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publié par Mélanie Fazi le 31/03/14
Demi Mondaine
- Aether
Aether

Est-il paradoxal, pour décrire un album qui se revendique du rock le plus viscéral, celui qui vient du fond des tripes et qui fleure bon la bière et les caves enfumées, d’avoir envie de parler en premier lieu de maîtrise et de finesse ? C’est qu’il y a, dans ce premier album de Demi Mondaine, une vraie science de l’équilibre, une façon d’aller danser au bord du gouffre en sachant s’arrêter à temps pour ne pas y basculer tête la première. On n’est ici ni dans le gros son qui tache, ni dans le rock policé qui se laisse limer les griffes à coups d’arrangements trop léchés. Plutôt dans une zone trouble quelque part entre les deux, une zone sacrément sensuelle et sauvage.

L’attente et l’explosion

En découvrant Aether, on se fait happer d’entrée de jeu par « Intempérance », l’un des morceaux qui illustrent le mieux ce qui fait la grâce rugueuse de cet album : le lyrisme féroce qui imprègne les mots comme la voix, et un jeu constant sur l’attente, la retenue, la tension qui précède l’explosion libératrice du refrain et en décuple l’impact. « Comme elle pleure, elle pleure à ma porte », chante Béatrice, dont la supplication devient un cri soutenu par des riffs rageurs, et quelque chose dans ce crescendo de quelques secondes touche au sublime. Les morceaux les plus frappants de l’album (« Garde fou », « Vénale d’amour » ou « Paris sous la neige ») jouent sur ce contraste entre la retenue magnifique des couplets et le déferlement rageur du refrain. Les guitares abrasives savent constamment garder la distance parfaite vis-à-vis de la voix pour la souligner sans jamais la noyer.

Parlons-en, de cette voix. Une belle voix rauque taillée pour le rock, pourrait-on dire – le jeu de mots est facile mais ce n’en est pas moins une forme d’évidence. Une voix écorchée vive qui laisse affleurer des émotions brutales et où l’on se surprend, parfois, à trouver des échos du lyrisme âpre d’un Brel, dans la belle mélodie des couplets de « Paris sous la neige » notamment, dans ces textes où affleurent la violence du désir, les corps qui se cherchent, les ambiances de fins de nuit et de petits matins blêmes. On finit par ne plus bien savoir si c’est l’écriture elle-même qui nous emporte, épurée et poétique à la fois, ou si c’est la façon dont le chant l’incarne – au sens premier, celui du verbe qui devient chair.

Les rues de la capitale

Il y a du chien dans cet album, de la gouaille et une forme d’élégance canaille, portées par une rage qui sait constamment rester sur le fil. Une forme de douceur aussi, comme dans les guitares aériennes qui ouvrent le superbe « Jour blanc ». Et puis quelque chose d’urbain, qui ancre profondément ces chansons dans la ville et Paris en particulier, évoquée au détour des textes. Marcher dans les rues de la capitale avec Aether dans les oreilles est une expérience grisante qui en fait ressurgir des nuances inédites et des émotions brutes. Et souligne au passage un point sans doute éloquent : il est frappant que le morceau qui nous touche le moins sur un premier album soit celui qui, chez des groupes de moindre talent, en aurait constitué le point d’orgue – un cadeau royal offert par Iggy Pop en personne, qui a fait don à Demi Mondaine de son inédit « Private Parts ». Il y a dans ce morceau quelque chose de moins immédiat, lié soit au passage à une autre langue, soit au fait de se couler dans l’écriture d’un autre, fût-il un iguane sacré. Il se passe quelque chose de beaucoup plus fort quand les quatre de Demi Mondaine parlent leur propre langue, dans tous les sens du terme. Il n’empêche que la petite histoire est prestigieuse, et le morceau nerveux à souhait.

Pulsation

Mais lorsqu’on tourne en boucle sur Aether, les chansons qui s’enracinent dans notre cervelle et nos tripes et vers lesquelles on revient sans cesse ne sont pas celle-là. Parce qu’il y a, sur ce même album, « Intempérance » et « Garde fou », « Vénale d’amour » et « Jour blanc », et « Paris sous la neige », avec leur fougue, leur finesse et leur beauté sauvage, avec la pulsation qui les habite. On a presque envie de faire nôtre les paroles de « Tempérance » qui conclut Aether : « Je remercie ce dieu païen qui t’a posé sur mon chemin ». Un sacré bel album – et une rencontre, une vraie.

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publié par le 31/03/14