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publié par Fabrice Privé le 18/09/19
16 août 2019 - Route du Rock 2019 -
Route du Rock, 2019 — Fort de Saint-Père, Saint-Malo

Vendredi

Mauvaise habitude : nous sommes à peine aux abords du fort que l’élégiaque "Everything Apart" se fait entendre au loin. Le set de Foxwarren est déjà largement entamé. Nous non (enfin, il y a bien cet étrange barbu en queue de peloton, qui braille comme une belette étranglée). Bonne résolution : ce soir, le Ricard ne sera pas tricard.

Le temps de capter les dernières bonnes ondes de l’indie-folk en sustentation du groupe d’Andy Shauf, je pars me placer devant un autre orfèvre : Tim Presley. Largement dédié à l’album "I Have to Feed Larry’s Hawk", le concert de White Fence sera de la vraie dentelle. A en faire pâlir une bigouden. Ce petit miracle auditif est porté par une voix gracile, à l’image de son propriétaire maquillé comme un Pierrot mod. Le son est à la fois riche et élémentaire, élégamment garage. Le groupe délivre une pop psychédélique et équilibriste, qui se raccroche souvent aux comptines lunaires de Syd Barrett ("Can You Blame", "Fog City"). On entend aussi Love, Kaléidoscope (UK), la voix de Neil Young sur "Phone" ou des guitares velvetiennes sur "Solitude Cola". Entres autres pistes, car le concert en explore beaucoup, les brouille en permanence, casse le rythme via des morceaux plus turbulents ou l’étire lors de sinuosités acid rock ("Run by the Same", "Lizards First"). Exigeante jusqu’au bout, l’expérience sera gratifiante pour ceux qui ont su (s’)accrocher, sous la flotte de surcroît. J’en suis.

J’étais un peu dubitatif quant aux chances de succès de la greffe Altın Gün sur le public de la Route du Rock. Voire sur moi-même. J’ai été joliment désavoué. Le concert du groupe turco-néerlandais a satellisé cette seconde soirée dans un nuage de percus, de saz électrique, de claviers gluants et de voix célestes. Invoquant aussi bien le folklore turc que sa délicieuse "bâtardisation" 70’s avec le rock psychédélique ("Leyla") ou le funk ("Vay Dünya"), Altın Gün a dessiné le triangle parfait technicité/humilité/intensité. Et la géométrie devint belle. La chimie avec le public aussi. La chanteuse Merve Dasdemir semble surprise/ravie de voir autant de monde crowdsurfer (sur une mer de capuches multicolores) au son des petites tueries discoïdes "Köroğlu Dağlari" ou "Süpürgesi Yoncadan". Bascule jour/nuit superbement assurée. La boum peut commencer.

Hot Chip, soit tout le contraire de Tame Impala : on ne cherche pas à restituer le son des albums, on le malaxe, on le densifie et on le fait monter en tension au fil d’un set exemplaire qui ressemble à un long mix. Mais avec la réelle plus-value du live. Les visuels géométriques en imposent sobrement, l’efficacité du groupe est balistique, son plaisir communicatif. Cet enchaînement "Flutes" et "Over and Over" de légende... Même la piano house maniérée du récent album "A Bath Full of Ecstasy" se charge en électricité et se fait choquer par une reprise du "Sabotage" des Beastie Boys. Quelques minutes auparavant, une citation in extenso du "French Kiss" de Lil Louis avait provoqué une première remontée acide. Le fédérateur "I Feel Better" pour conclure et c’est plié : ce groupe sait tout faire et le fait bien. Alexis Taylor peut porter un chapeau fromagé, faire danser les enfants du groupe (baptisées les Microchips !), Joe Goddard pourrait monter un meuble en kit, sur scène, seulement avec la bouche : on trouverait ça génial tant le groupe, d’une compacité exemplaire, semble en mission. Les londoniens talonnent désormais LCD Soundsystem dans la réinvention 2.0 du funk band des 70’s.

Quand on part assister à la prestation des Crows, entre Hot Chip et 2ManyDJ’s donc, on a l’impression de sortir se binge-cuiter sur le parking, pendant le bal de fin d’année, avant de retourner sous la boule à facettes pour le quart d’heure américain. Une recharge salvatrice. Une grosse décharge aussi. Dès l’entame "Silver Tongues", l’atmosphère aux abords de la petite scène est saturée d’électricité, zébrée de lights convulsives et aspirée par la présence magnétique du groupe (et de son rottweiler en plastique). Imposants, tant par leur stature que leur son massif, les protégés de Joe Talbot (IDLES) vont maintenir une pression constante 40 minutes durant. Principalement par le biais du chanteur James Cox dont l’activité, sur scène et dans le public, participe au vertige. Fin des hostilités sur "Chain of Being", sorte de "Dancing in the Dark" dark. Drapeau blanc. Post-punk joué comme du stoner, rock garage qui s’essaie à la coldwave, psychobilly qui vire shoegaze... Comme sur album, on n’a toujours pas résolu l’équation musicale du groupe. On a juste pris sa retranscription scénique, monobloc, en pleine tête.

Facile mais judicieux : les 2ManyDJ’s ménagent la transition et règlent la mire avec "I Wanna Be Your Dog", avant de lâcher un tapis de petites bombes et de gros tubes sur un public consentant. Je cherche du regard d’éventuels fans de Beirut qui n’auraient pas été prévenus du remplacement. Je ne vois personne en détresse respiratoire, roulé en boule, prêt à se suicider par sur-ingestion de galettes-saucisses. Mais plutôt des sourires béats, des corps qui ondulent et des clins d’œil entendus qui s’échangent. La formule des frères Dewaele est maintenant parfaitement rodée mais sa technicité et sa portée ludique restent percutantes. Surtout sur la seconde section du mix, quand les vannes sont grand ouvertes : "Girls", "Blue Monday", "I Feel Love", "Relax", "Pump Up the Jam" ou leur récente relecture du "Work It" de Marie Davidson... Les évocations des artistes du festival jadis remixés par Soulwax (Hot Chip, Tame Impala) sont également de la party. Prétention minimale, efficacité maximale.

Crack Cloud est une communauté pluridisciplinaire de Vancouver dont la vocation est de canaliser/catalyser l’énergie vitale et créatrice de certains de ses membres pour les maintenir à distance de l’addiction. Autant dire que le changement d’ambiance est radical. Leur approche musicale l’est aussi : elle tend un arc transatlantique entre une certaine no-wave (James Chance, Liquid Liquid) et le post-punk de Gang of Four ou du Pop Group. Au programme : chant concassé, frénésie rythmique, guitares abrasives (grain 40) et un saxo qui cisaille l’espace sonore. Pas de cercle de libération successive de la parole ici : s’il y a une thérapie de groupe à l’œuvre, elle passe par une grosse décompression continue et collective. Car c’est une véritable tribu qui tient la scène, avec en son centre le totem/batteur/chanteur Zach Choy. Les voix sont mutualisées et jusqu’à 4 guitares se répondent pour générer la transe. Quand le bon alignement de fréquences est trouvé, ça donne la géniale scansion de "Time Unsubsidized", le déjà classique "Drab Measure" ou "Swish Swash", ce morceau singulier qui clôt la session par un long et beau mantra instrumental. On choisit ce bon de sortie, après une soirée aussi contrastée dans ses ambiances que parfaitement homogène dans sa grande qualité.

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publié par le 18/09/19