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publié par Ben Gaston, Mathilde Vohy, Natalia Algaba le 23/04/19
Anna Calvi + Shannon Wright + Requin Chagrin + Kate NV + Circé Deslandes + Cœur - Les Femmes S'en Mêlent 2019 - 04/04/2019

Une première soirée pop-rock sublime, tendre et sauvage

Coeur

Jeudi 4 avril. 19h45. La météo est plutôt clémente sur Paris et un air printanier plane au dessus du Trabendo. Cette année, c’est Coeur qui a la lourde tâche d’ouvrir le festival et de préparer le public à recevoir, entre autres, Shannon Wright et Anna Calvi, têtes d’affiche de cette édition. Quand on sait à quel point l’amour de la musique anime l’organisation des Femmes S’en Mêlent, on se dit qu’une 22ème édition qui débute avec une artiste nommée “Coeur”, ne peut être que réussie.

Coeur remplit d’ailleurs son rôle à merveille et éveille la curiosité des spectateurs qui se font de plus en plus nombreux. Echappée du duo Schlaaasss, Charlie Duran, de son vrai nom, vacille entre le punk et le rap, et, en parallèle, entre le romantique et la rébellion. Sa trap est puissante et les paroles intenses. Sur scène, Coeur semble très à l’aise et occupe parfaitement l’espace. En seulement 45 minutes, l’artiste a le temps de se revêtir d’une robe de mariée, puis d’un look streetwear à base de baskets/jogging/débardeur blanc et même de nous proposer quelques tours de hula hoop. Une énergie débordante, un flow entraînant et un choix idéal pour amorcer la suite du festival !

Kate NV

Nous quittons ensuite le soleil pour rejoindre le noir de la scène du Trabendo. Entre l’ombre et la lumière, passage obligatoire par le hall de la salle dans lequel sont exposées 6 illustratrices. Les Femmes S’en Mêlent, ce n’est en effet pas que de la musique mais bien la volonté de mettre en lumière des artistes féminines talentueuses, qu’elles soient chanteuses, cinéastes ou dessinatrices. Après le plaisir visuel que nous procurent les œuvres exposées, place aux oreilles.

Quand nous arrivons aux abords de la scène, Kate NV a déjà commencé son set. Seule personne "vivante" sur scène, l’artiste russe est tout de même bien accompagnée. En effet, une dizaine d’instruments, dont certains très originaux, l’entourent. Les sonorités sont électroniques mais le style, bien difficile à décrire. Parfois dance, parfois new wave, souvent pop. Le moins que l’on puisse dire c’est que Katya Shilonosova, de son vrai nom, fait preuve dune vraie originalité et que ses morceaux futuristes transportent.

Circé Deslandes

Retour en extérieur. Nous commandons une pinte pour profiter des derniers rayons de soleil le temps que la troisième artiste de cette soirée s’installe. Après un concert de trap survolté, puis de synth-pop féministe, nous voici face à Circé Deslandes, chanteuse française écofeministe. On ne pourra pas dire que la carte "programmation éclectique" n’a pas été jouée à fond. Circé Deslandes commence les hostilités avec son tube « Ta bite ». Si aux premiers abords les paroles peuvent faire rire, on comprend rapidement que leur vraie vocation est d’éveiller les consciences et sensibiliser les spectateurs à la cause féministe. Pour éveiller les consciences, l’artiste est d’ailleurs aussi créatrice composite, tarologue et thérapeute. Durant ses 45 minutes de set, en robe noire et bas-résilles déchirés, Circé Deslandes abordera, entre autres, les questions du viol, du fantasme et du patriarcat et laissera planer un réel sentiment de girl-power !

Requin Chagrin

Ni une, ni deux, on file ensuite dans le Trabendo pour la suite des concerts et l’arrivée de celles et ceux qui sont les têtes d’affiche de ce jeudi, voir de cette 22ème édition des Femmes S’en Mêlent. Nous rencontrons d’abord Requin Chagrin, seul groupe dont les membres ne sont pas exclusivement féminins. Néanmoins, quand on voit avec quelle détermination Marion Benetto mène sa tribu, on comprend ce choix de programmation. La chanteuse est en effet la tête pensante et l’icône du groupe. Révélés en 2015 avec le titre « Adélaïde », les Français sont aujourd’hui en pleine conquête de la dream pop française et partiront à l’assaut de nombreux festival tels que le We Love Green cet été. Notre première réaction lors de leur passage aux Femmes S’en Mêlent : "ça fait carrément penser à Indochine !". Quand on sait que leur deuxième opus, Sémaphore, a été publié sous l’égide de KMS Disques, label de Nicolas Sirkis, on comprend mieux. Pendant une heure, les Requin Chagrin nous ferons danser avec leurs titres « Sémaphore », ou « Mauvais Présage » et introduiront parfaitement les deux artistes suivantes !

C’est maintenant au tour de la torride et sauvage Shannon Wright d’investir la scène intérieure du Trabendo. Shannon Wright, on la connaît bien au Cargo !, on la suit depuis des années et on a déjà eu la chance d’enregistrer quelques sessions avec elle au fil du temps. On était impatients de la revoir et on n’a pas été déçus de sa prestation, bien au contraire, l’américaine nous a bouleversé, fasciné, envoûté… les mots me manquent pour parler de sa prestation enragée, sulfureuse, électrique !! Incarnant un mélange de Patti Smith et Jimi Hendrix et accompagnée de l’excellent Raphaël Séguinier à la batterie , elle s’approprie la scène avec des riffs noisy qui s’enchaînent.

Et ça démarre très fort avec « Plea » et ses notes au son lourd. On aperçoit à peine son visage, caché derrière ses longs cheveux qu’elle fait bouger de haut en bas, de droite à gauche, dans un mouvement frénétique de sa tête et de tout son corps. Shannon semble habitée, elle ne nous regarde pas mais elle occupe la scène et on a dû mal à croire qu’il n’y a qu’une seule guitare, on regarde bien, on cherche une basse, une autre guitare, mais non, la force de sa seule jazzmaster marque le rythme que suit en parfaite symbiose le virtuose Raphaël dont le jeu de batterie est bluffant et remarquable. Une mélodie de xylophone enregistrée un peu angoissante marque une pause entre les morceaux, Shannon ne s’adresse pas au public, malgré sa rage, elle a l’air timide, absente, habitée par son jeu et sa musique. Elle enchaîne son set avec « Commoners Saint » et « Black Little Stray » qui nous laisse KO avec cette fin presque a capella où elle s’éloigne du micro pour chanter sans artifice, s’approchant du public, « tu es trop forte Shannon ! » crie quelqu’un. On a des frissons. Le public hurle, applaudit, emporté par ce moment magique, on est passé d’un rock noisy endiablé à cette mélodie envoûtante en quelques minutes. D’une voix soft, tendre, un peu timide, elle remercie ce public qui est là pour elle. Et l’énergie de la rockeuse se confond avec cette petite voix qu’on entend à peine.

Mais le set reprend vite, avec des titres plus apaisés comme « Let in the light » ou « Idle » avec un jeu de batterie plus relâché. Quelqu’un crie « je t’aime » entre les morceaux mais elle a l’air de ne rien entendre, emportée par sa propre musique. Même une petite panne de courant ne la fera pas s’arrêter, elle continue, comme si de rien était, avec à nouveaux des sonorités très rock, ce n’est plus sa tête qu’elle remue, c’est tout son corps qu’elle bouge, comme possédée par la puissance ravageuse des titres tels que « Over the sun », « If Only We Could », « Portray » et ça monte en puissance, ça monte, ça devient complètement fou. Shannon crie et la batterie de Raphaël suit parfaitement bien ce rythme endiablé. L’intensité du concert est au maximum « Putain la Shannon Wright ! ! » s’émerveille le mec derrière moi…et c’est sans compter la fin en apothéose avec une Shannon qui gratte sa guitare à terre, les jambes en l’air. Elle fait l’amour à sa Jazzmaster, elle est torride, intense. Et puis, c’est la fin, elle lance une bise de la main au public et disparaît. On en redemande encore, on a adoré sa prestation, sauvage et tendre, à l’image de l’américaine. Mais c’est le tour maintenant de la merveilleuse Anne Calvi.

Et c’est sur une scène complètement vide et sombre que l’extraordianire Anna Calvi fait son apparition, toute seule, vers minuit. D’une extrême élégance, chemise rouge de la même couleur que ses lèvres, pantalon noir, bottes blanches, elle entame son set par « Rider to the sea » et gratte sa Télécaster bien collée à son corps. Peu à peu la salle s’illumine et les notes de « No more words » résonnent au milieu d’une salle d’un silence sépulcral. L’ambiance est hypnotique. Elle enchaîne avec « Swimming Pool » et « Suzanne and I » avec un puissant jeu de guitare accompagné de quelques touches de lumières. On la regarde remplir la scène du Trabendo alors qu’elle y est toute seule grâce à son charisme, sa précision de jeu et son chant virtuose.

Et c’est sous des lumières rouges qu’elle chante « As a man », sans doute un de mes titres préférés de l’année 2018, suivi du classique « I’ll be your man ». La scène reste assez sombre et la performance féroce, solide et extraordinaire. Elle retourne à son dernier album Hunter avec « Don’t beat the girl out of my boy » aux riffs puissants et brutaux et, sans s’adresser encore au public, elle entame le huitième titre du set, « Indies or Paradise », avec un solo de guitare magistral.

L’énergie est à son comble, le public hurle quand elle commence les premières notes du sublime et dense « Wish », après lequel elle remercie enfin le public : « Thank you so much. Ça va ? » dit-elle en français « et toi ? » demande l’audience, « ça va très bien, merci » et, malheureusement, on touche à la fin du set avec « Alpha » où l’anglaise s’approche du public pour un brutal solo de guitare. A la fin du titre, elle jette sa Télécaster par terre et quitte la scène en laissant le son des cordes résonner entre les applaudissement et les « on t’aime » du public.

Très vite elle revient pour un rappel, « Jezebel », une reprise de la chanson de Frankie Laine, chantée déjà par Edith Piaf, qu’elle chante en français et elle s’éclipse pour de bon, cette fois-ci, nous laissant sous le charme. L’immense Anna Calvi nous a livré un set étonnant, sublime, d’une maîtrise vocale à tomber par terre ! Comme à son habitude, elle ne nous a pas déçus.

La première soirée de LFSM arrive ainsi à sa fin. On est ravis. On aura raté le dernier métro et on sait qu’on doit se lever tôt demain, mais on s’en fiche. Sur le taxi de retour on se dit qu’on a adoré, qu’on a bien fait de venir, qu’on a découvert ou redécouvert des femmes extraordinaires et qu’on hâte de dénicher le reste du festival. Cette première journée fut sublime, tendre, rock, pop, sauvage, drôle, inattendue, hypnotique et surtout inoubliable !

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