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publié par Mélanie Fazi le 15/04/09
PJ Harvey + John Parish
- A woman a man walked by
A woman a man walked by

Quatre mains

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils nous ont pris par surprise. C’est seulement à l’écoute de ce nouvel album à quatre mains que l’on comprend à quel point nos attentes étaient précises. On pensait qu’il ressemblerait davantage à Dance hall at louse point, le premier album co-écrit par John Parish et PJ Harvey en 1996. Parce qu’ils ont gagné en maturité depuis, et peut-être parce qu’on ne s’est pas encore remis du choc qu’a été le White Chalk de PJ Harvey il y a deux ans, on attendait un disque plus apaisé, plus mélancolique. Le premier titre entendu, qui ouvre d’ailleurs l’album, ne fait rien pour nous détromper : avec son riff imparable qui vous colle aux oreilles, derrière lequel on reconnaît nettement la griffe de John Parish, le single “Black hearted love” ne fait rien pour nous détromper. On croit retrouver le terrain familier arpenté il y a treize ans sur Dance hall at louse point.

Bouillonnement

Sauf que... Cet album s’avance masqué. Sitôt tourné cette première page rassurante, on est accueilli sur “Seventeen, sixteen, fifteen” par les vocalises hésitantes, presque discordantes, de Polly Harvey. Une fois lancée, la chanson emprunte des rails plus confortables, mais le début a suffi à nous déstabiliser. On commence à pressentir que l’album nous réserve autre chose qu’un simple retour aux sources. Si cet album ressemble au précédent, c’est uniquement dans la mesure où il retrouve le bouillonnement créatif qui habitait “Taut”, la chanson la plus chaotique et la plus délirante de Dance hall at louse point. C’est dans cette même folie que puisent la plupart des morceaux de A woman a man walked by. On croyait retrouver John Parish et Polly Harvey assagis, alors qu’ils se lâchent comme jamais.

Captain

On reconnaît ici des constantes. Les motifs mélodiques de John Parish, qui renvoient parfois aux meilleurs moments de How animals move ou de Rosie, son talent pour créer de fascinants paysages sonores, les vocalises insensées que Polly Harvey ajoute à ses tapisseries musicales - mais leur agencement est entièrement nouveau. En découvrant le diptyque “A woman a man walked by/The crow knows where all the little children go”, on revit la grosse claque qu’on avait prise treize ans plus tôt à la découverte de “Taut”. Au niveau du son de guitare comme du chant, le morceau rappelle furieusement les ambiances déjantées de Captain Beefheart. Que Parish et Harvey soient fans du capitaine, on le sait depuis longtemps - ne serait-ce qu’à travers les clins d’œil disséminés dans les paroles de l’album To bring you my love. Mais entendre PJ Harvey adopter le phrasé de Don Van Vliet, c’est troublant. Ce n’est pas comme si on ne l’avait jamais entendue crier à pleins poumons, mais pas comme ça. Et après White Chalk, on ne l’attendait plus là. Jamais on ne l’avait entendue jurer comme sur ce morceau : le moment le plus jouissif de l’album, c’est celui qui entend la lionne rugir « I want your fucking ass » tandis que la guitare de John Parish s’emballe en arrière-plan. On frôle le dérapage incontrôlé, et on tient là quelque chose de fabuleux. La partie instrumentale du morceau, qui bifurque soudain dans une tout autre direction, rappelle que Parish n’est jamais meilleur que lorsqu’il laisse ses instruments devenir sa voix - même si Once upon a little time, où il s’essayait à un chant timide et discret, était une jolie parenthèse. Il possède une puissance mélodique qui ne se révèle, paradoxalement, qu’en l’absence de sa voix.

Expériences en temps réel

Dans son ensemble, l’album rappelle le Is this desire de PJ Harvey, pour son côté laboratoire : on l’y voyait tenter des expériences en temps réel, rater parfois son coup, mais produire un disque autrement plus riche que toutes les productions studio bien léchées du monde. Dans la mesure où Parish, comme souvent, pose des ambiances plutôt que de créer des structures qui appellent à la formule couplet/refrain, le chant gagne en liberté et en diversité. A croire que depuis White chalk où elle tournait le dos à toutes ses habitudes, elle peut désormais tout se permettre : le chant animal et furieux de “Pig will not” ou de la chanson-titre, les envolées aériennes du très beau “Leaving California” au rythme de valse somnolente, les paroles davantage récitées que chantées de l’épilogue “Cracks in the canvas”.

Quarantaine

Vers la fin, on retrouve la douleur sourde qui imprégnait certains titres de White Chalk. “Passionless, Pointless” notamment, qui évoque l’étiolement d’une relation amoureuse, rappelle le malaise éprouvé à l’écoute de “Before departure” : une tristesse profonde qui imprègne jusqu’à l’os, un désespoir sourd, comme anesthésié. Et cette phrase qui sous-entend tellement en si peu de mots : « You slept against the wall/And you wanted less than I wanted ». On a l’impression, plus que jamais, d’entendre Polly Harvey évoluer à travers sa musique. Après l’épanouissement qui menait de la vingtaine à la trentaine, magnifié par la grâce de Is this desire, on entend autre chose à l’approche de la quarantaine. Quelque chose de très beau mais d’effrayant. Dans la façon, notamment, dont elle évoque la mort (ici “Cracks in the canvas”, auparavant “To talk to you”). On pressent un tout autre vécu que celui qui nourrissait la rage et les angoisses de Dry, voilà maintenant dix-sept ans. “Passionless, Pointless” ou encore “The Soldier” sont superbes, mais on n’en sort pas tout à fait indemnes.

Gouffre

Au fil des écoutes, A woman a man walked by se dévoile à mesure qu’on en explore patiemment les recoins. On peut l’écouter de diverses manières, selon qu’on choisit de se laisser porter par le chant ou d’isoler les arabesques de John Parish pour imaginer quelles histoires auraient raconté ces morceaux s’ils étaient restés instrumentaux. Il crée, comme toujours, des paysages denses, accueillants ou électrisants, dans lesquels il fait bon se perdre. Sur Dance hall at louse point, déjà, le sublime “Rope bridge crossing” commençait par une longue introduction instrumentale qui frôlait la perfection et invitait au voyage, avant même l’intervention du chant. Ce nouvel album a finalement un côté moins classique, nettement plus déstructuré, limite improvisé. C’est dans cet aspect foutraque qu’il est le plus jubilatoire. Il y a un gouffre entre cet album-là et le précédent, un gouffre aussi bien temporel que mélodique. Et c’est le plus beau cadeau qu’ils pouvaient nous faire. On attend d’autant plus impatiemment de les voir jouer ce répertoire sur scène le mois prochain. Dix ans qu’on n’a pas vu ces deux-là partager la même scène (John Parish était le guitariste de la tournée Is this desire en 1998). On espère des retrouvailles aussi belles sur scène que sur disque.

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publié par le 15/04/09
Derniers commentaires
air - le 15/04/09 à 21:59

Cet album est un chef d’oeuvre...