J’avais dit à Clara Luciani, après son album Coeur, "ok Clara, on a tous nos défauts, un petit péché rétro, une madeleine de Proust, toi c’est le disco, c’est malheureux mais avec tout ce talent, je te pardonne, je serre les dents et j’essaie d’apprécier quand même tes chansons , de retrouver la femme de Sainte-Victoire sous ces strates d’arrangements datés qui me donnent envie de me flinguer". (Ouais j’imagine l’enfer comme une salle de bal lugubre où l’on dancerait sur du disco pour l’éternité)
(silence)
"Mais Clara, tu n’as droit qu’à un album comme ça, après il faut revenir au présent, te rappeler que seule avec ta guitare Ton Monstre d’amour convoquait plus d’émotions que tout cet album"
(silence)
Elle n’a rien répondu. Normal elle n’était pas là, tout ça se passait dans ma tête mais j’y croyais à l’idée que Coeur n’avait été qu’une passade. Une ligne qu’on omettrait discrètement plus tard dans une discographie brillante. Et nous voilà en 2024, Clara Luciani a sorti son nouvel album, "Mon Sang", avec comme visuel une jolie photo d’elle au naturel. Une façon de dire certainement que ce disque est personnel, que ce disque est elle.
Et maintenant j’ai des doutes, pas tellement sur le cimetière des éléphants mais sur la réalité de ce(lle) que j’aimais. J’ai bien envie de pourrir le trio de producteurs qui ont réalisé ton disque, parce que les textes ne sont pas mauvais, ta voix est toujours belle, on y sent toujours l’émotion, c’est vraiment la manière dont les compositions sont mises en musique, l’univers, la dynamique, le choix de l’instrumentation, des arrangements qui changent (gâchent) tout.
Il n’y a pas que le copier-coller du son et des mélodies de disco, les horribles cordes de "Cette vie" qui ouvrent le disque en sont un bon exemple, il y a aussi toute une série de "mélodies de remplissage" qui font gonfler le soufflé jusqu’à l’explosion de gout douteux, l’impression que quelqu’un qui a trop écouté des disques avec des arrangements orchestraux, sophistiqués s’est fait plaisir dans son coin en défigurant les chansons en pensant faire aussi bien que ses références.
Sur "Romance", il y a bien le piano qui ramène un peu de modestie et de simplicité dans cette affaire, "Allez" qui donne l’illusion du rock’n’roll jusqu’a mi-morceau à peu près. "Ma Mère" en piano-voix surnage honorablement avant de se noyer dans des cordes là encore si peu imaginatives. Et finalement plein de bouts de morceaux où on retrouve un peu notre Clara avant qu’un choix d’arrangement pompier, un élément de vocabulaire rétro viennent casser notre plaisir.
Alors oui on a envie d’accuser les producteurs, la maison de disque, la conjonction des astres, le moral des français en berne, Macron (*), le réchauffement climatique ou le KGB de Poutine mais sur la couverture du disque c’est toi Clara. Tu nous dis que c’est ton sang. Alors on doit croire que ces choix de production, ce son grandiloquent, rétro jusqu’a la nausée c’est ce que tu veux.
"Coeur" n’était donc pas un accident, c’était là où tu voulais aller. Ca me rend un peu triste parce que nos chemins se séparent ici, parce que dans chacune de ces nouvelles chansons je vois quand même de la beauté mais c’est ton sang et tes choix d’artiste. A défaut d’être d’accord, ça se respecte.