Commençons par un mea culpa. Une règle sournoise veut que ce soit toujours au début d’une nouvelle année, alors qu’on vient de ranger la précédente dans les cases approximatives des classements et bilans divers, qu’on découvre l’album qui nous avait échappé. Celui qui aurait pu, qui aurait dû y figurer en bonne place, celui dont les autres ont parlé mais qu’on a découvert trop tard, parce qu’il y a tant de choses à écouter et si peu de temps, parce que ce n’était pas le moment, parce que la rencontre qui se produit avec une musique échappe parfois à toute logique. Telle fut la règle qui, avec un an de retard, fit tomber votre matelote dans cette chose étrange et obsédante baptisée Feu la figure.
Sous le non-sens
Se pose alors la question d’en parler ou non. Parce que ce deuxième album d’Arlt intimide, parce qu’on ne sait pas par quel bout le prendre, parce que d’autres en ont parlé beaucoup mieux qu’on ne saurait le faire, parce qu’on se laisse happer par la course à l’actualité au point d’oublier que la musique nécessite aussi qu’on prenne son temps pour l’écouter. Et puis finalement, l’idée d’une chronique décalée pour une musique qui ne l’est pas moins semble tomber sous le non-sens.
On pourrait tenter de décrire Feu la figure comme un singulier ménage à trois entre les textes de Sing Sing, les vocalises d’Eloïse Decazes et la guitare de Mocke, enfin pas seulement (les guitares sont deux, les voix aussi), mais ce serait une première approche possible. Ce qui fait l’étrangeté de l’album se joue dans un équilibre casse-gueule entre ces trois polarités. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que le résultat intrigue. Découvrant la musique d’Arlt par ce biais, on ne sait pas trop de prime abord ce qu’on est censé ressentir, ni même ce qu’on ressent exactement. Les réactions varieront sans doute d’un auditeur à l’autre. Ce fut d’abord pour moi une perplexité assez profonde pour avoir envie de revenir y rôder à la recherche d’une porte d’entrée. Puis, la porte trouvée au gré d’un déclic soudain, une non moins profonde hilarité, suivie d’une fascination euphorique. On s’y installe, on cherche ses marques, on les trouve plus ou moins. Et on s’étonne de s’y sentir si bien.
Timbres et collages
Feu la figure cultive les dissonances surréalistes à la Captain Beefheart, les titres improbables (de « Tu m’as encore crevé un cheval » à « Une sauterelle (dessinée par un fou) ») et les textes impossibles, se peuple de « Rhinocéros » à la Ionesco, vous plante dans la tête d’étonnantes images et d’intriguantes ritournelles qui continuent d’y ricocher longuement (« Sans mes bras », « Le pistolet »). L’alliance des deux timbres – la voix terre-à-terre de Sing Sing et celle, étrange et belle, d’Eloïse Decazes – produit quelque chose d’assez unique (oserons-nous dire « d’assez timbré » ?). On ne sait jamais trop où l’on se trouve, quelque part entre la farce, la poésie et le collage surréaliste. On s’amuse et on s’émerveille tour à tour, on découvre des choses graves et belles derrière ce qui nous avait d’abord fait rire, ou vice versa. On s’attend à y découvrir d’autres couches au fil du temps. Peut-être la description la plus juste de ce qui se joue ici tient-elle dans cette phrase de la présentation officielle qui déclare que « leur incandescente austérité fait des trucs ». En d’autres termes, il se passe quelque chose, reste à définir quoi.
Face aux dix chansons qui composent Feu la figure, on ne sait pas trop sur quel pied danser, alors on danse en équilibre instable et c’est bien mieux comme ça. Ayant échoué à décrire la musique d’Arlt en termes précis et pertinents, on se contentera de dire qu’elle ne ressemble à rien, et c’est finalement le meilleur compliment qu’on puisse lui faire.