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publié par Mickaël Adamadorassy le 15/04/20
Alain Damasio - Les Furtifs
Les Furtifs

Il y a un livre que je recommande systématiquement à mes amis amateurs de fantastique et autres "littératures de l’imaginaire", et encore plus à mes amis allergiques à cela : La Horde du Contrevent d’Alain Damasio. Univers riche et original, personnages creusés, une qualité littéraire évidente doublée d’un plaisir communicatif à jouer avec les mots. Et quand on finit l’aventure, le portée philosophique de la quête a de quoi vous rester longtemps en bouche. Je ne suis pas le seul apparemment car d’année en année, à force de bouche à oreille, Alain Damasio est devenu une star, peut-être la seule star en France d’une sphère littéraire snobée par les médias et les prix littéraires, qui a du mal à élargir son audience au delà son public de prédilection.

Prophétique ?

Quand le bonhomme sort un nouveau livre c’est donc un événement et les quelques informations qui filtrent sont alléchantes : un roman d’anticipation qui résonne totalement avec notre présent, où les pouvoirs publics ont quasiment démissionné, laissant libre court à un méga-capitalisme non pas décomplexé mais carrément maléfique. Les villes font faillite et prennent le nom de la multinationale qui les renflouent (Civin, pour Vinci en verlans, Orange ... rachetée par Orange, ils ont déjà le nom c’est moins cher en droits, Paris-LVMH). Les inégalités explosent. Tout le monde est pisté, profilé via son accès au réseau. Bref la somme de toutes les peurs que vous pouvez avoir sur les méfaits de la technologie, en particulier en France.

Dans ce futur cauchemardesque et pourtant parfois séduisant, on suit Lorca, quadra embarqué tardivement dans une unité d’élite de l’armée qui traque les Furtifs, une espèce animale aux fantastiques pouvoirs de camouflage et d’agilité dont on a encore pu capturer aucun spécimen vivant car ils se transforment en statues si un humain arrive à les apercevoir. Lorca s’est engagé pour une raison précise : il pense que les furtifs sont impliqués dans la disparition mystérieuse de sa fille.

Jusque là tout va bien, on suit Lorca et sa "meute", une équipe de soldats haute en couleurs, qui traque les furtifs. L’univers anticipé par Damasio, ses progrès grisants et ses inégalités exacerbées et le drame personnel vécu par Lorca et sa femme, tout cela est introduit progressivement, sans longues descriptions et flashbacks incessants, sans "ralentir" une quête qui vous tient déjà en haleine.

Pamphlétique

Et puis très vite Damasio bascule dans le pamphlet anti-capitaliste et anti-technologique. Ce qui en soit n’est pas un problème, on peut apprécier un livre sans adhérer à l’idéologie de l’auteur. Pour ce qui est de la critique de la technologie dans la SF, la plupart des grands succès cinématographiques du genre présentent la technologie comme un ennemi mortel si on arrive pas à la maîtriser. Les luttes sociales ont donné aussi certains de nos chefs d’oeuvre littéraires et des grands réalisateurs.

Bref on pouvait écrire un livre brillant avec ces éléments, les Furtifs l’est d’ailleurs par bien des aspects, dont la symbolique, celle de l’espèce qui lui donne son nom en particulier. Mais aussi les personnages comme Varech, les personnalités savantes mises en scène et leurs délires scientifiques, littéraires ou mystiques. Les furtis auraient pu être un livre qui aurait été lu par les fans du genre et au delà, peu importe leurs idées politique. Dans le métro même par un trader haute-fréquence se rendant à son job à la Défense avec les échos et Capital dans son attaché case en cuir. Là c’est tellement partisan, les ficelles sont tellement grosses pour désigner les gentils et les méchants qu’on croirait plutôt lire un blog de Mediapart, un tract de la France Insoumise ou de Attac.

Ethique ?

C’est la première fois je crois qu’un livre me tombe des mains, tant ce qui est exposé me semble caricatural, partial, pas apte à nourrir la réflexion que la bonne SF est censée amener.

Je ne doute pas par contre que comme la Horde du Contrevent ce livre rencontrera un fort succès en France, surtout auprès d’un public jeune. Après tout des cyber-zadistes qui pratiquent le parkour, adore la vie lo-tech en communauté saupoudrée de mysticisme, qui luttent contre un pouvoir politique bête et maléfique, des entreprises qui ressemblent à des syndicats du crime et qui n’ont aucune conscience sociale ni écologique, ce n’est pas si loin de la vision de la société manichéenne et simplifiée à outrance que certains politiques leur vendent déjà.

Qui tique

Mais pourtant quand il ne me tombait pas des mains, il a ses bons moments ce bouquin, des personnages excellents, une histoire qui même si on adhère pas à l’idéologie se tient. Un talent d’écriture bien sûr, un talent poétique, un talent de dialoguiste aussi : comme dans la horde, Damasio raconte l’histoire à travers différents personnages de façon magistrale : la personnalité de chacun transparaît sans problème dans leur façon de s’exprimer. Il y a aussi un jeu assez jubilatoire avec les mots qui s’opère en rapport avec l’histoire, qu’on ne spoilera pas.. on lui reprochera quand même que poussé à l’extrême ça en devient juste incompréhensible.

La plus grande "trahison", pour le cartésien en moi en tout cas, est quand Damasio nous explique que les furtifs seraient responsables en partie de l’évolution, ce qui revient à réintroduire un être "magique" comme créateur, là où il n’y en a absolument besoin, le vivant, la science a sa propre magie, sa propre histoire qui se tient sans qu’on soit obliger d’y introduire un élément mystique. Un éloge du mysticisme récurent dans le livre, tandis que réalité virtuelle, transhumanisme sont ostensiblement classées dans les choses mauvaises alors que les deux peuvent répondre aux mêmes aspirations de l’être humain.

Meetique ?

Finalement ce que moi je retiendrai des Furtifs c’est... une histoire d’amour. D’un père pour une fille. Une histoire d’acceptation et de tolérance, pour un père qui voit le corps de sa fille changer, pour une société qui découvre soudain qu’elle vit avec une autre espèce et là pour le coup je crois volontiers avec Damasio qu’on serait prêt par peur et par bêtise à commettre un autre génocide. C’est une façon aussi de nous ramener à notre effet sur les espèces existantes qui parfois ne sont pas furtives mais juste invisibles pour nous. Dommage que tout cela soit desservi par une vision politique qui n’est pas vraiment bien défendue par l’aspect anticipation : Damasio ne prouve pas que le capitalisme est le mal (certains d’entre vous me diront que cela n’a plus besoin d’être prouvé.... c’est un autre débat), il crée un univers et une histoire qu’il a forgés pour faire passer ce message. Ce qui en soit reste valide en SF mais pas si on a l’impression que les dés sont totalement pipés, que la démonstration intellectuelle ne résistera pas à une analyse fine où l’on remplace gentils et méchants par des gens et des systèmes dans leur complexité.

Damasio n’est d’ailleurs pas un auteur qui se réclame du "genre’" SF/Fantastique, pour lui c’est un medium qu’il tort sans complexe, un outil pour exprimer ses idées et disons-le encore une fois on n’est pas allergique à la politisation, ni même à toutes les idées exprimées ici simplement pour nous ici ce processus se fait au détriment du reste, l’équilibre délicat de la Horde entre l’histoire et le message que l’auteur veut faire passer n’y est pas.

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publié par le 15/04/20