Pour la 20ème édition de Rock en Seine, il fallait bien quelque chose d’exceptionnel, et ça n’a pas manqué : on est arrivé à l’heure sur le site du festival !!! avec même un bon quart d’heure de rab’ ! Celui-ci sera bien utile pour trouver le "passage secret" qui donne accès au crash photo de la Grande Scène : c’est en fait un petit couloir qui délimite "Le Garden", l’espace précédemment connu comme le "Golden Pit de la honte" et qui a donc été puni en étant rétréci et placé sur le côté droite, où il se fait oublier. Mission réussie pour le festival : gagner un peu plus de sous sans que ça vire au psychodrame et à la lutte des classes.
L’heure de pointe
... mais ça ne serait pas RES sans une polémique pour "basher" l’organisation : cette fois-ci c’est la queue à l’entrée du festival et les transports à la fin de la journée. Il y a une problème notable de gestion de crise en France dans ce genre de situation, due à une certaine... rigidité à appliquer des règles qui ne sont plus en adéquation à la situation. Mais quelque soit la qualité des transports et de l’organisation, aucune infrastructure ne peut accueillir des milliers de personnes et leur donner une entrée ou une rame de métro en quelques minutes. Si tout le monde arrive et part en même temps, ça sera toujours compliqué.
Lucie Antunes
La conséquence de ce goulot d’étranglement c’est qu’alors que le show de Lucie Antunes va commencer, on voit donc des dizaines de jeunes filles arriver en trombe devant la grande scène. Succès inattendu (mais mérité) d’un projet plutôt pointu auprès de la jeunesse ? On aimerait le croire, et ça semble en partie vrai car il y a de l’ambiance dans la fosse pendant le concert de la percussionniste... mais il y a aussi beaucoup de fans de Billie Eilish qui viennent réserver leur place pour la grand messe de ce soir et ne bougeront plus jusque là.
On avait encore en tête le formidable concert de Lucie pour le MaMA 2022 avec son show lumière hors du commun : des lasers sur des bras articulés télécommandés ou plutôt chorégraphiées à distance, installés en cercle autour des musiciens. L’installation est ici plus basique : Lucie et ses trois musiciens ont l’air de premier abord un peu perdus, tous regroupés autour du milieu de cette scène immense. On est en plein début d’après-midi, pas idéal on se dit pour créer de l’ambiance.
Et en fait pas du tout : dès le premier morceau, Lucie capte toute l’attention et sa musique instrumentale invite à la fête et à la transe. Elle combine un groove, une pulsation qui fera se remuer immédiatement des festivaliers qui ne la connaissent pas en majorité avec une écriture parmi les plus originales et intéressantes de ce qu’on a pu voir sur le festival.
Petit à petit les musiciens investissent tout l’espace scénique, s’approprient l’avancée dans la fosse prévue pour Billie Eilish, pour venir encourager le public à danser et l’intensité monte encore. Et Lucie, qui assume pleinement son role de chef d’orchestre mais aussi de frontwoman de cette formation, se fait véritable bête de scène.
C’était un drôle de pari que de programmer ce projet en début d’après-midi mais Lucie Antunes s’en sort haut la main et met la barre très haut pour celles qui vont suivre
Tove Lo
La suédoise Tove Lo arrive sur une grande scène aménagée avec des décors de nuage, qui font écho aux nuages projetés en fond de scène. Un set angélique ? une inspiration spirituelle ? On peut le croire pendant quelques secondes, avant que Tove ne débarque sur scène dans ce qui serait plutôt une tenue de démone ou de succube, pour le haut juste un top qui ne laisse pas grand chose à l’imagination, pour le bas un pantalon largement échancré, parfait pour les déhanchements sensuels et les déambulations chaloupées d’un bout à l’autre de la scène. Derrière elle, il y a un groupe avec un batteur, un bassiste et un guitariste mais en dehors de la rythmique l’essentiel de la musique repose sur des synthétiseurs très dance. Il est encore un peu tôt pour ça par la chanteuse ne ménage pas son énergie et à défaut d’être très original ou un tout petit peu rock, on peut dire que sa musique est relativement efficace et qu’une fois qu’elle a tombé les grosses lunettes de soleil, on gagne tout de suite en proximité et en empathie. Elle ira même jusqu’à tomber le soutien-gorge quelques secondes, on n’a pas vraiment compris pourquoi mais après tout pourquoi pas ? Cela résume plutôt bien notre expérience de ce deuxième concert de la journée.
Hannah Grae
Il fait bien chaud en ce début d’après-midi et la scène Firestone est en première ligne pour recevoir les rayons d’un soleil brûlant. Du coup la toute jeune Hannah Grae et ces musiciens ont choisi respectivement un mini short/jupe et un petit top noir pour elle et des bermudas pour eux (guitare-basse-batterie). Si on était dans les années 90, Hannah Grae serait surement comparée à Avril Lavigne : une nana mignonne qui fait du rock mélodique agrémenté de guitares qui ne dédaignent pas un son grunge. Ce serait un peu "injuste" : Hannah a carrément une belle voix et la puissance pour passer au dessus d’un groupe qui joue bien rock, une batteuse à la frappe bien lourde et un gratteux qui n’existe pas à saupoudrer des ryhtmiques bien heavy de quelques bouts de soli virtuose. Le son n’est pas très bon sur la scène Firestone mais peu importe le côté massif y est, Hannah déploit une belle énergie à arpenter la scène, tout le groupe est souriant, ça joue bien alors on se prend au jeu et on passe un bon moment. S’il peut manquer à Hannah quelque chose de différenciant, une petite touche d’originalité, le set live compense par sa générosité et une qualité d’interprétation certaine. Ah si il y aura quand même une surprise dans ce set et une bonne : une reprise du "What’s up ?" des 4 Non Blondes avec juste la guitare en accompagnement et les quatre membres du groupe assis sur le bord de la plateforme où est installée la batterie.
Et c’est comme ça qu’on se quitte, alors que le groupe entame son dernier morceau, on doit aller de l’autre coté du site retrouver Girl In Red
Girl In Red
Si Marie Ulven Ringheim aka Girl In Red doit avoir à peu près le même âge que Hannah Grae, on ne peut pas faire plus différent en terme de style, musical comme vestimentaire : Là où la Hannah galloise s’inscrit clairement dans une lignée de chanteuses pop-rock à la Avril Lavigne, Paramore, Garbage, Alanis Morissette etc et joue habilement du "cute" et du "sexy", la norvégienne cultive un look beaucoup nature : jean et chemise noire très ample, longues boucles chatains en désordre qui lui encadre le visage et des expression de visage très spontannées. La grande scène du festival pourrait sembler un peu trop grande pour elle mais ce choix est à la mesure de popularité gagnée très rapidement , surotut auprès d’un public féminin et assez jeune et surtout il suffit de quelques minutes pour se rendre compte que la jeune fille qui a commencé comme beaucoup d’autres en sortant quelques titres fait dans sa chambre sur Internet est devenue une bête de scène, une véritable tornade humaine qui court dans tous les sens , saute, brandit sa guitare, avec de beaux sourires et un regard qui vous "flashe" si vous avez la chance de le croiser.
Parfois une telle débauche d’énergie donne un peu le tournis avant de fatiguer, dans le cas de Girl In Red, cette énergie est communicative, elle fait monter l’adrénaline et vous fait passer un moment intense , plein de sensations chaotiques, de creux et de vagues qui vous emportent, (rappelez vous quand vous aviez quinze ans de moins et que vous jumpiez et pogotez tout devant , quand vous sortiez des concerst lessivé et trompé. Girl in Red c’est un peu retrouver tout ça mais en restant sec, si on a envie.
Comme on a une âme de pinailleur, on regrette un peu qu’elle est explosée aussi vite, qu’on n’aura jamais certainement l’occasion de la voir dans un cadre un peu intimiste, qui donne un peu plus de sens aux chansons du répertoire qui évoquent la fragilité, la vulnérabilité, qui sont touchantes dans leur sincérité mais il faut reconnaitre que c’est aussi une musique faite pour danser et pour tripper, de hacker la chimie de son propre corps, naturellement ou pas. Et c’est bien ce qu’on a eu, et comme on a eu la chance d’être tout devant au début du concert , cela se fait sans que la personne qui transparaissait derrière la musique se soit perdue et du coup c’est à ce moment là pour nous le meilleur concert de la journée.
Nieve Ella
Encore une jeune artiste sur la scène Firestone : Nieve Ella a tout juste 20 ans et un look qui nous interroge un peu : de longues jambes mises en valeur par une petite jupe blanche, un t-shirt I Love Paris qui semble sortir tout droit d’une boutiques à souvenirs de Montmartre et des chaussettes de sport blanches montées très haut dans des doc martens. Une interrogation qui ne va pas durer bien longtemps : Tout régalé de Girl In Red, on n’attendait pas forcément grand chose de l’artiste qui joue dans le spot juste avant Billie Eilish mais justement c’est d’autant plus agréable : beaucoup de gens ont choisi de zapper ce concert et d’essayer de se garder une place devant la grande scène alors il y a juste ce qu’il faut de densité humaine, le public est là quand même en quantité vu la taille de l’évènement et il est là pour profiter de ce concert dans la bonne humeur et dans des conditions optimales étant donné que le soleil ne tape plus comme pendant l’après-midi.
Mais surtout la musique est vraiment bien : une pop-rock très bien écrite, portée par une jolie voix féminine (voir deux quand la bassiste vient lui prêter renfort) et sans connaitre plus que ça le répertoire, on avait écouté quelques titres en amont du festival, on se dit déjà que pas mal de ses chansons ont un potentiel tubesque. Et on réalise d’ailleurs qu’il y a en fait des fans dans le public qui connaissent les chansons par coeur.
On ne s’y attendait pas trop mais on passe donc un très bon moment avec Nieve, qui n’a pas encore sorti d’album mais a déjà de quoi largement garnir un set de festival d’une quarantaine de minutes. Un tellement bon moment qu’on retarde de manière pas très raisonnable le moment de s’éclipser pour Billie Eilish avant la fin, pour éviter d’être bloqué dans l’immense mouvement de foule vers la grande scène.
Mais tant pis à quoi bon faire des festivals avec plein d’artistes géniaux à découvrir si on est toujours à regarder l’heure et à se presser ? Alors on en profite un peu plus et donc alors que Billie Eillish entame son set on est très très très loin de la scène.
Billie Eilish
On est pas totalement fan de Billie Eilish mais il y a un côté un peu "dark" dans le personnage, moins lisse que la concurrence qui la rend pour nous plus intéressante et on avait donc une connaissance raisonnable des albums. Ce qui ne nous empêchera pas de nous sentir quand même un peu déconnecté de ce concert, surtout au tout début où on ne voit que les écrans géants et où on est vraiment loin. Déconnecté de l’enthousiasme du public aussi. Mais le show comme l’artiste sont à la hauteur d’une grande scène et c’est quand même plutôt agréable à voir. On se balade à gauche puis à droite de la scène, on recule parfois pour essayer de mieux avancer ensuite et on voit donc diverses façons de vivre ce concert : vers l’avant on entend la clameur de fans hystériques plus qu’on ne les voit, un peu plus loin les gens dansent en masse compact et encore plus loin certains profitent du concert tranquillement installés avec parfois au milieu une ou deux personnes qui dansent seules, connectées en direct avec Billie et en ayant oublié le reste. On finit par atteindre le côté droit et la pente qui remonte légèrement vers le plateau où il y a le bar et les toilettes. De manière assez improbable dans cette immense marée humaine, on y retrouve quelques connaissances qui observent aussi le concert et on a l’impression qu’il y a ce même mélange d’appréciation pour le spectacle et de distanciation en même temps.
C’est peut être qu’on est "too old for this shit" ou juste pas fan ou juste snob et caricatural à préférer ce qui se passe sur les petites scènes mais vous l’aurez deviné si c’était officiellement la journée Billie Eillish, si on est plutôt ok pour dire qu’elle le mérite, ce n’est pas vraiment elle qui nous aura le plus fait vibrer en cette première journée de Rock en Seine.
Mais on ne regrette pas d’être resté jusqu’au bout et on trouve qu’elle a carrément de la gueule cette programmation 100% féminine !