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publié par Mélanie Fazi le 04/07/07
Suzanne Vega
- Beauty & crime
Beauty & crime

Repères

La première impression qui se dégage à l’écoute de cet album, c’est celle du changement dans la continuité. On y retrouve des repères immuables : cette voix au timbre si particulier, des chansons construites autour de schémas familiers, un climat de douceur apparente. Mais ce sont les arrangements qui titillent l’oreille, sans qu’on arrive à préciser ce qu’on leur trouve d’inhabituel. La présence des chœurs (un peu trop appuyés par moments) ? La prédominance des cordes sur certains titres ? Le décalage entre les mélodies et leur habillage ? “Zephyr & I” en est un bon exemple. On est d’abord emporté par la rythmique enjouée, terriblement accrocheuse. Bien plus tard, on perçoit la beauté de la mélodie, qui semble évoluer à un tempo différent. Comme si l’apparente légèreté dévoilait soudain profondeur et gravité. Placée en ouverture de l’album, la chanson possède également ce petit quelque chose d’addictif qui donne envie, quand le disque se termine, de revenir aussitôt au début.

Habillage

La réussite de Beauty & crime est sans doute à chercher dans cet équilibre entre classicisme et nouveauté. On se rappelle à quel point l’album 99.9 F° avait surpris en 1992 par ses arrangements électroniques. Comme si Suzanne Vega, qui s’était fait connaître par des chansons folk d’une grande sobriété, avait pris conscience de ses propres limites. Ses mélodies sont souvent d’une grande beauté, par leur simplicité même, mais elle semble ne pouvoir composer qu’autour d’un canevas restreint. C’est peut-être ce qui explique la recherche amorcée sur 99.9 F° : une volonté d’habiller différemment sa musique afin d’éviter la répétition. L’expérimentation est moindre ici, à l’exception peut-être d’une curieuse petite chanson baptisée “Unbound”, construite autour d’un rythme sautillant et d’un entêtant refrain repris en boucle.

Littéraire

C’est peut-être illusoire de vouloir écrire si tôt sur un album qui ne se révèlera sans doute qu’avec le temps. Les disques de Suzanne Vega s’apprivoisent sur le long terme. Parfois, on redécouvre au bout de dix ans un titre qui ne nous impressionnait pas spécialement au départ - parce qu’il parle mieux à la personne qu’on est devenue alors, ou parce qu’on en comprend les paroles différemment. La qualité littéraire de ses textes s’y prête assez. À moins qu’il ne s’agisse d’une impression toute personnelle, parce que j’ai découvert Solitude standing adolescente et n’ai compris que bien plus tard le sens réel des chansons.

Portrait

On entre dans Beauty & crime pas à pas. Ce n’est pas un album qui vous bluffe ou vous remue les tripes. Mais il vous met d’étrange humeur, il s’accroche, des bouts de phrases vous tournent dans la tête toute la journée. On se découvre chaque jour une nouvelle chanson préférée. On apprend à lire entre les lignes. Et petit à petit, on intègre les paroles. Chez Suzanne Vega, elles sont indissociables de la musique. Et le plaisir des retrouvailles tient autant à sa voix qu’à son extraordinaire talent de conteuse. On ne s’étonne pas vraiment qu’un de ses plus grands succès, “Tom’s diner”, soit une chanson a cappella, même si c’est un remix qui l’a remise au goût du jour dans les années 90. Beauty & Crime se présente comme un portrait de New York, décrite sous les traits d’une femme aguicheuse mais d’une cruelle indifférence (“New york is a woman”), en même temps que comme une nouvelle page d’autobiographie - “Bound” semble évoquer le remariage récent de la chanteuse, tandis que “As you are now”, dédié à sa fille Ruby, fait écho au “World before Columbus” d’il y a onze ans. Il est question ici du temps qui passe et des souvenirs enfuis : celui de son frère Tim, décédé récemment, auquel “Ludlow Street” rend hommage. Celui aussi du 11 septembre, évoqué à mi-mots dans les deux chansons qui clôturent l’album. Le très joli “Angel’s doorway”, sur ce policier qui doit, lorsqu’il rentre chez lui le soir, abandonner sur le pas de sa porte la violence côtoyée dans la journée. Et “Anniversary”, d’une splendide sobriété, où les rues sont peuplées des ombres du passé.

Dichotomie

Ailleurs, elle évoque les amours tumultueuses de Frank Sinatra et d’Ava Gardner (“Frank & Ava”, qui sonne un peu trop comme le « single incontournable de l’album » pour convaincre), ou la romancière Edith Wharton dont les livres trouvent encore dans notre époque de troublants échos (“Edith Wharton’s figurines”). L’album tout entier reflète la dichotomie du titre, aussi bien dans les thèmes abordés que dans la construction musicale : la douceur des climats sonores masque parfois la dureté du propos. Une constante chez Suzanne Vega : si l’on a surtout retenu de “Luka”, son tube de 1987, un refrain accrocheur et des arrangements un peu datés, on oublie parfois que c’est aussi un texte d’une grande pudeur adoptant le point de vue d’un enfant battu.

Retenue

Alors on s’immerge peu à peu dans cet album. On se demande lesquelles de ces chansons nous parleront encore dans dix ou vingt ans. On se dit que le disque n’a sans doute pas la carrure d’un Solitude standing, proche du chef-d’œuvre, ni d’un Nine objects of desire enchanteur. Mais on découvre de splendides moments d’émotion dans la retenue de “Anniversary”, l’envolée de cordes de “Bound” ou le refrain de “Zephyr & I”. On se laisse bercer par la voix, porter ou remuer par les textes. On se découvre des envies de se replonger dans les albums précédents. Et l’on se réjouit d’avoir croisé si jeune cet univers, d’avoir grandi avec, et de savoir qu’il reste tant d’années pour en explorer la richesse.

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publié par le 04/07/07