Certaines séries ne paient pas de mine au premier abord mais dévoilent au fil des épisodes une finesse insoupçonnée. Nous n’aurions peut-être pas persévéré au-delà du deuxième épisode d’Orphan Black si notre curiosité n’avait été piquée par des personnages remarquablement campés, rappelant cet ancrage fort dans le réel qu’on associe plutôt d’habitude aux séries de genre britanniques.
Sarah revient à Toronto où elle a tout plaqué un an plus tôt pour suivre un amant violent qu’elle vient de quitter une fois de plus. Elle reprend contact avec son frère Felix, espérant qu’il l’aide à convaincre leur mère adoptive de la laisser revoir Kira, sa fille de sept ans qu’elle lui a abandonnée en partant. Alors qu’elle téléphone sur le quai de la gare, Sarah entrevoit une femme qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau et se suicide sous ses yeux quelques secondes plus tard. Sur un coup de tête, Sarah lui vole son identité : celle de la femme flic Beth Childs, suspendue suite à une bavure aux conséquences graves. Elle ne se doute évidemment pas du sac de nœuds dans lequel elle va se retrouver impliquée – pas plus qu’elle ne soupçonne l’existence d’autres « jumelles » dont elle va vite croiser la route.
Identités
Pris séparément, les divers thèmes autour desquels gravite l’intrigue sont des plus classiques : scientifiques sans scrupules, fanatiques religieux, personnages amenés à se méfier de tout et de tout le monde. Mais ce qui fait l’intérêt d’Orphan Black est en partie son habileté à détourner les clichés et les scènes attendues : on évite notamment les scènes de vaudeville crispantes qu’auraient pu occasionner les échanges d’identité réguliers des personnages. L’habileté de l’écriture et de l’interprétation fait le reste, passé les premiers épisodes où les personnages nous avaient semblé campés de manière un peu grossière. Il faut saluer en premier lieu la performance d’actrice de Tatiana Maslany, qui jongle avec pas moins de six rôles différents au cours de cette saison et réussit à donner à chacun une identité propre. Mention spéciale à Alison, la mère de famille exemplaire qui voit son univers voler en éclats, et à Cosima la scientifique, adorable geekette en quête de vérité. Les quelques scènes où ses personnages échangent leur identité témoignent d’une vraie subtilité dans le jeu d’actrice : on reconnaît chaque fois à de petits détails (accent, gestuelle) le personnage qui affleure sous le masque. La performance technique est aussi impressionnante que discrète : on oublie vite que les personnages que l’on voit se donner la réplique sont interprétés par la même actrice.
Regrets et non-dits
Le reste du casting est à la hauteur, et la série témoigne d’une attention particulière aux personnages secondaires. Notamment Felix (Jordan Gavaris), le frère gay déluré qui échappe à la caricature facile. Mais le personnage le plus intéressant est sans doute Siobhan Sadler alias « Mrs S. », la mère adoptive de Felix et Sarah. Maria Doyle Kennedy, croisée dans de nombreuses séries récentes qui lui ont rarement offert un aussi beau rôle, lui insuffle une humanité, une dureté mais aussi une ambiguïté remarquables. Mrs S. qui ne se présente au départ que comme une barrière entre Sarah et sa fille devient vite un personnage central du récit, avec sa propre histoire et ses propres enjeux. Il y a entre elle et Sarah quelques scènes particulièrement touchantes où les deux actrices font passer en quelques regards toute la complexité de leur relation, tous les regrets et les non-dits de leur histoire commune.
Finesse
De manière plus générale, les développements les plus intéressants naissent souvent d’éléments qu’on avait pris à tort pour des digressions destinées à mieux poser les personnages. La finesse de l’écriture des personnages aide par ailleurs à faire passer les nombreux retournements de situation, souvent axés sur la question de savoir à qui se fier ou non : Sarah et ses « jumelles » savent qu’elles sont surveillées, mais ne savent pas toujours par qui. Les motifs des uns et des autres, les doutes constants, sont posés au fur et à mesure de manière particulièrement plausible. C’est ce qui fait tout le prix d’une série qui reste pourtant classique dans ses thèmes et son intrigue, mais sait détourner en un clin d’œil les clichés et les passages obligés, même lors d’un final de saison qui s’empresse un peu trop de chambouler la donne. Une série à laquelle on s’attache finalement très vite, au-delà des réticences initiales, et dont on attend les développements futurs avec une grande curiosité.