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publié par Mélanie Fazi le 15/02/11
PJ Harvey - La Maroquinerie, Paris - 14/02/2011
La Maroquinerie, Paris

Terrain vierge

Parfois, on sent réellement privilégié d’assister à certains concerts. De PJ Harvey, on se rappelait en 1998 une Black Session sublime dans le cadre intime du Cabaret Sauvage qui nous avait offert une proximité intimidante avec le groupe. On y a forcément repensé ce soir, tout contre la petite scène de la Maroquinerie où s’alignaient guitares et autoharpes. Ce qui rendait ce concert unique, ce n’était pas seulement son cadre semi privé, c’était aussi qu’il était le premier. Aucune vidéo, aucun extrait de concert n’avaient encore filtré : on arrivait en terrain vierge. C’est toujours un immense plaisir de retrouver sur scène un groupe que l’on suit depuis des années sans savoir à quel jeu il va se livrer sous nos yeux. Polly Harvey était ici entourée de trois musiciens qu’on a souvent vus à ses côtés : Mick Harvey, Jean-Marc Butty, et John Parish également producteur de l’album Let England shake sorti le jour même.

Ruptures

Il y a quelque chose d’extrêmement touchant à revivre sur scène les émotions d’un album qu’on est à peine en train d’apprivoiser : on reconnaît les morceaux sans les connaître par cœur pour autant. On peut encore se laisser surprendre, plutôt que d’anticiper chaque effet quelques secondes à l’avance. On s’étonne pourtant de ressentir à ce point dans nos tripes chaque effet, chaque émotion. On venait d’acquérir la certitude que Let England shake était un grand album, dont il fallait prendre le temps d’explorer les recoins ; on découvre aussi que c’est un immense album de scène. La chanson-titre, en ouverture du concert, ne nous avait pas pleinement emballés. La faute, peut-être, à un son trop saturé qui noyait la voix. Mais dès le deuxième titre, “The words that maketh murder”, les choses sérieuses commencent. Jusque là, on pouvait s’étonner du choix de ce morceau comme single : malgré son efficacité indéniable, sa structure tout en ruptures de ton ne semblait pas s’y prêter. On se ravise d’un seul coup. C’est un single à l’état pur, ce morceau-là : impossible de l’entendre en live sans chanter les paroles en chœur. C’est aussi le premier morceau sur lequel nous frappe le rôle central tenu par la batterie, qui se confirmera tout au long du concert. Que ce soit avec PJ Harvey, John Parish, Venus ou encore Calexico, on a souvent admiré le jeu subtil et gracieux de Jean-Marc Butty. Mais cette fois, il semble quasiment mener le jeu au même titre que la voix, traçant les chemins tortueux qu’empruntent les morceaux. Il est sans doute pour beaucoup dans l’intensité quasi douloureuse de “The glorious land”, l’un des grands moments de l’album ainsi que du concert. Difficile de trouver les mots justes pour décrire ce qui se passe là. C’est ce que devrait toujours être la musique, sur disque comme sur scène. Un de ces moments de perfection et d’intensité que l’on espère à chaque concert sans les vivre souvent. On se surprend à fredonner ce morceau-là bien après avoir quitté la salle, encore un peu sonné par l’impact.

Mise en scène

Ce qui frappe également en découvrant le dispositif de mise en scène, c’est l’adéquation de l’aspect visuel avec la matière de l’album. Toute de blanc vêtu et coiffée de plumes, Polly Harvey évoque un ange qui errerait sur un champ de bataille pour y interpréter ses chants de guerre et de mort. Les membres du groupe échangent régulièrement leurs rôles et leurs instruments, ajoutant au côté imprévisible du spectacle : on s’apprête à être constamment surpris. Les cymbales figurent des coups de canon ; lors de deux morceaux, Jean-Marc Butty, vêtu d’un costume intemporel, chemise et gilet, et muni d’un vieux tambour, s’avance sur le devant de la scène et semble incarner tous les soldats qui peuplent les récits de l’album. Beaucoup plus que dans l’émotion brute de l’ère d’avant White chalk, on est désormais dans le récit, la narration, la représentation. Impression renforcée par le contraste entre la première partie, consacrée tout entière au nouvel album, et le rappel composé de classiques à destination des fans. Après l’émotion superbe de “The colour of the earth” interprété par Mick Harvey, qui clôt magnifiquement l’album, on est presque déboussolé de retrouver des morceaux de To bring you my love. On a peut-être beaucoup trop entendu le tube “Down by the water” – toujours est-il qu’il nous semble, en comparaison, quasiment simpliste dans sa structure. La voix elle-même peine légèrement à y trouver ses repères. On se rend alors compte de la progression extraordinaire accomplie par Polly Harvey en quinze ans : elle a gagné une ampleur et une richesse dans l’écriture que rien ne laissait alors présager. “Meet ze monsta” reste un formidable morceau de scène auquel on se laisse toujours prendre. Mais on aura préféré la force plus subtile, plus adulte, de “The glorious land”, “Bitter branches” ou “On Battleship Hill”. On n’a pas simplement vécu ce soir un concert efficace, un enchaînement de tubes, une mécanique bien huilée : on a vécu quelque chose de plus fragile et de plus humain. Et quelque chose, finalement, de beaucoup plus surprenant. Combien d’artistes peuvent encore nous en offrir autant après bientôt vingt ans de scène ?

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publié par le 15/02/11
Derniers commentaires
gab - le 15/02/11 à 09:24

il est des compte-rendus qui vous font fortement regretter d’avoir manqué l’événement ...

Gi//es - le 16/02/11 à 22:51
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Ne pleure pas Gab, le concert était en direct sur Arte Live Web et dispo pour quelques jours : http://liveweb.arte.tv/fr/video/PJ_... on y voit même Reno :)
Bon vent au Cargo (même si un cargo à voile, c’est assez atypique...)