums ont été produits.

La plupart des chansons de cet album sont très courtes. vos chansons précédentes étaient plus longues…

C’est vrai qu’il y a quelques années j’écrivais des chansons plus longues. au début j’écrivais même des chansons vraiment très longues. les années passant je me suis rendu compte que les songwriters que j’avais toujours admiré écrivaient des chansons très succinctes, des chansons où on arrive tout de suite à l’essentiel. depuis je travaille avec l’idée que chaque mot compte. j’essaie de raconter une histoire, de dire quelque chose qui me tient à cœur. j’admire beaucoup les songwriters qui écrivent leurs chansons de cette manière, c’est un vrai défi.

Comment écrivez vous vos chansons ? est-ce que vous avez besoin d’une certaine ambiance ?

Non, non, ça change à chaque fois.

Est-ce que vous les écrivez toujours avec une guitare acoustique ou avec un piano ?

Je les écris à l’aide de différents instruments chez moi et j’essaye de les garder tous en état de marche pour pouvoir les utiliser dès que j’ai une idée. ca dépend. j’écris certaines choses à " l’organ ". c’est comme ça que j’ai écrit "tiger in my tank" ou "the sound of fear".

Quand vous arrivez dans le studio, est-ce que vous savez déjà comment vous voulez que les chansons sonnent ? vous utilisez des sons différents et originaux, où les trouvez vous ?

Ce sont les sons que j’aime. je ne recherche pas un effet particulier, ce sont juste des sons que j’apprécie.

J’ai lu que vous aviez déjà écrit un autre album, qui est plus bruyant. est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus ? quand allez vous le sortir ?

Je ne sais pas. je ne pense pas que cela sortira sous la forme d’un album traditionnel . je pense que je vais mélanger une partie de ces chansons avec d’autres. j’ai un projet dans la tête, je pourrai utiliser une partie de ces chansons… je ne sais pas si cela sera le prochain album…

Est-ce que vous vous considérez comme un travailleur acharné ou comme un artiste très talentueux ?

Non, c’est le contraire je suis un gros travailleur…

Peter Buck joue sur votre nouvel album. c’est l’apogée de sa carrière en quelque sorte, co-écrire une chanson avec E…

Oui, il peut prendre sa retraite maintenant !

Vous semblez aimer beaucoup co-écrire des chansons avec d’autres personnes comme jon brion ou mickey simpson. est ce pour une raison particulière ?

Oh, j’adore collaborer avec d’autres personnes et obtenir quelque chose de ce travail avec cette personne que je n’aurais jamais pu faire moi-même. c’est très excitant.

Je ne sais pas si vous avez lu les revues de daisies of the galaxy et du single dans le nme. elles sont excellentes, alors qu’ils avaient descendu votre premier album. qu’est ce que vous en pensez ?

Vous savez, ils vous montent de toute pièce pour vous descendre plus tard. ils aiment le nouveau et ils détesteront le suivant. cela n’a aucune importance. mais si ils aiment le nouveau beaucoup plus que beautiful freak, j’aurai tendance à être d’accord avec eux. je pense qu’après beautiful freak j’ai énormément grandi et progressé en tant que songwriter et qu’artiste. je suis donc assez d’accord avec eux.

Vous avez obtenu 4 sur 5 dans de nombreux magazines ou 9 sur 10 dans le NME. Qu’aurait il fallu pour obtenir le point manquant ?

Faire une pipe aux journalistes !

Parlons de la nouvelle tournée : vous jouez avec de nouveaux musiciens que nous ne connaissons pas, à part lisa germano bien sûr. où les avez vous rencontrés ?

Ils étaient… dans le coin…

Quelqu’un m’a parlé d’un bar à Los Angeles où différents musiciens viennent jouer une fois par semaine.

C’est le Largo, où nous jouons tous les vendredi quand jon brion est là.

Elliot Smith joue aussi de temps en temps ?

Oui, à chaque fois que j’y vais, Elliot est là. grant lee phillips est aussi souvent là. j’ai joué là bas des chansons de daisies of the galaxy avant de les enregistrer, peut être un an avant.

Comment se sont passées les répétitions avec tous ces nouveaux musiciens ? Est-ce qu’ils ont eu beaucoup d’influence sur la façon dont vous jouez les chansons sur scène ?

Oui, bien sûr. beaucoup. tout le monde apporte sa part de créativité à l’entreprise "Eels ". En général dans les groupes une seule personne se charge de ces questions, mais ce n’est pas le cas avec eels. je joue les chansons et je dis " rentrez chez vous, réfléchissez à ces chansons ce soir et revenez demain matin avec des idées ". et ils arrivent avec des idées et des arrangements extraordinaires que je n’aurai jamais trouvé tout seul, c’est beaucoup plus amusant comme ça. ils sont très créatifs.

Vous semblez avoir une nouvelle politique à propos des concerts. le public est obligé de s’asseoir.

ça n’a pas toujours été comme ça, mais c’est comme cela actuellement…

Vous pensez que cela va avec la musique que vous jouez ?

Oui, nous jouons beaucoup de chansons douces, calmes. ce concert est très orchestral, une sorte de concerts pour adultes. si tout le monde est debout, boit un verre au bar, parle, ce sera très difficile de se concentrer et de jouer des chansons calmes. mais peut être que la prochaine fois on voudra avoir un " mook pit ", qui sait ?

Vous jouez beaucoup de reprises. Pourquoi ?

Je ne pense pas que nous en jouons beaucoup. on en joue une ou deux.

Les autres sont donc des chansons inédites ?

On joue plusieurs chansons que j’ai écrit mais qui n’ont pas encore été enregistrées. il y a "the coaster’s guide to your heart", "the suicide life" et une autre qui s’appelle "everyone is going"….. il y a aussi "my brave little soldier".

Est-ce que vous comptez les sortir dans un futur proche ?

Oui, oui j’y pense.

Vous avez laissé tomber votre mellotron et votre guitare électrique pour cette tournée. il y a beaucoup de gens qui le regrettent.

Désolé !

Comptez-vous les réutiliser, dans deux ou trois ans peut-être ?

Oui, ou dans deux ou trois mois !

Est-ce qu’il y a une différence entre le but que vous aviez quand vous avez commencé votre carrière et le but que vous avez aujourd’hui en tant que musicien ?

Quand j’étais plus jeune, je ne savais pas très bien où j’allais. je savais juste que j’avais une passion, et que cette passion était la musique. puis en grandissant j’ai appris ce qui était important dans le fait d’être un artiste. j’ai essayé de voir les choses plus en tant qu’artiste qu’en tant que musicien. cela change tout. je ne suis plus autant intéressé qu’avant par la carrière de musicien. je veux être un artiste.

Quel est le plus grand compliment que quelqu’un puisse faire sur votre musique ?

Je pense que le plus beau compliment serait de me dire qu’ils ont baisé en écoutant ma musique. Que pourrait il y avoir de plus intime que ça ?

Quelle est la meilleure réaction que quelqu’un pourrait avoir en écoutant votre musique ?

Si la personne avait une crise cardiaque et s’écroulait sur le plancher parce qu’elle avait été submergée par ce qu’elle avait entendu.

Vous connaissez Bernard Lenoir ?

Qui ça ?

Bernard Lenoir, le présentateur de l’émission de radio pour laquelle vous avez joué ?

Je ne pense pas l’avoir rencontré, je ne sais pas qui c’est.

C’est le type avec les cheveux tout gris…

Oh, c’était lui ? je l’ai croisé tout le temps dans les loges. je ne savais pas qui il était !

Il a interviewé Beck il y a quelques mois et il a dit qu’il vous avait prêté un local.

Il a dit ça ?

Est-ce que vous pourriez nous en dire plus ?

Beck a vraiment dit ça ?

Oui, vraiment !

Qu’est ce que Beck à dit d’autre sur moi ?

Je ne sais plus exactement, je crois qu’il a dit qu’il vous appréciait et qu’il aimait votre musique.

Beck est vraiment… vraiment une personne extraordinaire. c’est un grand artiste. oui, il m’a prêté ce local.

De quels musiciens vous sentez vous proche dans leur approche, leur vision de la musique ? des groupes comme Smog, Spain, Sparklehorse ?

C’est difficile à dire. J’aime Sparklehorse, ils viennent de la Virginie, comme moi. Les autres sont de bons groupes aussi.

Et Elliot Smith ?

Il est génial. c’est un ami à moi.

Est-ce qu’on pourrait revenir à une chanson d’electro shock blues ? "efil’s god" est une chanson très particulière. les paroles sont très dures, très personnelles : " you can have all the money cause you said that you must. but if you think that it matters take a look at me as i turn into dust ".

Je suis content que vous ayez remarqué cela. oui, he bien… il y a une autre partie de la chanson qui dit " you can bring back my suitcase ". pendant cette période, une de mes amies est morte, elle était mariée à un ami à moi. elle est allé à l’hôpital et elle est morte là-bas. je suis allé le voir le lendemain chez lui. il a ramené sa valise et c’était vraiment horrible. il est revenu avec la valise mais elle n’est jamais revenue. elle est partie à l’hôpital pour ne jamais revenir. ce genre de tragédie vous remet les idées en places et vous rappelle ce qui est important. vous passez votre vie à courir après l’argent… j’ai voulu faire un album qui parlait de tout cela. je voulais en faire quelque chose de très spécial à mes yeux. les gens de l’industrie du disque ont pensé que c’était un désastre. je ne le pense pas du tout. pour moi, c’est mon plus grand triomphe.

C’est drôle parce que la plupart des journalistes n’ont pas compris l’album quand il est sorti et maintenant ils disent que c’est un des albums les plus scandaleusement sous estimés des années 90.

Oui, je sentais d’ailleurs que quelque chose de ce genre allait peut être se produire. Je sentais que cet album était très différent de tout le reste, qu’il avait quelque chose de très spécial, mais que ce serait un album difficile à cerner immédiatement. Peut être que des gens le découvriront ou le redécouvriront plus tard. je suis très fier d’avoir fait cet album. je voulais faire quelque chose d’original, de différent du reste, et je crois que j’ai réussi dans cette entreprise.

Pour terminer, vous avez dit récemment que vous étiez content que les années 90 soient terminées. Qu’attendez vous des années à venir ?

Je suis content que le 20e siècle en général soit terminé. j’attends la suite avec impatience. je ne sais pas comment ça été pour vous mais pour moi ça été très dur…

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publié par le 24/03/00