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publié par Mélanie Fazi le 27/12/11
Let England shake, 12 short films by Seamus Murphy - PJ Harvey + Seamus Murphy
PJ Harvey + Seamus Murphy

Sur le papier, le projet était déjà séduisant. Plutôt que d’associer les chansons de Let England shake à des vidéos promotionnelles classiques, PJ Harvey a demandé au photographe Seamus Murphy d’illustrer l’album à sa façon. Le résultat : douze courts-métrages qui montrent l’Angleterre d’aujourd’hui sans fard et s’efforcent de mettre en images les thématiques de l’album (la guerre, le monde actuel, l’ambiguïté du sentiment d’appartenance à un pays). Les courts-métrages étaient déjà visibles sur Youtube, mais le DVD permet de découvrir l’intégralité du projet et surtout de se poser pour s’immerger dans ces images, au lieu de les regarder d’un œil distrait comme le Net nous invite trop souvent à le faire.

Voyage en Angleterre

Dans sa note d’intention, Seamus Murphy souligne le côté improvisé de la plupart des images, mais aussi la difficulté de filmer un pays qui est le sien et qu’il n’avait encore jamais pris pour sujet. Si Polly Harvey et ses musiciens font de furtives apparitions, l’objet n’est pas de filmer la musique ni de capturer une prestation live : il s’agit plutôt de proposer une réinterprétation de l’album à travers des images glanées lors d’un voyage en Angleterre. Murphy capture des visages, des lieux, des instants, la nature et la civilisation, les échos du passé et le monde actuel. Sous son objectif, l’ordinaire n’est jamais banal. Qu’il filme la lune vue à travers des branches ou des gens récitant les paroles des chansons, il se passe toujours quelque chose de fort. Les douze courts-métrages forment un ensemble cohérent, mais chacun est un exercice à part qui possède son rythme et son imagerie propres. Parmi les plus marquants, “The words that maketh murder”, où les images épousent la cadence de la chanson, “Written on the forehead” où les visions d’avions et d’autoroute renvoient aux guerres du pétrole suggérées par les paroles, ou encore “All and everyone” où l’idée de la mort qui rôde sur un champ de bataille est figurée par des plans saisissants d’arbres et de vagues.

Marionnettes belliqueuses

En se laissant porter par le flot, on se surprend à essayer constamment de décrypter ces associations visuelles. On cherche des correspondances avec les textes qui existent peut-être, ou peut-être pas : les marionnettes belliqueuses de “Let England shake,” de vieilles photos de soldats en noir et blanc, un squelette qui semble observer les visiteurs d’un musée, ou ces chevaux de bois en mouvement qui nous évoquent soudain une armée de cavaliers en train de charger. La guerre n’est évoquée qu’en filigrane, mais elle est souvent présente. Le tout forme un livre d’images qu’on feuillette comme on relit un poème pour mieux s’en imprégner. L’ensemble est en tout cas d’une grande cohérence et d’une vraie beauté formelle, surtout pour un projet réalisé avec un matériel minimaliste. Murphy a notamment une manière très touchante de filmer les visages. Les séquences d’ouverture où des gens ordinaires récitent les paroles des chansons sont souvent belles (le vieil homme qui éclate de rire lorsqu’il se trompe) ou cocasses (le garagiste gouailleur qui déclame “Bitter branches” tout en fouillant sous le capot d’une voiture). Elles soulignent également à quel point les textes de l’album évoquent par moments le rythme et la sonorité des poèmes.

A cappella

C’est avec une démarche similaire que le photographe aborde les quelques séquences musicales qui ponctuent l’ensemble. Polly Harvey qui chante assise à une table, sans artifices, ou qu’on entrevoit brièvement en tenue de scène dans une église. Le groupe au complet qui interprète “The colour of the earth” a cappella en pleine nature, visiblement pas très à l’aise dans l’exercice, ce qui rend la séquence comique et touchante à la fois. S’ils ne sont jamais le sujet principal de ces douze films, ils semblent en être les narrateurs – impression déjà fortement ressentie à l’écoute de l’album, mais aussi pendant les concerts. Le DVD se conclut sur un bonus où Seamus Murphy filme en plan fixe Polly Harvey interprétant une version solo d’“England” qu’elle conclut par un sourire complice à la caméra. Sans doute pas la chanson qui se prête le mieux à l’exercice, mais c’est peut-être celle dont le texte résume le mieux l’impression générale que dégage ce portrait de l’Angleterre actuelle : « I live and die through England/It leaves a sadness/(…) England, you leave a taste/A bitter one ».

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publié par le 27/12/11