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publié par Mélanie Fazi le 13/04/15
Nadine Shah
- Fast Food
Fast Food

Fast Food : un titre ironique pour un album aussi peu formaté, qui préfère aux saveurs grasses aussitôt oubliées des arômes plus subtils, plus lents à se révéler. Sur la foi de deux EP impressionnants et d’un premier album tout aussi passionnant, on imaginait mal Nadine Shah se lancer soudain dans la pop jetable et prête-à-consommer. Son univers est bien trop riche de potentialités, sa voix bien trop personnelle pour se perdre sur cette voie sans retour.

Ligne directrice

Si Love your dum and mad fonctionnait comme un collage d’ambiances musicales versatiles, des sonorités quasi gothiques de « Aching Bones » à la poignante mélancolie de « Dreary Town », Fast Food se concentre davantage sur une ligne directrice forte, marquée notamment par l’omniprésence des guitares et le rôle désormais plus discret du clavier, dont les deux premiers extraits (« Stealing Cars » et « Fool ») donnent une idée assez précise. « Fool », le deuxième single, touche d’ailleurs à une forme de perfection avec sa mélodie accrocheuse, son riff imparable et son texte cinglant, portrait sans concession d’un séducteur poseur et peu recommandable qui rappelle « Runaway », l’un des sommets de l’album précédent, par son ton glacial et jubilatoire à la fois. Il possède aussi l’un des textes les plus immédiats, les plus détaillés, allant à l’encontre de l’idée reçue selon laquelle un single efficace n’a pas besoin de s’embarrasser de subtilités dans les paroles.

Aux premières écoutes, on sépare volontiers les morceaux en deux catégories. Ceux qui retiennent immédiatement l’attention et posent des balises rassurantes permettant de mieux appréhender la découverte de l’album dans son ensemble : « Fool » évidemment, « Stealing Cars » ou encore « Living » à la tension prégnante et à la mélodie entêtante. Et puis les morceaux plus atmosphériques, qui touchent à des ressentis plus subtils sans forcément dire leur nom. L’écriture y est souvent plus poétique et allusive, riche en images marquantes et en sonorités travaillées ; les ambiances plus flottantes, les émotions plus insaisissables (sur « Matador », « Divided » ou le sublime « Big Hands » qui vous prend à la gorge quand vous l’attendez le moins).

Crépuscule

L’album est, curieusement, plus difficile à décrire dans sa globalité que ne l’étaient les œuvres précédentes. Peut-être justement parce qu’il s’aventure sur un chemin plus ambigu, une sorte de crépuscule à la lisière entre différentes textures musicales. Il apparaît moins théâtral, sans être pour autant moins littéraire ; les textes y sont toujours aussi étincelants, parfois proches de poèmes dans leur forme. Si l’aspect narratif est toujours très présente, il s’agit davantage de portraits que d’histoires. Des tranches de vie, des saynètes qui parlent de rêves, de désirs, d’intentions troubles et de relations complexes.

Les accompagnements brouillent eux aussi les pistes : au lieu de se borner à accompagner fidèlement la mélodie, ils empruntent parfois des voies contraires, comme à rebrousse-poil : sur le magnifique « Stealing Cars » on croit d’abord entendre deux voix contradictoires, le chant caressant d’une part, le riff lancinant et la section rythmique d’autre part, avant de comprendre leur complémentarité. Ce qui renforce l’impression d’un album à la fois plus personnel (de l’aveu même de Nadine Shah en interview) et plus pudique, où l’on frôle quelque chose qui est de l’ordre de l’intime, mais qui se dérobe aux descriptions et se dévoile plutôt entre les lignes. Le timbre grave de la voix se révèle toujours aussi envoûtant, porteur de tension contenue comme de franche émotion, toujours aussi apte à souligner la passionnante dimension narrative des textes (« The Gin One », « Fool »).

Couleurs tranchantes

Derrière les couleurs tranchées (voire tranchantes) de sa pochette évoquant l’esthétique d’un Dario Argento période Suspiria, et qui semblent justement démentir toute l’ironie du titre, Fast Food possède la force d’une affirmation. Celle de la place toute personnelle que creuse Nadine Shah une parution après l’autre ; celle d’une voix (et quelle voix !) avec laquelle il faut désormais compter.

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publié par le 13/04/15