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publié par Mélanie Fazi le 26/06/08
Dresden Dolls
- No, Virginia
No, Virginia

Reflet inversé

Il y a quelque chose d’intimidant à écrire sur un groupe qui bénéficie d’un statut culte comme celui des Dresden Dolls, suscitant une telle adoration de la part de ses fans et provoquant des réactions aussi extrêmes. Il est encore plus particulier de chroniquer un disque comme No, Virginia, dont le titre (reflet inversé de celui de l’album Yes, Virginia) annonce la couleur : il s’agit d’une compilation d’inédites mêlant nouveaux titres et chutes de studio de l’album précédent. La réaction de chaque auditeur à l’écoute de ce disque dépendra en grande partie da sa relation personnelle à la musique et à l’univers du groupe. Précisons donc qu’il s’agit ici de l’avis d’une chroniqueuse qui a noué un lien très fort avec la musique des Dresden Dolls mais les a découverts sur le tard et ne possède donc, pour ainsi dire, qu’une partie du contexte. Sans doute les fans de longue date qui ont souvent vu le groupe sur scène et connaissent déjà la plupart de ces chansons en live aborderont-il cet album différemment.

Bonus

Quand on approche No, Virginia sans attentes particulières, dans l’idée d’écouter une compil contenant au minimum quelques petites choses sympathiques, la surprise est plus qu’agréable. Loin de n’être qu’un petit bonus à écouter de temps en temps, l’album s’incruste et ne vous lâche plus. De prime abord, il est plus léger que les précédents, un peu moins ambitieux, il s’appréhende beaucoup plus facilement... Mais c’est précisément ce qui fait son charme. No, Virginia est un petit album terriblement attachant.

Nains de jardin

On ne s’attendra pas ici au genre de grosse claque qu’avait été la découverte de chansons aussi frappadingues et décalées que “Girl anachronism”, “Missed me” ou “Coin-Operated boy” sur le premier album. Mais l’intention n’est pas là. L’impression qui domine à la découverte de No, Virginia est celle d’une ambiance très fun, idéale en cette période estivale. Plus tard, on s’apercevra que ce n’est pas la tonalité dominante de l’album, simplement celle des trois chansons les plus marquantes - trois arbres bariolés qui cachent la forêt aux tons sépia. Il y a “Dear Jenny”, accrocheuse à souhait, parfaite en ouverture. Le single “Night Reconnaissance” dont le clip rigolo et déjanté, signé Michael Pope comme toujours, reflète assez bien le premier effet que produit cet album : on y voit Brian Viglione et Amanda Palmer, tels deux gamins espiègles aux costumes improbables, faucher des nains de jardin avant de les mettre en scène dans une pièce décorée de guirlandes électriques. Sur les chansons les plus enjouées de l’album, on sent qu’Amanda s’amuse beaucoup avec les intonations, les personnages, les masques - on l’imagine très bien affichant la même expression que dans ce passage du clip où, plus « cartoon » que jamais, elle tend les nains de jardin à Brian avec un sourire totalement irréel, espiègle et carnassier à la fois.

Cabaret pop

Sur ces deux titres franchement jubilatoires, le « cabaret punk » se fait plus pop. Tout comme sur le troisième grand moment de l’album : “Lonesome organist rapes page-turner”, dont la rythmique démente évoque le génial “Girl anachronism” (peut-être le morceau où le mélange piano/batterie caractéristique du groupe produisait le résultat le plus original, le plus hallucinant). Amanda y endosse le costume de la « nana cinglée au piano » qu’elle décrivait récemment en interview, pour un résultat franchement hilarant. Jusqu’au moment où l’on se penche sur le texte et où l’on ne sait plus sur quel pied danser : sur le papier, cette histoire du vieux prof de piano qui aligne les blagues salaces avant de violer son élève est assez sinistre (« Now there there/I’m a friendly man/I joke about sex because it’s funny when you’re frightened »). Ambiguïté typique des textes d’Amanda Palmer qui sont d’autant plus passionnants qu’ils appellent à diverses interprétations. Peu d’artistes savent mêler aussi étroitement dans leurs paroles l’humour tordu, le sordide, le tragique et le bizarre. On regrette que les textes ne figurent pas dans l’album, mais on peut compter sur les fans des Dresden Dolls pour les avoir depuis longtemps retranscrits et commentés sur le Net.

Berceuse

Et puis, au fil des écoutes, le reste se dévoile. On est finalement frappé par la cohérence de l’ensemble, là où l’on pensait trouver une compilation hétéroclite. La voix rauque et grave d’Amanda Palmer, capable de véhiculer autant d’humour débridé que d’émotion pure, impressionne par sa versatilité. C’est particulièrement marquant sur le splendide “The Gardener”, avec ses paroles intrigantes chantées comme dans un souffle. Il s’y passe quelque chose de magnifique, de tragique et de poignant qui vous donne la chair de poule. L’ensemble est minimaliste, mais ces couplets murmurés se glissent sous votre peau et résonnent longtemps en vous. Dans le refrain, Amanda parvient à suggérer, en quelques mots à peine, quelque chose de terrible et de menaçant (« We’ll make a man out of you yet/You won’t know what will hit you next/The gardener’s coming to collect »). Plus loin, après un très léger passage à vide (la reprise du “Pretty in Pink” des Psychedelic Furs, pour intéressante qu’elle soit, tranche un peu trop avec le reste), l’album s’achève sur l’enchaînement de trois titres sublimes. “The Kill”, avec ses ruptures de ton et sa montée en puissance, “The Sheep Song” dont le motif de piano et la structure des paroles évoquent une berceuse plus inquiétante qu’apaisante, et les envolées quasi lyriques de “Boston” qui concluent l’album en beauté. Avant qu’on reprenne le disque au début... pour se laisser happer de nouveau par la mélodie entraînante de “Dear Jenny”. Le voyage peut recommencer.

Curiosité

Difficile, encore une fois, d’anticiper ce que sera l’accueil de No, Virginia selon les auditeurs. Peut-être décevra-t-il les fans aux attentes trop précises. Mais il pourrait s’agir d’un excellent point de départ pour faire découvrir les Dresden Dolls aux néophytes, même s’il reflète assez peu la bizarrerie de leur « cabaret punk » tel qu’il se présentait à leurs débuts. En tout cas, on ne peut qu’admirer un groupe capable de sortir un premier album aussi fort et marquant, un classique immédiat, et de ne pas se laisser étouffer par lui. Sans compter que No, Virginia offre avec “Night Reconnaissance” et le génial “Lonesome organist rapes page-turner” deux des chansons les plus jouissives qu’on ait entendues cette année. On attend maintenant avec impatience et curiosité le premier album solo d’Amanda Palmer, annoncé pour septembre, dont les premiers extraits entendus en version live sont plus qu’alléchants.

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publié par le 26/06/08