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publié par vinciane le 15/05/06
dresden dolls - nous sommes ordinaires

Interview réalisée au printemps de bourges 2006 en collaboration avec le site ados.fr

cargo : Quelle relation entretenez-vous avec vos fans ?

amanda : ma relation avec les fans est très intense car je passe une grande partie de ma vie à communiquer avec eux. je ne dis pas que c’est une chose vitale mais pour des personnes de mon genre c’est beaucoup de plaisir. ce que j’apprécie dans le fait d’avoir des fans est que cela me rend humaine. je ne suis pas le genre de personne qui a envie de se sentir comme une super star ou comme quelqu’un de parfait. en réalité j’apprécie d’autant plus de pouvoir partager mes défauts et le fait que je suis une personne comme tout le monde. J’échange surtout avec eux sur Internet.

après les concerts, il est difficile d’aller à la rencontre des fans car ils sont tout simplement trop nombreux. mais je passe beaucoup de temps à répondre aux emails, je passe beaucoup de temps sur nos forums. j’aime interagir avec les gens pas simplement en tant que chanteuse du groupe mais également en tant que personne qui partage ses idées et ses points de vue sur un bouquin ou sur un sujet politique. les fans de dresden dolls savent vraiment qui je suis et à quoi je ressemble. c’est vraiment rassurant de savoir qu’ils savent qui je suis. en outre, je tiens un journal sur le net dans lequel je consigne des choses vraiment très personnelles. et quand je suis sur scène, ils savent que je suis une personne ordinaire et personne n’attend quelque chose d’extraordinaire de ma part. ils savent que je fais de mon mieux. à partir du moment où les gens me voient comme une personne ordinaire, ils ne se font pas d’idées ridicules sur qui je peux être ou sur ce que je vais pouvoir faire. ils me voient faire mon métier et cela me convient parfaitement.

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les fans ont tendance à vouloir faire du groupe une sorte de club qui leur appartiendrait à eux ou à leurs amis. il faut qu’on leur rappelle qu’il s’agit de musique, qu’elle s’adresse à tout le monde et que tout le monde peut l’écouter, qu’il n’y a pas de permission à obtenir. notre groupe n’a pas de public évident, il peut séduire de jeunes gens comme un public plus âgé. parmi les gens qui achètent les albums des dresden dolls, on trouve des amateurs de théâtre, mais aussi des personnes tout à fait ordinaires, des parents. c’est vraiment une excellente chose car cela signifie que notre musique transcende les genres.

cargo : tu sembles beaucoup insister sur le fait que tu es une personne ordinaire et que tu dois être considérée comme telle sur scène. mais justement, sur scène tu es plutôt marionnette. comment expliques-tu cette différence ?

amanda : en tant qu’artiste, il me semble que chacun a une sorte d’instinct. brian a également une attitude bien à lui. je ne parlerais pas de personnage mais en tant qu’artiste qui se produit devant un public il faut se créer plusieurs personnalités, plusieurs incarnations. de mon côté, cela vient progressivement. il y a cinq ans, j’étais très raide, très tendue. je ne savais pas trop quoi faire ou comment être sur scène. doucement, j’ai commencé à me sentir mieux. je ne sais pas trop d’où cela est venu, mais j’ai commencé à me fier à mon instinct et j’ai commencé à me demander ce que cela signifiait pour moi.

cargo : que penses-tu quand tu vois le public reprendre les paroles en chœur comme sur “coin-operated boy” ?

amanda : ça ne me dérange pas ! tant qu’ils ne chantent pas si fort que cela couvre ma voix... ! sur certaines chansons comme “coin-operated boy”, ça ne me dérange pas du tout. mais lorsqu’il s’agit de chansons beaucoup plus personnelles, cela peut me perturber. mais effectivement, je peux comprendre que quand on est très fan d’un groupe on ait instinctivement très envie de reprendre les paroles d’une chanson que l’on a écouté 5000 fois chez soi. quand on assiste à un concert de rock, on a envie de se sentir décomplexé et libre.

ados.fr : dans votre dernier album, vous évoquez la frustration sexuelle. est-ce que ce problème vous concerne ?

amanda : lorsque j’écris des paroles, j’essaie de m’inspirer des oppositions et ce sont bien souvent des sujets qui me concernent ou qui me sont proches. l’un des thèmes récurrents dans mes conversations avec mes amis proches et dans ma vie est justement ce déséquilibre banal entre le désir des hommes et celui des femmes. c’est une thématique insoluble mais évidente. j’avais envie d’aborder ce sujet de manière humoristique dans l’une de mes chansons. pour moi il ne s’agit pas d’un problème mais d’une opposition.

si tu supposes que c’est un problème alors cela remonte à des millénaires et ce n’est plus simplement un conflit d’intérêts. ce qui m’inspire dans tout cela est la manière dont les gens s’en débrouillent. parmi mes couples d’amis qui sont mariés depuis cinq ou dix ans, cette situation émerge et ce qui m’intéresse est de voir comment ils gèrent cela et de voir à quel point leur relation de couple est suffisamment solide pour surmonter ou contourner cela. bien sûr, cela peut être un problème mais chaque couple a ses problèmes ou ses déséquilibres, ce n’est pas qu’une question sexuelle.

ce n’est pas à nous de résoudre les problèmes des autres. c’est notre tâche d’être le miroir de ce que nous observons et, éspérons-le, d’amener les gens au travers d’exemples à vivre pleinement leur vie, à être honnêtes envers eux-mêmes et les uns envers les autres, à prendre soin d’eux. mais en tant qu’artiste, tu tournes mal quand tu commences à penser que tu peux changer les choses. ton incidence est meilleure et plus forte si tu ne fais que remuer les gens psychologiquement.

tous les problèmes que les gens peuvent rencontrer sont un sujet important parce que tout est lié. il y a des gens dans le monde qui meurent de faim, qui subissent une répression politique, tous ces sujets terriblement vastes. ailleurs, tu peux trouver quelqu’un qui a le cœur brisé et qui a des difficultés avec ses parents. les gens souffrent de manières très différentes. certains sont très haut sur une échelle vitale et d’autres vivent plutôt une souffrance émotionnelle forte. c’est ridicule de vouloir établir une typologie des problèmes des gens. mais si notre musique réussit à alléger la souffrance de qui que ce soit, alors elle n’est pas perdue et tant mieux, nous avons fait notre travail.

ados.fr : pensez-vous que le cabaret berlinois auquel vous vous référez a une signification particulière ?

amanda : notre groupe n’a pas d’attache très solide. c’est une ambiance que nous avons utilisée, mais brian s’est inspiré aussi de l’ambiance du heavy metal des années 70 et moi de l’atmosphère de new heaven, c’est très divers. s’il y a une chose à laquelle nous nous raccrochons c’est la liberté artistique et le fait de pouvoir prendre des risques et de transcender tout ça sur scène. nous essayons de faire dépasser notre spectacle du cadre du concert et d’inviter le public à ne pas rester passif mais à créer le spectacle avec nous. c’est pour moi l’esprit du cabaret. ne pas simplement avoir deux personnes sur scène mais que tout le monde participe à un échange artistique.

cargo : est-ce que tu trouves le temps de souffler ? de prendre du temps pour toi ?

amanda : non ! mais pour l’instant ça me va. l’année qui vient va être une heureuse année de sacrifice que je vais faire pour le groupe. ensuite seulement je pourrai à nouveau penser à moi en tant qu’individu. mais c’est un bon sacrifice car nous pouvons déjà nous rendre compte que nos efforts ont payé, nous n’avons jamais eu l’impression de travailler pour rien. nous voyons une corrélation directe entre la somme d’efforts que nous avons fournis et tout l’enthousiasme que nous recevons en retour. aujourd’hui nous avons suffisamment fait de tournées pour savoir que c’est vraiment ça notre vie, que ce n’est pas une chose que nous faisons de temps à autre.

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brian : c’est aussi pour cela que la qualité de nos concerts est aujourd’hui fantastique. cela nous a permis d’atteindre aussi un certain niveau de confort - nous avons un bus pour la tournée maintenant - ce qui en fait une vie tout à fait supportable. mais bien sûr, c’est agréable de pouvoir prendre du temps pour soi, avec sa famille.

redoutez-vous qu’il y ait une fin à tout cela ?

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amanda : bien sûr je ne pense pas que cela pourrait durer indéfiniment sous cette forme. mais ce qui est beau dans le duo que nous formons tous les deux est que nous nous soutenons énormément l’un l’autre et nous encourageons mutuellement à tirer parti de ce que nous pouvons d’un point de vue artistique ou émotionnel. bien sûr parfois c’est difficile. nous sommes ensemble 24 heures sur 24, c’est un peu comme si nous étions mariés. il y a eu comme une lune de miel fabuleuse au départ puis une période où nous nous sommes beaucoup disputés. au bout d’un moment tu sens le conflit arriver, tu sais à quoi il va ressembler et tu réussis à le désamorcer.

brian : il arrive un moment où il suffit de regarder l’autre pour se sentir bien.

amanda : j’ai besoin de moments de repli sur moi. en général j’essaie de m’isoler le matin. si plusieurs jours de suite je n’arrive pas à me dégager deux heures le matin pour écrire, lire, prendre un thé ou appeler mes amis, ma famille, alors je commence à me sentir très mal et à être tendue. j’ai besoin de cela, de me connecter à mes proches pour recharger mes accus.

brian : amanda n’est pas comme ces gens qui se satisfont d’une pause café. elle a besoin de temps pour parler aux gens.

amanda : j’ai pris sur moi de nouer ces contacts alors il en va de ma responsabilité d’assumer et de m’organiser pour entretenir ces relations. si j’ai décidé de rester en contact avec 400 personnes, alors à moi de m’assurer que je vais faire tous les jours ce qu’il faut pour cela. parfois j’envie brian de ne pas se montrer disponible par rapport aux gens, mais j’en tire tellement de choses, c’est juste une différence entre lui et moi. tant que nous pouvons respecter nos choix respectifs, tout va bien. sinon c’est souvent la source de conflits.

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publié par le 15/05/06