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publié par Mélanie Fazi le 25/06/07
Patti Smith
- Twelve
Twelve

Exercice

Si l’on juge un album de reprises en fonction de sa capacité à respecter l’esprit des originaux tout en imposant une griffe personnelle, alors Twelve est une jolie réussite. Ce qui ne surprend pas quand on sait Patti Smith coutumière de ce genre d’exercice. Dès les années 70, elle s’est rendue célèbre grâce à une reprise restée l’un de ses titres les plus marquants et le temps fort de ses concerts. Ce que le temps a retenu de "Gloria", c’est peut-être finalement son monologue d’introduction et sa célèbre première phrase (« Jesus died for somebody’s sins but not mine ») : du Patti Smith pur jus greffé sur la chanson de Van Morrison.

Alchimie

Malgré la différence de répertoire, ce disque me fait irrésistiblement penser à Kicking against the pricks, l’album de reprises de Nick Cave paru en 1986. Ils ont en commun d’être une jolie parenthèse dans la discographie de l’artiste, dont ils prolongent la démarche tout en créant une ambiance à part. Un travail d’alchimiste, en somme : transformer du Jefferson Airplane, du Stevie Wonder ou du Tears For Fears en Patti Smith, tout comme Nick Cave s’appropriait magnifiquement Leadbelly ou Johnny Cash.

Equilibre

Twelve est un album qui cherche un équilibre et le trouve la plupart du temps. Entre l’incontournable et l’improbable, le calme et l’énergique, l’ancien et le (relativement) récent. On navigue de Bob Dylan à Nirvana, des amours de jeunesse aux coups de cœur plus tardifs. Les chansons qui frappent dès le départ sont forcément les plus inattendues. Un titre, surtout, qui avait de quoi laisser songeur : "Everybody wants to rule the world", le tube de Tears For Fears. À la première écoute, ce choix fait sourire, mais la reprise est tout simplement excellente. Elle rappelle l’interprétation que faisait Patti Smith en concert, il y a quelques années, du "When doves cry" de Prince, tout aussi étonnante et réjouissante.

Crescendo

Les grands moments de l’album sont peut-être à chercher parmi les titres plus évidents. Comme un "Gimme shelter" parfait, électrisant, qu’on croirait écrit par et pour elle. Et "White rabbit" surtout, le sommet de Twelve, avec son crescendo hypnotique et sa tension sous-jacente, jusqu’au refrain dont les mots « Go ask Alice » tombent avec le tranchant d’un couperet. Pour le reste, s’il est classique de reprendre les Beatles, choisir "Within you without you" l’est nettement moins. S’il perd un peu de la bizarrerie de l’original, le résultat est étonnant, ne serait-ce que par l’aisance avec laquelle la voix trouve ses marques et semble tout du long planer en apesanteur. Il y a d’ailleurs quelque chose de touchant à entendre Patti Smith rendre ainsi hommage à ses influences, avec la ferveur des ados reprenant leurs chansons préférées dans le garage de leurs parents. On se rappelle alors qu’avant de devenir une figure de l’histoire du rock, elle a été, elle aussi, une passionnée de musique. Elle se met ici au niveau de ces chansons avec une belle humilité.

Sceptique

Parmi les surprises de l’album, on citera également le "Smells like teen spirit" de Nirvana. Pas tant pour le choix du titre (sur lequel j’avoue avoir été sceptique au départ tant je le voyais comme une facilité, presque un cliché) que pour le traitement subi par la chanson. Alors qu’on l’imaginerait très bien la reprendre à l’identique, avec la même rage et la même énergie, Patti Smith ralentit le rythme, y imprime une tension diffuse et en tire des émotions très différentes de l’original. Sa version est tout simplement fascinante.

Sagesse

Certains ont reproché à cet album une approche trop sage du répertoire, de la part de quelqu’un dont ils attendaient plus d’audace. Il est vrai que certains titres (notamment "Helpless" de Neil Young ou "Changing of the guards" de Bob Dylan) pâtissent de la comparaison avec les versions autrement plus marquantes de "Gimme shelter" et "White rabbit", voire du "Boy in the bubble" de Paul Simon. Il leur manque peut-être une étincelle pour se distinguer. Mais sans doute l’impact produit dépend-il de la relation qu’entretient chaque auditeur avec les originaux. Et regretter de ne pas retrouver dans cet album la Patti Smith d’il y a trente ans, c’est oublier aussi qu’il s’agit d’une autre femme, que les ans ont forcément transformée. Et qu’il y a dans ses albums récents, depuis le splendide Gone again de 1996, un apaisement qui est davantage signe de sagesse que de paresse. Oui, Twelve aurait sans doute pu être plus audacieux. Mais tel quel, c’est déjà un album attachant, qui permet d’écouter d’une oreille différente des chansons qu’on croyait connaître et donne une furieuse envie de découvrir les autres. En filigrane, on y reconnaît Patti toute entière avec son énergie, son enthousiasme quasi juvénile, sa façon de chercher l’engagement politique jusque dans les chansons des autres. Twelve n’a pas vocation à être un album majeur. Mais la parenthèse est belle.

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publié par le 25/06/07