Karl Wallinger nous a quitté il y a quelques jours. La première pensée qui nous est venue en apprenant la nouvelle est le souvenir ému d’une superbe session acoustique de 3 titres de World Party chez Bernard Lenoir en 1993 au moment de la sortie du 3ème album, Bang ! Le chant haut perché, l’harmonie des voix, on y retrouvait toute l’émotion des chansons, encore plus que sur album dont les productions étaient déjà quelque peu datées à l’époque. Le morceau "Is it like today" notamment nous avait complètement scotché avec ce jeu de guitare et cette mélodie incroyables. Et si Karl Wallinger a eu plusieurs vies musicales (il a participé aux tournées et premiers albums des Waterboys, il a travaillé avec Sinéad O’Connor), il restera à jamais pour nous le multi-instrumentiste Monsieur World Party.
hit
Bien que plutôt courtes, nos années World Party furent particulièrement marquantes, s’articulant autour des deux premiers albums et de la session acoustique au tout-début des années ’90. On découvre le groupe avec le second album Goodbye Jumbo (1990), sans doute le disque du groupe le plus homogène. Il reste de loin l’album qu’on préfère mais le premier album, Private revolution (1986), mérite qu’on s’y attarde puisqu’il contient le terreau de l’ensemble de la discographie de Karl Wallinger : ce recul et ce regard aiguisé sur la société, la religion, l’état du monde qui ne cesseront d’alimenter ses morceaux. Il contient aussi l’énormissime "Ship of fools", et ce n’est pas rien. Ce morceau a l’étoffe des plus grands, des couplets égrainés avec une assurance communicative, une montée pré-refrain comme on en a rarement entendues et évidemment des refrains stratosphériques, c’est à se demander pourquoi/comment il n’est pas devenu un hit mondial.
clip d’origine de "Ship of fools", décliné plus récemment sur des images d’actualités aussi hypnotisantes qu’effrayantes
faune
Mais ce qui frappe d’entrée en 2024 et qui frappait déjà me semble-t-il en 1990, c’est la production musicale très datée. C’est bien simple, l’éponyme "Private revolution" qui ouvre le disque semble tout droit sorti d’un album de Prince du début des années 80. Cette même funk-pop avec la petite voix haut-perchée et les beats eighties. Le moins qu’on puisse dire c’est que ça n’a pas très bien vieilli (mais ça donne toujours envie de danser). Ce qui a mieux vieilli, c’est le discours écologique avant l’heure (« Man’s been killing the tigers, turned the green fields into sand ») et l’appel à faire sa propre révolution. Cette mise en avant du libre-arbitre et de la remise en question sera une constante dans les paroles de Wallinger sur la durée. Une fois habitué au son retro-funkuriste de certains titres, les morceaux font leur chemin et tiennent très bien la route avec ce mélange un peu bric-à-brac revendiqué par la pochette du disque. On y trouve déjà ces balades mélancoliques si caractéristiques ("All come true"), on y trouve aussi un intermède celtique ("Dance of the hoppy lads"), on y trouve même de la country avec slide-guitare ("Hawaiian island world") et des cuivres beatlesiens (sur la reprise de Dylan "All I really want to do"). On sort du disque tout à fait prêt à faire notre propre révolution, voire même, pourquoi pas, à rejoindre faune et flore dans la montagne pour une gigantesque fête mondiale (« Yes we’re going to a world party, how can I say no ? »).
hymne
Mais pour nous la vraie fête a définitivement lieu sur le second album de World Party, Goodbye Jumbo. Ce n’est sans doute pas un hasard si le single "Way down now" avait été adopté à l’époque comme hymne hédoniste par mon frangin et ses potes. Il y a dans ce morceau tout ce qu’il faut pour, passé une certaine heure, déclencher folie et jeter vestimentaire : ces guitares euphorisantes, cette basse bondissante et le chant bien sur, avec ce débit rapide et assuré et ce qu’il faut de « ou-hous » en fin de morceau pour rallier tout le monde à la cause.
clip diy-zéro-budget, "Way down now" quoi...
exploit
Contrairement au premier album, le single cette fois-ci n’écrase pas le disque d’une présence trop forte. Les autres morceaux se sont hissés au niveau, que ce soit l’impeccable "Is it too late ?" qui ouvre le disque (avec ces attaques de guitare en contre-point du chant) ou le plus grand public "When the rainbow comes". Karl Wallinger se révèle d’ailleurs être très bon dans les balades mélancoliques de ce type dont il parsème le disque (le lumineux "God on my side", le tendre "Love street", le réconfortant "Sweet soul dream"). Il se surpasse notamment avec le magnifique "And I fell back alone", qui fera immanquablement pleurer dans les chaumières mais dont on ne se lasse jamais non plus. Il a aussi peaufiné sa recette ultra-pop et ultra-mélodique avec les "Put the message in a box" (dans la veine idéaliste), les "Take it up" (dans la veine hallucinations au petit-déjeuner). Tout lui réussit sur ce disque, même lorsqu’il lui reprend de petites envies funkies ("Show me to the top") ou hyper-aigues ("Ain’t gonna come till I’m ready"), il réussit l’exploit de les dompter et les contenir dans l’état d’esprit du disque.
flamboyant
On décrochera finalement de World Party après la session, pour des raisons pratiques d’abord puisqu’on ne mettra la main sur Bang ! (le 3ème album) que bien années plus tard à l’occasion d’un passage par Londres (point d’internet à l’époque) et la production une fois encore très datée de l’album aura raison de nos tentatives d’apprivoisement. On ne retrouvera pas dans la version aseptisée de "Is it like today ?" les émotions qui nous avaient traversées en acoustique. Le moment était passé, sans aucun doute. Ce monde du début des années ’90 avait laissé la place à d’autres sons et d’autres envies, on était inexorablement passé du beatles-flamboyant au belle-and-sebastien-twee-pop. Ce n’est pas bien grave, l’écoute des disques suivants cette semaine (Egyptology en 1997, Dumbing up en 2000 et le bien nommé Arkeology en 2012 -les fonds de tiroir, soit 5 heures de musique sur 5 disques, notre homme était du genre prolifique, encore un point commun avec Prince-) ne nous donnera pas l’impression d’avoir manqué une indispensable pépite mais, qui sait, peut-être faudra-t-il y revenir plus en profondeur sur la durée. En attendant, on terminera cette plage souvenir/hommage avec les mots de Karl lui-même, extraits du dernier morceau de Goodbye Jumbo : « Thank you World [Party] ».