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publié par Mélanie Fazi le 07/10/11
We need to talk about Kevin - Lynne Ramsay
Lynne Ramsay

Certains films vous laissent perplexes : ils vous interpellent et vous parlent sans que vous sachiez dans quelle mesure vous adhérez au propos. Le moins qu’on puisse dire, c’est que We need to talk about Kevin prend le spectateur au dépourvu. On allait voir un drame psychologique sur l’enfance d’un meurtrier, mais on ne s’attendait pas à certains des partis pris affichés par la réalisatrice Lynne Ramsay.

Là où We need to talk about Kevin dérange, ce n’est pas en tant que chronique d’un massacre annoncé, suggéré très tôt par des images furtives. C’est plutôt dans la violence des relations : il s’agit avant tout de l’histoire d’une antipathie viscérale et irrémédiable entre une mère et son fils, dès la petite enfance. Le cercle vicieux s’installe en quelques scènes pourtant banales. Eva (Tilda Swinton) mal à l’aise avec sa grossesse, puis avec ce bébé qui ne cesse jamais de hurler. Kevin, tout petit, qui perçoit ce malaise et réagit en fonction. Comme s’il cherchait à faire tomber le masque de cette femme qui joue les mères aimantes par convention sociale mais dont les sourires sonnent faux. Puis c’est l’escalade. Kevin devient odieux. Eva baisse les bras. Il sait qu’elle le déteste ; elle ne prend plus la peine de démentir. Une scène illustre leur relation de façon saisissante. Eva lance un ballon à son fils âgé de deux ans, qui refuse obstinément de le lui renvoyer. La scène se prolonge, la tension monte, Eva continue à lui sourire et à l’encourager, mais le cœur n’y est plus, la conviction non plus. On partage son malaise : comment réagir face à cet enfant qui refuse de jouer le rôle qu’on attend de lui et qui la renvoie à des sentiments si peu avouables ?

Deux partis pris, au départ, empêchent partiellement l’adhésion. Le premier est un symbolisme un peu lourd autour des métaphores du sang, avant que le sang réel ne nous soit montré. Peinture rouge, ketchup, ou ce rayon de boîtes de soupe à la tomate derrière lequel se cache Eva au supermarché pour éviter la mère d’une des victimes de son fils. Et puis tous ces détails trop appuyés commencent à former une palette assez particulière. C’est ce qui donne son ton au film, en fin de compte. Les scènes se répondent en écho, les détails du quotidien deviennent la grammaire d’un film d’horreur (voir ces paisibles images d’une soirée d’Halloween qu’un montage saccadé transforme en vision de cauchemar). On retrouve presque les codes du genre par moments : on se croirait revenu à l’époque de la vague des enfants démoniaques des années 70, entre L’Exorciste et La Malédiction. C’est l’histoire d’un garçon fondamentalement anormal. Seule sa mère le sait, mais personne ne l’écoute. Sauf que lui n’est pas l’Antéchrist, qu’il n’est pas possédé par un démon : c’est un enfant ordinaire. Odieux et manipulateur, mais ordinaire.

L’autre choix parfois gênant, c’est d’avoir fait de Kevin un personnage monolithique. Il ne fonctionne que dans l’opposition, surtout par rapport à Eva. Face à son père et au reste du monde, il est charmant. Il sait que sa mère n’est pas dupe et il en joue. On aurait peut-être apprécié un traitement moins manichéen, car celui-ci empêche de croire totalement au personnage. Le Kevin adolescent incarné par Ezra Miller est particulièrement crispant. Mais d’un autre côté, toute la violence du propos est là : dans le désarroi d’Eva qui se rend compte qu’elle a engendré un monstre. Ici, pas de traumatisme originel justifiant un basculement dans la folie. Tout au plus suggère-t-on que le malaise d’Eva par rapport à son nouveau-né ait pu contribuer à creuser un gouffre. Kevin est différent, tout simplement. Il faut accepter ce parti pris pour pouvoir entrer dans le film, et regarder se dérouler ce patchwork de souvenirs et de sensations avec un mélange d’horreur et de fascination. Le film n’est pas parfait, loin de là. Il est parfois maladroit, souvent répétitif. Mais sous couvert d’aborder un thème assez classique, il en développe un autre, bien moins fréquent et très éloigné du politiquement correct : le cauchemar d’une maternité mal vécue. Le film s’achève pourtant sur une scène aussi belle qu’inattendue, presque une note d’apaisement après la tension continue de ces deux heures très noires. Mais un arrière-goût de malaise persiste au-delà.

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publié par le 07/10/11
Derniers commentaires
matelote v - le 07/10/11 à 08:29
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je te rejoins sur beaucoup de points. Les lourdeurs m’ont pas mal déçue. Le fait que presque chaque idée soit amenée par trois scènes différentes n’apporte rien et infantilise. Pourtant, parfois la réalisatrice a su montrer qu’elle peut être subtile (quand on voit Eva peindre une pièce en bleu avant l’arrivée des témoins de Jehovah... le fait que la phrase-titre du film ne soit jamais prononcée mais souvent suggérée). Je n’ai pas été super fan non plus de certains plans, notamment les travellings qui sont assez ratés. Mais au-delà de tout ça, Tilda Swinton est comme toujours juste et magnifique.