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publié par Mélanie Fazi le 04/06/18
Céline Ollivier
- Grands espaces
Grands espaces

Nous n’avions pas, l’année dernière, écrit sur Grands espaces, le deuxième album de Céline Ollivier, et nous l’avons souvent regretté. Il nous a pourtant beaucoup accompagnés. Mais il s’agit de l’un de ces albums avec lesquels le dialogue s’établit au fil du temps. Pas un de ceux qui offrent au premier abord un concept fort ou un angle saillant permettant de le cerner en quelques mots dès sa sortie. Grands espaces est un album qui sait prendre son temps, et ce n’est pas la moindre de ses qualités.

Au-delà de notre adhésion immédiate pour quelques-uns des morceaux (« Où je reprends mon souffle », « Les goélands », « Pour la peine »), c’est au fil des concerts qu’il s’est dévoilé à nous. Les chansons y étaient présentées par des anecdotes chaque fois différentes qui en éclairaient le sens comme les pièces d’un puzzle patiemment assemblées. À l’issue de chaque concert, il nous semblait les connaître un peu mieux ; parfois, la rencontre s’y faisait soudain de manière fulgurante. Ainsi en fut-il de « Où je reprends mon souffle », dont nous avions aimé immédiatement la mélodie au motif circulaire et lancinant ; lors d’un concert particulièrement intense, la chanson nous prit à la gorge dans toute sa dimension poignante, dans ce qu’elle dit sur la transmission familiale et la façon dont nos proches (ici une grand-mère aimée et admirée) nous portent et nous aident à vivre.

Échos intimes

Ce n’est pas tant ce que dit la chanson qui nous touche à ce point ; ce n’est pas tant la pudeur émouvante avec laquelle la voix répète en boucle « Ne me laisse pas ». C’est aussi ce que l’on y projette de notre propre histoire, ce que l’on entend d’échos intimes derrière les mots. De façon similaire, « Pour la peine », où Céline Ollivier dialogue avec Alex Beaupain, réveille immanquablement nos propres souvenirs du « premier concert d’après », quelques jours après les attentats du 13 novembre 2015. La chanson capture avec une justesse désarmante le besoin de chaleur et de partage qui était alors le nôtre, et le lien si particulier que la musique avait créé entre nous ce soir-là – choqués, fragilisés, mais heureux d’être ensemble. « Bien sûr que ça vaut la peine/Qu’on y revienne toi et moi/Nous deux et puis tous ceux qui veillent/Ceux qui restent, ceux qui sont là. » Tout est dit.

En discutant avec d’autres personnes au terme des concerts, en les écoutant parler de cet album et de ce qu’elles y entendaient, il nous a semblé mieux comprendre nous-même ce qu’on venait y chercher. Tous s’accordaient, à raison, sur la finesse de l’écriture. Il y a là un vrai talent pour faire sonner les mots, mais peut-être plus encore pour les faire résonner. C’est ce qui fait qu’on tarde parfois à entrer dans certaines chansons, qui s’ouvrent ensuite à nous d’un seul coup, mais ce qui fait aussi que certaines phrases nous marquent au-delà de leur contexte (comme ce superbe « Quelle chance d’être debout » dans « Tes lèvres sur mon front »). Les textes de Céline Ollivier sont riches de sens et de possibles ; on peut y entendre ce que l’on choisit, parfois sans rapport avec l’intention d’origine – mais quand leur sens réel se dévoile, c’est encore plus poignant. L’écriture est dense et appelle à s’y arrêter, à y revenir parfois découvrir des nuances qui nous avaient échappé. Les mélodies, à leur tour, se révèlent plus complexes que nous ne l’avions perçu d’abord ; elles nous avaient semblé si évidentes, quand elles étaient, en réalité, patiemment construites et imbriquées. Et traversant tout l’album, la voix douce et tranquille, légèrement voilée, fait tenir l’édifice, au service des mots comme des émotions qu’ils véhiculent.

Main tendue

Si l’occasion nous est fournie aujourd’hui de rattraper notre retard pour vous parler de ce bel album, c’est qu’un nouvel éclairage vient de nous être offert sous la forme d’un clip un peu hybride, presque un court-métrage. Réalisé par Robi qui révèle, en parallèle de ses propres albums, un œil sûr pour l’image et un vrai talent pour la faire dialoguer avec les mots, il illustre « Tes lèvres sur mon front », présentée comme la chanson la plus intime de l’album. Huit minutes d’images en noir et blanc pour dire les retrouvailles de deux adultes qui pourraient être ou non les personnages de la chanson. Ici aussi, l’indéfini est riche de possibles ; à chacun d’en faire sa propre lecture. Le clip est à l’image de la chanson et du reste de l’album : sensible, pudique et touchant, fait de sourires, d’instants, de gestes d’affection et de complicité.

Grands espaces est un album riche et poignant, apaisant comme une main tendue. Il parle de tristesse et de manque, de liens et d’absences. C’est un album où l’on revient parfois cueillir de la chaleur, parfois panser nos plaies ; même la peine y est douce. Il s’enrichit au fil des mois de ce que l’on y découvre, mais aussi de ce que l’on y dépose. C’est un de ces albums précieux avec lesquels se construit une histoire.

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publié par le 04/06/18
Informations

Sortie : 2017
Label : Le chant du crocodile

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