Pour clôturer la 14ème édition du festival Détours de Babel, deux créations musicales furent proposées à Grenoble en ce mois d’avril. Focus sur l’une d’entre elles : Le Rythme du Silence, interprété par Yom et les frères Théo et Valentin Ceccaldi.
L’âme de ce trio a magistralement célébré l’esprit du festival, qui promeut le partage autour des musiques du monde et du jazz. Ils nous ont en effet offert deux envoûtants concerts avec un répertoire inédit.
Yom est un compositeur et clarinettiste nomade tant il nous surprend par la variété de ses créations. Depuis près d’une vingtaine d’années, chacun de ses projets nous embarque vers des contrées différentes, toutes ciselées par son souffle singulier qui aimante par sa beauté. Yom explore et revisite avec aisance de multiples univers musicaux : la musique juive traditionnelle, l’électronique, le rock, jusqu’à se rapprocher de la musique sacrée avec l’album Prière en 2018. Au gré de ses rencontres artistiques, il façonne une esthétique remarquée et remarquable dessinant un territoire sans limite. Son travail s’inscrit dans une soif de liberté, de sens et de transcendance. Cet artiste prolifique cumule à son actif plus d’une dizaine d’albums en tant qu’auteur, dont le dernier, Alone in the Light, sorti en octobre 2023. Il y évolue aux côtés du pianiste Léo Jassef et illustre cette quête spirituelle, mais jamais celle-ci n’a sonné plus juste et vibrante que sur Le Rythme du Silence. D’ailleurs, le titre à lui seul de cette création (titre inspiré par un grand maitre soufi pour définir la méditation) augure un voyage aussi intense que poétique. Promesse tenue avec brio par Yom et ses deux complices.
Trois silhouettes se dessinent dans le clair-obscur de la scène : Yom à la clarinette, Théo au violon et Valentin au violoncelle. Les premières notes frémissent et, nous plongent immédiatement dans une ambiance feutrée aux lumières intimistes. Valentin frappe les cordes de son violoncelle au rythme d’un battement, et les notes résonnent tels des bols tibétains. Puis le violon et la clarinette suivent. La sensation qu’une parenthèse hors du temps s’ouvre alors à nous, une parenthèse où l’imaginaire se joue du réel, où la légèreté l’emporte sur le poids des maux, où le superficiel disparait pour laisser place aux vérités des profondeurs. Une réelle complicité et osmose se dégagent de ces trois musiciens virtuoses. La fougue de Théo, le lyrisme de Yom, l’archet et le toucher incroyable de Valentin produisent des nappes sonores avec une singulière beauté. Le public glisse progressivement vers une transe intérieure face à des musiques sans compromis. Le recueil est admirablement construit, dans lequel chaque musicien exprime son talent tout en révélant celui de ses complices. Les morceaux s’enchaînent sans interruption, oscillant entre l’Orient et l’Occident, entre le sacré et le profane, entre le céleste et le terrestre. Les influences sont multiples avec des phases tantôt planantes, tantôt plus ardentes. Il est difficile de résister à autant de mélodies aussi touchantes et généreuses et ainsi, de les suivre dans un voyage méditatif coloré d’émotions. Les trois musiciens dialoguent avec élégance, sincérité tout en dégageant une présence vibratoire intense. Les complexités techniques de leur jeu respectif sont gommées par leur aisance. Ils donnent même l’impression de léviter.
Le trio déroule sur scène une aventure musicale et humaine qui s’apparente à une œuvre universelle, intemporelle, sensible et majestueuse.Le Rythme du Silence atteint un niveau de musicalité affranchi de toute appartenance culturelle, dans lequel le spirituel prédomine. Pendant près de quatre années, ce projet acoustique a germé avant que Yom ne le compose et ne lui donne vie aux côtés de Théo et Valentin, musiciens issus de la jeune génération du jazz contemporain. Yom nous rappelle ici tout son talent de compositeur et son sens de la narration, avec les arrangements de Théo et Valentin. Ils ne sont pas à leur première collaboration. En 2018, Yom a fait appel au Quatuor IXI, dont fait partie Théo, pour son spectacle Illuminations (pièces conçues pour clarinette et quatuor à cordes). Puis en 2020, leur chemin se croise à nouveau avec la participation de Yom sur un des morceaux de l’album Constantine des frères Ceccaldi. Ces retrouvailles scéniques sonnent alors comme une évidence. L’alliance du vent et des cordes sur ce projet fait mouche pour ces trois artistes aimant flouter les frontières musicales.
À la fin du concert, quelques secondes de silence s’écoulent. Le temps nécessaire de quitter le sublime pour revenir à la réalité, puis le public les acclame avec une standing ovation.
Le Rythme du Silence : un véritable coup de maître de Yom, que nous avons hâte de revivre sur scène dans l’attente d’un album avec les formidables Théo et Valentin Ceccaldi.