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publié par Mickaël Adamadorassy le 08/02/12
Another Happy Day - Sam Levinson
Sam Levinson

Avec un titre pareil et l’étiquette "film indépendant primé à Sundance" (pour son scénario), on pourrait tout à fait imaginer qu’Another Happy Day est une comédie décapante et fun sur la famille, comme un Little Miss Sunshine par exemple. Et il y a effectivement des passages très drôles dans cette comédie mais elle n’en reste pas moins dramatique, voir carrément violente. Mais n’est-ce pas normal quand on parle de famille ?

Un mariage

Les noces de Dylan sont l’occasion pour toute sa famille de se réunir le temps d’un week-end dans la maison des grands-parents à Annapolis (dans le Maryland, côte est des États-Unis, prêt de Washington) Mais les retrouvailles virent très vite à la confrontation, nourrie par un passé qui semble lourd de rancœurs.

Au centre du psychodrame, il y a Lynn , la mère de Dylan, séparée depuis longtemps de son mari Paul, qui la battait. Cet épisode a traumatisé leur autre enfant, Alice qui deviendra une jeune fille fragile qui se taillade les chairs et dont l’état mental est une des principales préoccupations de tout le monde ce week-end. Dylan lui est resté avec Paul et semble être plutôt équilibré.

Ce qui n’est pas franchement le cas des deux autres enfants issus du second mariage de Lynn : l’aîné, Elliot , est un ado plutôt mignon (Ezra Miller) et intelligent mais lancé dans une spirale franchement destructrice à base d’alcools, de médicaments et de drogues... si possible en même temps, tandis que Ben est lui dans cette période ingrate entre l’enfance et l’adolescence, où l’on ne sait pas bien encore se placer et où les émotions sont violemment amplifiées, en particulier les moqueries des benêts de la famille.

Mère courage ou mégère déchainée ?

Lynn se retrouve au milieu de cette situation explosive, à devoir à la fois contrôler ses enfants, faire en sorte qu’ils s’intègrent et en même temps les protéger de sa famille, de la violence qui peut y surgir si facilement, quand l’humour vache finit par blesser, quand on oublie que les enfants n’ont pas encore la carapace des adultes.

Mais le reste de la famille a l’air de penser que tous les problèmes sont en fait dus à Lynn et c’est assez impressionnant de la voir s’en prendre plein la figure par sa mère, ses sœurs ou encore la nouvelle femme de son ex-mari etc. etc. Elle n’a souvent pas le temps d’en placer une et reste abasourdie par tout ce qu’on lui reproche, par l’étendue du gouffre de l’incompréhension entre elle et ses "proches", ce qui lui donne sa pose caractéristique dans le film : la bouche ouverte, les lèvres qui remuent comme si elle voulait parler mais n’y arrive pas. Comme un poisson qu’on a jeté hors de l’eau et qui essaie de respirer.

Et pendant un temps, à la voir sur-protéger ses enfants en leur trouvant tout un tas de problèmes psychologiques (syndrome de Tourette, TOC) là où il n’y a sûrement que les phases classiques que traversent un ado, avec tout le mélodrame qu’elle crée face à son ex-mari qui veut juste revoir sa fille, on se demande si effectivement elle n’est pas la source des problèmes plutôt que celle qui cherche les solutions.

Un enterrement

Mais au fur et à mesure que l’histoire de Lynn se dévoile, on finit par se dire que c’est elle qui a raison et que si les membres de cette famille ne sont pas fondamentalement méchants, leurs actes et leurs mots manquent singulièrement de considération et en fait ne témoignent pas du tout du soutien qu’on devrait s’apporter au sein d’une famille.

Heureusement le constat est loin d’être complètement négatif : si la famille au sens large est quelque chose d’aliénant, la cellule familiale rapprochée, formée par Lynn, son mari et ses enfants, résiste elle plutôt bien malgré l’acharnement d’Elliot à faire les pires bêtises ; frères et sœur se soutiennent, Lee le nouveau mari a l’air complètement dans les nuages la plupart du temps mais c’est ce qu’il faut quand on a une famille si souvent au bord du chaos et si Lynn mène la vie dure à ses enfants et réciproquement on sent que l’amour est là et que dans les coups durs, ils sont là les uns pour les autres.

Et puis comme l’avait prévu très cyniquement Elliot, ce que l’amour n’aura pas su faire, la mort, invitée imprévue du mariage le réussira : rappeler à tout le monde que malgré toutes les raisons qu’ils ont de se détester, il reste encore de l’amour dans cette famille

Meilleurs ennemis

On a souvent cette idée que le cinéma américain en dehors de quelques très grands réalisateurs, ce sont surtout les films d’actions et les grosses comédies potaches et qu’a contrario, le cinéma français excelle dans la comédie de mœurs. Another Happy Day est typiquement le genre de film qui fait voler en éclats de tels préjugés ; malgré le fossé culturel entre les États-Unis et la France, je me retrouve bien plus dans ce film que dans n’importe laquelle de ces comédies françaises sur la famille, le scénario touche à l’essentiel dans les rapports familiaux, ce qui fait à la fois leur beauté et leur violence, et en filigrane parle aussi de manière très juste de l’adolescence et de la peur de mourir. La construction du récit, les choix de mise en scène sont aussi à louer car le film a beau durer longtemps, il n’a pourtant aucune longueur ni de baisse d’intensité.

Et le réalisateur Sam Levinson réussit aussi le tour de force, malgré la violence qu’il y a parfois entre les membres de la famille de Lynn, tout ce qu’il y a de cassé ou de destructeur chez eux, de nous faire aimer ses personnages et on ressort la certitude que leur noyau familial à eux est solide même si tout est loin d’être résolu et c’est peut être l’autre message du film : une famille ça ne se choisit pas mais ce n’est pas quelque chose de figé, on construit chacun la sienne à chaque instant et rien que pour ça il y a toujours de l’espoir, très bien illustré par un très beau dernier plan sur Elliot à la fin.

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publié par le 08/02/12