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publié par antoine le 20/02/06
suicide is painless

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c’est l’histoire d’un quipropoquo qui m’a longtemps échappé, et qui vient tout juste d’être levé dans ma tête. quand j’étais petit et que j’écoutais à la radio les blacksessions de lenoir, j’y ai entendu un jour jay jay johanson - il était alors, à peu de chose près, mon chanteur préféré (les grands frères qui offrent des disques, ça a du bon). et je m’en souviens bien, pendant son concert, jay jay il avait chanté un dernier titre un peu étrange, qu’il avait dit s’appeler "suicide is painless". juste avant de se lancer, il avait rajouté une formule du type "it is the soundtrack from one of my most favorite TV series of all times, the one called mash". à l’époque, ma prof d’anglais m’avait assuré qu’il s’agissait certainement là d’une blague du chanteur pour dire qu’il considérait cette série comme étant de mauvaise qualité - "de la purée". elle n’était pas toute jeune ma prof d’anglais à l’époque, et je l’avais cru. quelques années plus tard, cette même chanson, je la retrouvais dans la bouche de keren ann et de son acolyte bardy johansson, sur leur magnifique lady & bird (labels, 2003). avec les mêmes paroles qui, pour moi, et sans l’ombre d’un pli, n’étaient pas vraiment des plus joyeuses, au milieu d’un album lui-même pas franchement hilarant.

l’autre soir, en rentrant chez moi, mon balladeur était en mode aléatoire. c’était une nuit de pluie, après une journée comme on peut en rêver des plus détendues. le premier titre qui est tombé, c’est celui là. lady & bird chantant suicide is painless. plus tout à fait aussi petit qu’au temps des blacksessions, j’ai tendu l’oreille. histoire d’essayer d’en comprendre un peu plus que le refrain. et j’ai été surpris, entre autre, par ce couplet là :

 A brave man once requested me  to answer questions that are key  is it to be or not to be  and I replied ’oh why ask me’ ?

alors je me suis dis qu’il y avait un problème. que keren ann ou jay jay johanson avaient beau être de plutôt tristes sires, cette chanson n’était peut-être pas l’éloge du suicide pour laquelle je l’avais toujours tenue. qu’il y avait certainement dans ce titre aigre-doux beaucoup plus de ’sweet’ que de ’bitter’. la réponse ?

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dans le film original, du grand robert altman, récompensé d’une palme d’or à cannes en 1970. si l’usage qui est fait d’un suicide is painless un brin dégoulinant dans les premières images peut donner le change d’un titre à écouter comme une complainte larmoyante (des hélicos US transportent des soldats blessés sur fond de paysages supposément coréens, mais qui peuvent tout aussi bien être vietnamiens, vue la date de sortie du film), plus aucun doute n’est possible une fois la moitié du film passée : suicide is painless, pour sinistre qu’il puisse paraître, est avant tout un canular. et pas seulement parce que l’auteur des paroles, mike altman, n’est autre que le fils de robert, et que, du haut de ses 14 ans, il écrivait alors quelques phrases qui lui rapporteraient plus que le film à son réalisateur de père (contrairement à robert, mike a touché des droits d’auteurs lorsque mash le film est devenu mash la série télé avec un générique inchangé).

en fait, dans ce titre, painless est autant un adjectif qu’un nom : celui du capitaine-dentiste Walter Koskiusko "Painless Pole" Waldowski - en français, son surnom a été traduit en un "spéléo polack" rendant incompréhensible un jeu de mot pourtant essentiel. painless pole, donc, est dentiste, supposé opérer sans douleur, et d’origine polonaise. facile, alors, l’explication de son surnom ? ça se complique quand on apprend que painless possède aussi le "plus bel instrument de tous les dentistes de l’armée" - or les américains, allez savoir pourquoi, préfèrent au substantif âne le discriminant polonais dans l’expression "être monté comme un âne". impossible dès lors pour painless pole, au vu de sa réputation, d’avaler la première fois où il fera l’expérience de l’impuissance. à ses yeux, après une telle déconvenue, c’est le suicide qui s’impose, celui-ci étant mis en scène par ses compagnons d’infortune, comme lui enrôlés dans l’armée US, dans une relecture de la cène (celle qu’on nous apprend au caté) autrement plus osée que celle pour laquelle Marithé et François Birbaud avaient pourtant été condamnés au printemps 2005.

la_cène_altman_mash.jpg 

en résumé, suicide is painless est au genre de la complainte ce que M*A*S*H est au film de guerre - sachant que le seul coup de feu tiré dans mash l’est par l’arbitre d’un match de football américain au cours duquel deux compagnies US stationnées en corée se livrent à un match bidon (où sera pour la première fois de l’histoire des grosses productions américaines prononcé à l’écran le mot fuck, par notre cher painless pole d’ailleurs).

mais au fait, qu’est ce que j’y gagne, moi, à raconter tout ça ? c’est pourtant simple : les soirs de pluie pourront bien désormais être rythmés par "suicide is painless", il en faudra plus pour m’attaquer le moral.

P.S. : lady & bird ou jay jay johanson n’étaient ni les premiers, ni les derniers à s’être risqué à la reprise. avant eux, il y avait eu les manic street preachers, passés complètement à côté du sujet - si ce n’est que leur reprise façon queen, toutes guitares hurlantes, réussit bien à faire rire. après, c’est marylin manson qui s’y est essayé, sur la B.O. du film blair witch project 2. je vous laisse découvrir, je ne m’y suis pas risqué.

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Derniers commentaires
Gab - le 20/02/06 à 13:50

une étude très intéressante ... on va en vouloir d’autres des comme ça ... Pour ma part, je connais que la reprise de Lady & Bird qui est superbe ...

Yann de Cargo - le 20/02/06 à 14:52
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Tien ?
Un blog (presque) homonyme… _ :-)

Pierre - le 30/03/07 à 21:00
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Très instructif et très bien écrit. Au dela de l’article critique, il y a la du talent d’écrivain et de conteur.
Pour ma part, la nuit dernière vers 04H55, j’écoutais diverses stations de radio et ce titre est passé sur France Info (oui !), je l’ai trouvé très beau et me suis endormi aussitôt. Et contrairement à l’habitude je m’en suis souvenu ce soir. J’ai pourtant vu M.A.S.H. (le film) il y a une vingtaine d’année et je ne me souviens pas de cette chanson (du reste je ne sais pas qui l’interpètait la nuit dernière).
Cela m’a enchanté. Merci

Thierry - le 22/07/07 à 02:58
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Bien vu Pierre, l’art et le talent d’un conteur. J’ai toujours aimé cette chanson (l’originale du film ; la reprise des Manic street preachers est trop violente à mon goût), mais sans connaître les détails fournis par l’auteur de ce blog quant à la transformation de "l’âne" en "polonais" par les américains. Je l’ai toujours prise au second degré, comme un canular de carabin, rien de plus ... peut-être à cause de la séquence de mise en scène par Hawkey et Trapper du "suicide" du dentiste polonais que ses problème d’impuissance taraudaient plus que de raison. Mais j’apprécie ces explications qui facilitent beaucoup la compréhension des "jokes" intraduisibles (Je n’ai malheureusement jamais vu Mash en VO). Le film avec Eliott Gould et Donald Sutherland était hilarant, et la série avec Alan Alda était excellente aussi. A revoir tout ça !

YooY - le 10/09/07 à 16:11
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un article qui me montre que je n’étais pas le seul à me demander la vrai signification et place de cette chanson dans ce film. Les 2 étant des bijoux.

debros - le 02/10/07 à 21:12
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J’ai entendu cette chanson ce soir même dans l’émission de Lavige sur France Inter. Et ai fait immédiatement une recherche sur Internet. Bravo et merci pour cette belle analyse, si joliment écrite. je n’ai plus qu’à me procurer la bo du film ainsi que Lady&Bird. Vous m’avez vraiment donné envie d’aller plus loin.
Geneviève