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publié par Fabrice Privé le 19/09/19
17 août 2019 - Route du Rock 2019 -
Route du Rock, 2019 — Fort de Saint-Père, Saint-Malo

Samedi

Jamais deux sans trois. C’est lamentable, mais justifié par une stratégie vestimentaire hydrofuge aussi compliquée à arbitrer que parfaitement inefficace : on rate la prestation des Hand Habits de Meg Duffy, la délicate mais virtuose guitariste de Kevin Morby. Par contre, ce soir, la pluie ne nous ratera pas. Anecdotique la veille, elle va malmener le cours normal de cette dernière soirée.

Bonne nouvelle : malgré l’austérité de ses lunettes en culs de bouteille et sa mine de lavabo, la grande tige Bradford Cox est en forme ce soir. Il confessera d’ailleurs plus tard que les conditions météorologiques tempérées ne sont pas étrangères à sa bonne humeur, avant d’enfiler un magnifique ciré jaune. Ou comment faire preuve de compassion mais avec style. Et la prestation embuée de Deerhunter n’en manquera pas. Elle suintera même la grande classe par tous ses pores  : décollage ouaté avec la dream pop d’"Agoraphobia", virage rapide autour du récent opus "Why Hasn’t Everything Already Disappeared ?" et atteinte de l’altitude de croisière pour dessiner une longue et belle trajectoire dédiée à l’album “Halcyon Digest” (2010). Comme si Bradford Cox, adossé à son répertoire bien rembourré, avait choisi de reprendre les choses exactement là où il les avait laissées après son premier passage ici, en 2009. La licence artistique au dessus des contingences promotionnelles, ça donne une enfilade "Helicopter", "Revival" et le parabolique "Desire Lines". Ou le final stratosphérique avec "He Would Have Laughed", sous une pluie de sons racés, une bonne averse et un déluge d’applaudissements.

Il va être temps de vérifier que les travaux de drainage, lancés il y a quelques années sur le site du festival, ne concernent pas encore la zone de la petite scène. Effectivement, la boue y sera correctement brassée devant la prestation de Pottery. Les canadiens sont le troisième et dernier atout abattu par le label Partisan Records lors de ces 3 jours (après IDLES et Fontaines D.C.). Et pas le moindre. En cette saison de mousson, on avait bien besoin de ce post-punk qui fait la fête plutôt que la gueule. Post-punk étant seulement la couleur dominante car de nombreuses nuances viennent enrichir le spectre musical : garage, jungle pop, psych, college rock... tout y passe avec une fausse facilité, une vraie maîtrise, une décontraction insolente et un charme fou. Les déjà tubes "Hank Williams" et "Lady Solinas" côtoient de futurs tubes inédits, et le set se termine, à toute blinde, par ce long "Lifeline Costume" que ne renieraient pas King Gizzard & The Lizard Wizard. Un concert totalement imperméabilisant. Compliment ultime, vu la pluviométrie du moment.

Je me réjouissais de voir les Growlers, ayant un gros faible pour leur surf-pop garage, caribéenne et caverneuse. Particulièrement pour l’album "City Club", celui gonflé aux hormones par Julian Casablancas et que les puristes du groupe vomissent. Ce fut la douche froide, au propre comme au figuré : leur légendaire nonchalance s’imbibe de l’humidité ambiante, devenant vite pachydermique et rébarbative. Je reste persuadé qu’avec un soleil rasant et une caïpi en main, le charme aurait opéré. Là, je tourne à la bière coupée à la pluie, je suis en train de m’auto-intoxiquer sous ma capuche et j’en ai déjà plein les non-bottes (mon autre grand regret du jour). Je décide d’opérer un repli stratégique pour ne pas hypothéquer le reste de la soirée et je sèche (lol) la fin du set.

Avec Metronomy, je compte bien me replonger dans les bandes originales des printemps-étés 2011 et 2014 (respectivement les albums "The English Riviera" et "Love Letters") pour m’extraire mentalement de ce bourbier. La longue introduction est sympathique mais un brin factice, chaque membre déclinant tour à tour son pedigree zodiacal aux sons de "Boy Racers". Mais à cet instant, comme on a tous le sex-appeal d’une mouette mazoutée, un peu de chaleur humaine, même simulée, fait du bien. Visuellement, on est déjà ailleurs : tenues vestimentaires retro-futuristes (tendance "2 Laborantins à Miami") et installation scénique raccord, avec un plancher de néons sur lequel va être déroulé un tapis de hits. Et ça commence fort avec le trio "Heartbreaker", "The Bay", "Everything Goes My Way" (Anna Prior à l’honneur). Soit une certaine idée de la perfection pop, électronique ou non. Plus tard, une version tripante de "Reservoir" viendra piquer le ventre mou du concert, dédié à la présentation du futur album "Metronomy Forever". Une ultime nouveauté, le calorique "Salted Caramel Ice Cream", sera arrimée au dernier train de tubes qui nous roulera délicatement dessus : "The End of You Too", "Old Skool" et les irrésistibles "The Look" et "Love Letters", avec leurs breaks libérateurs. C’est dans la béatitude que la foule dansante baigne désormais. L’électrique et ancestral "You Could Easily Have Me" sert de défouloir final à cette prestation bienveillante et euphorisante.

Même différé par la chenille qui redémarre (elle fête dignement ses 5 ans), le retour à la réalité va être compliqué. Surtout qu’il y a une pause d’une demi-heure dans la programmation. Plan pour la mettre à profit : 1/ asseoir définitivement la domination de l’alcool sur l’eau. 2/ passer dire aux Magnetic Friends à quel point leurs intermèdes mythiques, réduits à la portion congrue par les enchaînements scéniques millimétrés, manquent 3/ tenter d’intercaler une couche imperméable supplémentaire entre deux qui ne le sont plus (grande idée la hutte de sudation portable...).

Comme je commence à être aussi chargé qu’un porte-conteneurs, je vais me poster devant de belles projections monochromes. Celles qui illustrent le set de David August, et plus précisément - et majoritairement - la retranscription live de son album "D’angelo", qui explore, de manière fantasmagorique, ses racines transalpines. Soit une house spectrale, chantée et organique avec laquelle le producteur touche-à-tout allemand a trouvé une esthétique forte et différenciée. Le morceau titre, "Narciso" ou "33chants" sont de vraies réussites. Dommage qu’August fasse régulièrement des détours par des sonorités plus convenues et fadasses qui cassent la singularité du set et lui font perdre sa granularité brumeuse et nouvelle-vague.

En parlant de grain, la pluie a redoublé. Cette ambiance d’urgence climatique doublée de celle de fin de festival, où surexcitation et fatigue accumulée entrent dangereusement en contact, sera le théâtre parfait de la prestation d’Oktober Lieber. Un moment irréel capturé par la darkwave technoïde du binôme : la foule est compacte et (pas du tout) essorée, même ceux qui ont opté pour l’association osée leggings-bottes prennent l’eau de toute part, on piétine un dancefloor en friche, on headbangue en rythme avec le renard et la belette empaillés au dessus de la clôture de l’espace bénévoles, les corps ne répondent plus qu’aux injonctions du rythme... Et les kicks tombent dru : en live, Charlotte Boisselier et Marion Camy-Palou radicalisent le propos, façon Detroit-Sheffield-Berlin, faisant tourner en rotation lourde la bande son de cette apocalypse zombie et météorologique. Morceaux de choix : "The Attacker" (ah la souveraineté synth-disco de ce titre, même bien punk ici) et le tabassage en règle de "Her Morphology". Dantesque.

Dans d’autres conditions, la transition avec le set sûrement aussi tendu de Silent Servant aurait été toute trouvée. Pas là : quand on commence à se noyer dans ses propres vêtements, il faut savoir s’exfiltrer. On quitte donc le site en mode évacuation sanitaire. Sans faire une demi-heure de queue pour une énième galette-saucisse. Sans avoir même le temps de verser sa petite larme en laissant le Fort derrière nous. Mais avec la mémoire déjà saturée de bons souvenirs et la trentième édition dans un gros coin de la tête.

Merci à Roseb, Gweki et Rebine. Ce fut bien bon, surtout avec vous. Merci à Yann.

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publié par le 19/09/19