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publié par Fabrice Privé le 17/09/19
15 août 2019 - Route du Rock 2019 -
Route du Rock, 2019 — Fort de Saint-Père, Saint-Malo

La Route du Rock aura 30 ans l’année prochaine. Elle a bien de la chance. Moi, je vais sur mes 75. Lentement. J’arrive la veille des concerts au Fort de Saint Père. Non pas pour assister à ceux du premier soir à La Nouvelle Vague. Mais dans l’optique de m’acclimater doucement à l’air breton et de reposer mes jambes lourdes. Je défais mon sac proprement, dans un environnement ravissant et hospitalier (Ker Gwen). Je prépare ma couche (non, pas déjà celle-là). Sur un vrai matelas et avec des draps. Ce mercredi soir, j’ai mis mes boules Quies. Oui, comme au camping d’antan, mais maintenant c’est pour lutter contre mes propres nuisances sonores. Mes amis co-résidents semblent compréhensifs. J’ai dormi. Et eux ? Le lendemain, je me suis lavé. Avec de l’eau chaude/sans l’aide d’une auxiliaire de vie. Je n’ai pas petit-déjeuné à la bière. Encore moins au célébrissime Cancaven de Châteauneuf, que j’ai à peine fréquenté cette année (pas de rampe). J’ai dû manger léger, sain, voire bio, voire me faire un thé vert au gingembre, voire deux. Puis j’ai calé une sieste, mais pas musicale. Car, oui, je n’ai pas non plus vu de concert à la plage cette fois-ci. Sol instable = danger. L’heure approche : je vais emprunter le chemin qui sinue vers le Fort, me rappeler les différents emplacements du camping à travers les ans (depuis 1997), invoquer le souvenir de dizaines de concerts et de moments d’amitié partagés, passer dans le tunnel d’arbres qui mène à l’entrée du festival... L’émotion monte, se mue en excitation. Ma pile s’emballe. J’agrippe mon déambulateur et je décapsule une bière dessus. Puis deux. Puis trois. Je balance l’engin dans le fossé. La Route du Rock, c’est la vie.

Jeudi

Cette première soirée, vouée à la perfection, sera émaillée de quelques petits ratés... à la marge. Premier hic, dû à un retard à l’allumage (et non au groupe australien), le concert de Pond n’est que la bande son de notre arrivée sur le site. On reprend ses marques et quelques Ricard, on charge le cashless et quelques Ricard, on retrouve les ami(e)s qui boivent quelques Ricard et on va enfler la foule qui attend Fontaines D.C..

Signe annonciateur de futurs déboires météo, les dubliners semblent un peu rincés. L’hyperactivité gestuelle du chanteur Grian Chatten (coller ici la référence à Ian Curtis) est à son maximum. Il pioche, se châtie, crache, se motive, s’étire ? L’énergie, visiblement puisée à la force du désespoir, finit par être restituée via le trident létal "Boys in the Better Land"/"Liberty Belle"/"Hurricane Laughter". Le panache, le romantisme sec et la hargne enfin retrouvés. Long râle de plaisir et... coitus interruptus : le set s’arrête là, dans le petit nuage de poussière soulevé par les premiers pogos. Les 5 bonnes minutes, qui manquent aux 40 imparties, seront à retrouver avec le retour du groupe pour le "Rottweiler" terminal d’IDLES. Parfaite optimisation du temps passé sur scène, contractuellement à l’épreuve des balles.

Désormais, avec IDLES et leur tournée quasi ininterrompue depuis 2017, on n’est pas à l’abri de tomber sur un jour sans. Ce jour n’est pas le jeudi 15 Août 2019. Le gang de Bristol prend la scène comme les Peaky Blinders vont au champ de courses : avec une certaine idée de la classe et l’envie de tout démonter. Et, le temps de l’inaugural "Heel/Heal", c’est tout le public qui galope. Joe Talbot martyrise ses cordes vocales et ses zygomatiques, conchie le Brexit, évoque la grande ou la petite dépression (ou l’inverse), bande ses muscles et gonfle ses veines, mollarde partout, bref : il est en pleine bourre. Le reste du groupe est branché sur le même voltage. Particulièrement Mark Bowen qui a revêtu son plus beau short de bain (hawaïen bien sûr) pour aller crawler dans une audience totalement démontée. Le massif "Divide and Conquer" s’enchaîne avec un "Danny Nedelko" qui n’a pas eu le temps d’être massacré par quelqu’un monté du public, des bouts de "Nothing Compares 2U" sont entendus, des bisous s’échangent, la sueur se mêle à la poussière, les pleurs à la bière, le chaos est beau, les sourires deviennent complètement cons, les Fontaines D.C. sont réveillés... Rappel ? Non, avec IDLES, tout ce qui est à donner l’a déjà été.

Après cette doublette fondamentale Fontaines D.C./IDLES et avant le barnum Tame Imapala, il va falloir opérer un sérieux palier de décompression. Les revenants Stereolab s’en chargent. Presque un peu trop. Le balayage de leur discographie commence par un "Brakhage" toute rythmique dehors, motorik forcément, suivi d’une version expédiée de l’hymne "French Disco". La voix blanche de Laetitia Sadier, les micro-symphonies easy-spatiales de Tim Gane, la rythmique vertébrale... Tout est là mais bizarrement en place. Je diagnostique un problème postural, avec symptômes épileptiques. Sur "Need to Be", je commence à ressentir le besoin d’être ailleurs. Un petit "Ping Pong" avant, quand même. Par contre, c’est de loin que j’entends "Crest". A mon grand regret. Pour moi, ce soir, il y avait un poisson dans le "Percolator".

C’est l’heure du psychédélisme soft de Tame Impala : le son est hyper "processé", compressé et surtout pas bien fort. De quoi souligner la meilleure sonorité de caisse claire de l’univers mais au détriment du concept même de spectacle vivant. Et ce ne sont pas les giclées de confettis ou les salves laser qui imprimeront durablement mes rétines et ma mémoire (on est loin du show total des Flaming Lips en 2010, dans cette même enceinte). Dommage : évacué d’entrée, le monumental "Let It Happen" prive le groupe d’un moment paroxystique plus tard dans le set. Rôle finalement dévolu à "Elephant" puis le toujours obsédant "Eventually" et "The Less I Know the Better" en rappel. N’importe quel autre titre pouvant opérer la jonction : avec bientôt 4 albums à leur actif (dont un "Innerspeaker" sous-représenté ce soir), les australiens débitent déjà plus de tubes qu’une aciérie chinoise. Après, soyons honnête, même dans cette nouvelle ère industrielle, le plaisir musical pur demeure.

Passer de Tame Impala à Black Midi, c’est comme finir la soirée à la cave après l’avoir commencée sur un rooftop cosy : ça repose les yeux mais le sentiment de sécurité n’est plus. L’oreille et l’attention sont en permanence bombardées de stimuli lancinants à base de math rock, kraut primitif, noise ou vocaux suzuki... Comme sur l’album "Schlagenheim", je reconnais les ingrédients mais sans vraiment adhérer à la recette : trop d’âpreté auto-satisfaite, même avec le liant apporté par cette suractivité scénique, effectivement à la hauteur de sa réputation. Je me laisse quand même submerger par une dernière déferlante sonique (l’excellent "Ducter"). Avec une pensée émue pour les fûts du batteur Mor­gan Simpson, qui ont vécu un nouveau martyre.

Une demie-heure de battement et je vais pouvoir aller me réfugier dans les replis infinis de l’électronique de Jon Hopkins. J’évacue tout de suite un motif de contrariété : malgré la performance technique et sa beauté graphique, j’ai assez peu goûté l’intervention des majorettes lasers venues chorégraphier sur scène. Pour le reste, ce fut une expérience parfaitement immersive. Même mise au second plan, la sensibilité ambient du producteur continue à irriguer ses morceaux les plus véloces (voire féroces), restitués ce soir dans des variations particulièrement inspirées. Passée l’entrée en matière "Neon Pattern Drum", c’est un long tunnel mental qui siphonne le peu de neurones qu’il me reste : "Everything Connected"/"Emerald Rush"/"Open Eye Signal"/"Collider"/"Singularity". Ouch ! Un "Open Eye Signal" assez fou d’ailleurs, vrillant tous les sens avec son clip à roulettes, lui même altéré et distordu. "Luminous Beings" réenclenchera au bon moment le mode rêverie pour me garantir une fin de soirée amortie, dilatée et agréablement floue.

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publié par le 17/09/19