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publié par Mélanie Fazi le 11/03/14
Neneh Cherry
- Blank project
Blank project

Le hasard du calendrier veut que deux des albums les plus marquants sortis en ce début d’année soient dus à des artistes que nous écoutions déjà il y a plus de vingt ans. Celui de Suzanne Vega, encore, nous l’avions attendu. Mais le Blank project de Neneh Cherry, dont nous apprenions l’existence moins de deux semaines avant sa sortie, nous fit l’effet d’un missile reçu en pleine figure. S’il y a un retour que nous n’avions pas anticipé en 2014, c’était bien celui-là, et de si belle manière. Si elle nous donnait régulièrement de ses nouvelles via des projets collaboratifs (Cirkus ou The Cherry Thing), son dernier album solo, Man, remontait à 1996.

Longévité

L’un des clichés les plus rebattus du rock (et des musiques assimilées) veut qu’un artiste déballe ses tripes dans son premier album et que tout soit dit ensuite. Vivre vite, se consumer tôt et rester prisonnier d’un culte de la jeunesse qui confine à l’absurde – voir la ténacité du mythe du « Club des 27 », de Jimi Hendrix à Amy Winehouse. La légende du rock se méfie du vieillissement, ce en quoi elle a tort. Ce nouvel album de Neneh Cherry, comme celui de Suzanne Vega évoqué plus tôt, ne font que souligner pour nous une évidence : il y a peu de qualités aussi admirables chez un artiste que la longévité, la capacité à mûrir avec l’âge, à se renouveler plutôt que de singer ses gloires passées. On admire d’autant plus le Dry de PJ Harvey qu’il a plus tard donné naissance à un White chalk ou un Let England shake, le Horses de Patti Smith qu’il a préparé le terrain à Gone again ; on admire d’autant plus, avec le recul, le hip-hop gouailleur de Raw like sushi à la lumière de cet épatant Blank project.

Polarités

Ce n’est plus là l’album d’une toute jeune femme à la conquête du monde et de la musique, qui dansait enceinte de sept mois sur la scène de Top of the Pops ; c’est celui d’une femme mûre, mère de trois filles déjà grandes, qu’elle évoque ici ou là sur l’album. « My fear is for my daughters », chante-t-elle en ouverture sur le splendide « Across the water » à l’ambiance méditative, hommage à sa propre mère récemment disparue. Il se dégage de ce titre une belle émotion palpable, comme plus loin sur « 422 », autre morceau caressant qui fait l’effet d’une pause au milieu d’un album favorisant plutôt les rythmiques martiales et la tension rentrée. Lorsque « Across the water » cède la place à l’extraordinaire chanson-titre, les deux polarités de l’album sont clairement énoncées. « Blank project » est un morceau de bravoure où le flow rapide et si reconnaissable est soutenu par une rythmique implacable, quasi tribale, sans qu’on sache bien si le rythme et la voix s’étreignent ou se combattent. Dualité qui semble refléter celle du texte, qui capture toute l’ambivalence d’une relation amoureuse de longue durée où l’amour et la haine ne sont parfois pas très éloignés.

Pulsion de vie

Le contraste, d’ailleurs, pourrait être ce qui définit le mieux Blank project dans son ensemble : un album qui parvient à rester hautement euphorisant malgré une tonalité sombre et des sonorités souvent dures et froides. On le rangerait volontiers sur la même étagère que le Third de Portishead ou le Mezzanine de Massive Attack, où couve une flamme intense sous les couleurs glaciales. Peut-être y ajouterait-on Homogenic de Björk, dont les basses organiques de Blank project convoquent parfois l’écho. Comme ces lointains cousins, l’album frappe par son impact physique, récemment confirmé par le concert hallucinant donné à la Gaîté Lyrique. Un titre comme « Weightless », déjà excellent sur disque, donnait lieu sur scène à un moment d’anthologie et de folie furieuse. Sur « Out of the black » à la tonalité plus légère, elle convie la pop star suédoise Robyn pour un duo rafraîchissant aux allures de single estival. Un souffle véritable traverse l’album de bout en bout. Quelque chose qui tient aussi bien de la fête débridée, de la course à la survie, et de cette pulsion de désir et de vie qui vous saisit parfois face à la mort.

Anniversaire

Alors que nous publions ces lignes, Neneh Cherry vient tout juste de fêter ses cinquante ans. Sans doute n’y avait-il pas de plus belle manière de franchir cette étape que de sortir Blank project à ce moment précis. Nous lui savons gré d’avoir eu la sagesse d’attendre le bon moment pour enregistrer ce quatrième album, et s’il lui a fallu dix-huit ans pour voir le jour, c’est qu’il devait en être ainsi. La surprise n’en est que plus belle. Et le respect que nous lui portons, d’autant plus profond.

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publié par le 11/03/14
Informations

Sortie : 2014
Label : Smalltown Supersound

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