Au Clare de la Lune
Cette exquise créature semblant sortie des années 30 pourrait être la petite-fille de Betty Boop, l’incarnation de Mary Poppins, la soeur de Dita von Teese ou la nouvelle chanteuse de Pink Martini.
Elle s’appelle en réalité Clare Muldaur, fille de Geoff Muldaur, songwriter américain auteur notamment de la chanson-titre du film Brazil. Avouez que vous êtes bien avancés.
Archets et piston
Pistonnée ou pas, l’envie est grande de savoir si le ramage vaut le plumage. Et à l’intérieur, on trouve d’autres matières nobles pour faire écho à ces lèvres de velours et ce teint de porcelaine : il y fleure bon la colophane, l’ébène, le vernis et le feutre. La voix, telle qu’on l’imaginait, est gracile et zigzague entre les pizzicati, surfe sur les montées d’archets, virevolte sur les touches lactées d’un piano, susurre en français un "je t’adore" entre les arpèges clinquantes d’un clavecin, joue à cache-cache derrière une ronde contrebasse, taquinée ça et là par une trompette, une flûte, un harmonica.
Les habiles Reasons qui accompagnent la pin-up, parmi lesquels le violoniste Olivier Manchon - son français de mari - lui confectionnent un costume à la fois ravissant et désuet, dans lequel elle peut minauder à son aise. On jurerait par moments entendre Nina Persson et ses insouciants Cardigans à leurs délicieux débuts.
On notera également les participations prestigieuses de Sufjan Stevens, qui vient poser sa voix sur Nothing/Nowhere, et de Van Dyke Parks (arrangeur, entre autres, des Beach Boys) qui joue négligemment du piano sur Love can be a crime.
Il suffit de se laisser accrocher par les impeccables singles “Rodi” ou “Pluto” (futile et gracieuse petite fable sur... Pluton, consolée par les autres planètes après son éviction du système solaire) ou de découvrir la malice avec laquelle les Reasons transposent le “Everybody wants to rule the world” de Tears for Fears à l’époque baroque, pour saisir l’essence de ce disque intemporel, qui se moque ouvertement des modes et des styles. Le charme surrané qu’il distille en agacera certains mais en fera fondre beaucoup.
