20 ans de carrière, le bon âge pour passer en douceur du côté des rentiers de la musique. Bien que ce ne soit pas trop son genre, lorsque Dominique A annonce en début d’année la réédition avec bonus de toute sa discographie, on ne peut s’empêcher d’y penser. C’est que la retraite sonne (ou en tout cas devrait sonner) plus tôt chez les auteurs-compositeurs que chez le simple quidam. Difficile en effet au bout de quelques années de ne pas tourner en rond dans ses petits souliers. On s’imagine bien d’ailleurs le féliciter à son pot de départ d’avoir su se renouveler autant d’album en album, tout en finissant par reconnaître qu’il faut savoir partir à temps, arrêter les frais avant le déclin. Mais foin de pot de départ et point d’éloge la voix tremblante, à peine le goût de la retraite en bouche, voila que Dominique A la recrache au loin en sortant un nouveau disque, Vers les lueurs, qui vient d’emblée se positionner parmi ses meilleurs disques à ce jour. Une jolie feinte qui prouve une fois de plus que notre homme n’est jamais vraiment où on l’attend, même après 20 ans de carrière (la preuve par deux, il sort dans la foulée de l’album un livre, chroniqué ici-même).
cap
Une fois n’est pas coutume, cet album se présente à nous précédé d’une rumeur à mesure que le single "Rendez-nous la lumière" fait son chemin sur les ondes. Dominique A aurait délaissé son écriture classieuse et soutenue pour un français diminué et facile d’accès. Il fallait vérifier ça par nous-mêmes. Et si sur le papier « Rendez-nous la lumière, rendez-nous la beauté. Le monde était si beau et nous l’avons gâché » tendrait à confirmer cette impression, à l’écoute il n’en est rien. Il y a bien sur cette naïveté revendiquée (sur ce titre uniquement) mais il y a surtout ces guitares qui se tendent au fur et à mesure du morceau, cette interprétation magistrale au chant et un orchestre à vents aux petits oignons qui vient relever le tout. Le reste du disque est à l’avenant, Dominique A démontre qu’il est au sommet de son art d’interprétation (qu’il soit l’interprète de ses propres chansons devient presque secondaire). Il faut l’entendre s’envoler sur les refrains d’"Ostinato", s’emporter sur "Parfois j’entends des cris" ou à l’inverse faire la part belle aux douces mélodies ("Loin du soleil"). C’est bien simple tous les registres lui vont. Le travail de ces vingt dernières années paye, on retrouve en condensé tout ce qu’on a aimé dans les albums précédents, magnifié sur un album entier dans une sorte d’état de grâce. Un nouveau cap est sans conteste franchi.
gant
Du côté des musiques il en va bien sûr de même, Dominique A s’appuie sur ses expériences passées, notamment le travail orchestral effectué sur le disque Tout sera comme avant (2004), et n’en retire que la délicate moelle. En résulte un disque aux musiques évidentes, aucunement poseuses. L’orchestre d’instruments à vent soutient l’ensemble sans s’imposer, donne une légèreté inédite que des guitares saturées ou un chant mélancolique viennent contrebalancer. Un équilibre savoureux entre noirceur et lumière qui va à notre homme comme un gant. Et puis il y a ces moments magiques où le chant et les musiques se rejoignent pour former un morceau d’exception : "Contre un arbre" au texte si évocateur en notre époque de stress urbain et au dialogue si expressif entre guitares et orchestre ; "Rendez-nous la lumière" en fin de compte si libérateur et entêtant ; "Vers le bleu" avec sa basse jouissive et son rythme sautillant ; et surtout "Close west" et "Le convoi".
haleine
"Close west", toutes guitares saturées et tension vocale dehors, cinglante déclaration d’amour-haine envers des souvenirs dont on peine à se débarrasser et qui en même temps nous construisent. Texte sublimement évocateur (ah, ce « l’odeur de l’ensilage sur les fringues en soirée ») qui rejoint ce thème désormais classique chez lui, thème qui est aussi celui de son livre Y revenir et du morceau "Rue des marais" (L’horizon, 2006). "Le convoi", quant à lui, se voit doté d’un texte plus obscur mais réussit l’exploit de nous tenir en haleine pendant plus de 9 minutes. C’est simple on ne voudrait pas le voir se terminer, Dominique A nous emporte complètement, illustrant à merveille les paroles de la chanson alors que la route s’ouvre et se referme derrière nous. Et à l’image de ce morceau, l’album entier nous transporte et nous rappelle à lui chaque jour de façon plus pressante depuis notre rencontre il y a trois semaines.
pot
Oui, cet album nous rappelle et l’impression qu’il nous laisse est de plus en plus forte : celle d’un album majeur dans une discographie déjà majeure dans le paysage musical français. Dominique A trace sa route solitaire, imperturbable, c’est à se demander ce qui pourrait aujourd’hui l’arrêter ou même le dévier de sa trajectoire. Une chose est sûre en tout cas, son pot de départ n’est pas à l’ordre du jour et ce n’est pas nous qui l’organiserons.