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publié par Mélanie Fazi le 23/04/15
White Crocodile
- The Stranger
The Stranger

White Crocodile habite une zone incertaine entre les frontières, une cour des miracles où chacun apporte un peu de sa culture et s’imprègne de celle des autres. On y parle une langue qui n’est celle de personne mais devient celle de tous. Né du hasard des chemins qui fait se croiser sur la scène parisienne des membres issus d’Angleterre ou de Suède, de France ou des États-Unis, le groupe plonge aussi ses racines dans diverses contrées musicales : pop énergique, rock déjanté, punk théâtral ou cabaret bilingue.

Piscines et crocodiles

On ne peut s’empêcher, d’ailleurs, d’entendre en filigrane ce sens du voyage et des chemins dans le titre de l’album (The Stranger) ou des morceaux (« The Walker »), dans ces textes qui parlent d’errance, de trains qu’on choisit ou non de prendre ensemble, d’appartenance à la ville qui vous a vu naître malgré l’éloignement, de piscines à Santa Fe et de crocodiles abandonnés dans les égouts parisiens. Peut-être parce qu’on y projette un peu ce qu’on sait de l’histoire du groupe et notamment de la chanteuse Julie Biereye, enfant de la balle née dans une famille du théâtre et qui a grandi sur les routes. « As life rolls on you leave so much behind you/The road is long and the road is hard », chante-t-elle sur « The Walker ». Mais ce que l’on perd en laissant les lieux derrière soi, on le compense en apprenant à s’imprégner de ce que l’on rencontre, à jouer d’une langue qui n’est pas celle avec laquelle on a grandi. D’où une liberté de ton réjouissante quand le groupe s’amuse à mêler anglais et français au sein des paroles, à les faire parfois rimer entre eux, à oser des tournures auxquelles des natifs de la langue française n’auraient pas pensé – comme le titre de leur EP Je t’aime l’amour ou le refrain « Nous avions des avions. »

Punk gouailleur et pulsation urbaine

Sur un plan musical, cet album délaisse le côté théâtral des concerts et la dimension cabaret présente sur le EP – l’accordéon dont Julie Biereye joue volontiers sur scène est ici absent – pour se concentrer sur la dimension rock. Mais du rock, plutôt que la violence ou la confrontation, ils ont gardé l’aspect festif et chaleureux. Même quand les sonorités se font plus dures, comme sur l’excellent « Big City » dont la pulsation toute urbaine et la tension contenue reflètent l’animation, le chaos et la confusion des grandes villes où les vies se croisent par milliers, par millions. Si les basses sont parfois tranchantes et les riffs acides, White Crocodile a l’explosion joyeuse, le punk gouailleur, le refrain jouissif. Leur musique pulse et swingue, elle réchauffe, elle met du baume au cœur. Même la mélancolie est douce ici, quand le groupe s’essaie à deux superbes ballades qui mettent en valeur la belle voix versatile de Julie Biereye (« Loneliness » et « Sleepless Tango »).

De blues en western

Tout le défi, pour ce premier album, consistait à capturer le son du groupe et sa fougue insensée sans tomber dans le piège d’un simple copier-coller du live qui n’aurait aucun sens sur disque. Mais la transposition est un sans-faute : le son est riche et nuancé, l’énergie intacte, la jubilation aussi. Canalisées différemment pour se prêter à une autre forme d’écoute, mais bien présentes telle qu’on les connaissait sur scène. C’est un réel plaisir de pouvoir enfin déguster chez soi ces chansons découvertes en concert et si vite mémorisées. Une écoute plus distancée qu’en live confirme la très belle tenue des compositions. Ce n’est pas simplement efficace, c’est surtout sacrément bien écrit. Les morceaux plus en demi-teinte y gagnent en richesse et se parent de sonorités blues voire western, comme sur « Santa Fe » ou le très beau « One Way Ticket » qui ouvre l’album et que le groupe nous avait offert l’an dernier en session acoustique.

La caravane passe

Un équilibre quasi parfait pour un album euphorisant qui marque une belle étape sur le chemin où White Crocodile promène son rock métissé depuis un moment déjà. Comme une improbable caravane qui s’enrichit au fil des rencontres et des contrées visitées. On les savait formidables sur scène, où l’on prenait chaque fois un grand plaisir à les revoir ; ils nous offrent aujourd’hui, comme un rêve exaucé, l’excellent album qu’on savait pouvoir espérer d’eux.

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publié par le 23/04/15