Dans une vie de matelote, on commet parfois des erreurs stupides. Comme celle de laisser passer, sans trop savoir pourquoi, plusieurs années sans voir Dominique A sur scène, malgré de magnifiques souvenirs de concerts. Et puis, parce qu’il faut bien rattraper le temps perdu, parce que Vers les lueurs est l’un des albums les plus magiques de l’année, nous voilà ce soir dans l’atmosphère feutrée du centre Paul Bailliart de Massy. On se dit que les retrouvailles seront d’autant plus belles que l’intervalle a été long.
Et ça oui, elles l’étaient.
Dans la tempête
Pour rendre la soirée encore un peu plus spéciale, c’était également le début d’une série de premières parties que Robi assurait pour Dominique A. Robi dont la musique nous devient, concert après concert, de plus en plus indispensable, et dont les chansons nous sont si vite devenues familières. Un set brut et cinglant comme ils en ont le secret : le tranchant des mots, l’impact des basses, l’énergie du trio – on se fait happer et secouer, comme à chaque fois, et on en redemande.
Puis arrivent Dominique A et son groupe. Quelque chose d’intimidant dans cette silhouette robuste au milieu de la scène, qui évoque au plus fort du concert un chêne dans la tempête. Tout de noir vêtu, ce qui rend d’autant plus saisissants les moments où les jeux de lumière le parent d’une aura d’étrangeté – un instant furtif, l’orange vif d’un projecteur lui donne de faux airs inquiétants de colonel Kurtz. Quelque chose d’intimidant, disions-nous, à le voir immobile, comme pour ancrer ses chansons dans la terre alors que s’élève cette voix claire et belle, reconnaissable entre toutes et porteuse d’une telle gamme d’émotions.
Cavalcade
Le concert avait commencé en douceur, de manière un peu mécanique peut-être, le temps de dérouler quelques morceaux. Et puis soudain, un très bel enchaînement : « Parfois j’entends des cris » cède la place à « Close West » et la machine s’emballe. « La cavalcade continue », commente-t-il entre les deux ; c’est bien ce qu’on ressent alors, une musique qui nous emporte avec la fougue d’un cheval au galop. Et ce n’est encore que le début. Quelques chansons plus tard, un joli numéro d’équilibriste : un oubli de paroles sur « Bowling » qui se transforme en impro le temps de retomber sur ses pattes. « Je vous envoie les paroles contre un timbre », promet-il ensuite. L’incident ne fait que le rendre plus humain et achève de renforcer le lien en train de se nouer avec le public.
Plutôt que de se concentrer sur Vers les lueurs, la set-list puise allègrement dans les albums plus anciens. C’est avec une émotion palpable qu’on retrouve certaines chansons comme de vieilles amies. Celles d’Auguri en particulier : « En secret », violente et rêche, « Le commerce de l’eau » toujours aussi poignante. Tout le set s’articule entre deux polarités : le déferlement rock (« Close West », « Mainstream ») et l’émotion feutrée (« Les hauts quartiers de peine », « Par les lueurs »). Et c’est beau, tout simplement. De bout en bout.
Roc et liane
Au cours du concert, on est régulièrement frappé par l’interaction singulière entre Dominique A et le bassiste Jeff Hallam (qui était omniprésent ce soir puisqu’il jouait également avec Robi). Si le premier est un roc, le second est une liane, à la gestuelle souple, sinueuse, presque reptilienne parfois. On voit peu de bassistes faire corps à ce point avec leur instrument, au point de donner l’impression de danser avec la basse. Le contraste entre ces deux manières d’incarner la musique crée une alchimie fascinante. C’est également à Jeff Hallam, lors d’un rappel, que reviendra la tâche d’incarner la deuxième voix du « Twenty two bar ».
Les rappels se succèdent, denses et généreux, avec une splendide montée en puissance. « Par les lueurs » est une conclusion de toute beauté. Peut-être regrettera-t-on seulement l’absence du « Convoi », l’une des plus belles chansons de l’album, qui aurait fait un final tout aussi intense. On quitte la salle euphorique, encore hanté par des bribes de chansons. Le dira-t-on jamais assez, que Dominique A est l’une des plus belles choses qui soient arrivées à la chanson française ? Cet album, ce concert, et le sourire qui n’a quasiment pas quitté nos lèvres lors des rappels en sont des preuves parmi tant d’autres.