La réussite de la série Cobra Kai, une suite de la trilogie ciné Karaté Kid, tient du miracle. Le projet casse-gueule au possible, visant à faire revenir les deux antagonistes principaux du film originel (c’est a dire 34 ans plus tard) avait peu de chance de faire mouche, voire faisait mal au cœur sur le papier tant la légitimité d’un tel come-back semblait hors propos. Car il ne suffit pas de reprendre les mêmes acteurs et les remettre sur le devant de la scène, pour donner une crédibilité à l’ensemble. Surtout en les faisant revenir timidement par la petite lucarne, encore plus petite que par la télé puisque via le streaming payant de YouTube : YouTube Red. Mais ces craintes et ces a priori sont balayés dès le premier épisode. Et laissent progressivement la place à une jubilation inespérée qui dépasse les plus grandes attentes.
La réussite et l’initiative de ce projet revient en grande partie au trio de scénaristes, et amis d’enfance, fans de la première heure venus pitcher avec un enthousiasme sans faille l’idée de ce potentiel retour à l’acteur principal Ralph Macchio. Mais non contents de le faire revenir, ils décident surtout contre toute attente de proposer le rôle principal à son adversaire de l’époque, William Zabka alias Johnny Lawrence. Le titre de la série prend du coup tout son sens, évitant la facilité et prenant le parti de l’opportunité plutôt que de l’opportunisme.
Et c’est là que toute l’intelligence du projet repose. Ne pas seulement repartir sur un revival ancré dans ces années 80 tellement tendance ces temps-ci (cf le succès de Stranger Things) mais proposer une nouvelle histoire reposant sur ce moment charnière de la vie de ces deux gamins devenus adultes et parents, faisant face aux démons du passé. Des adultes avec la vulnérabilité qui leur est propre, loin des archétypes attendus, avec un parcours dans la vie qui leur a fait perdre l’innocence de l’adolescence. Johnny marqué par les événements qu’il a vécu apparaît incroyablement humain. Brisé, abattu, cynique, roulant sa bosse de loser en ruminant éternellement sa gloire perdue, il efface d’emblée cette image de bad guy qui le caractérisait. A l’opposé, Daniel à qui tout a réussi depuis ces fameuses aventures de l’été 1984, est devenu un parent, homme d’affaires pépère, balayant cette image de héros du passé. Chacun d’eux est une facette de la même pièce, plus vraiment le ying ou le yang de l’autre, plutôt un reflet avec un léger décalage dû à un parcours différent.
Et quand le destin les fait à nouveau se rencontrer, chacun voyant l’autre à travers le prisme du passé, on aura du mal à prendre parti car tous deux ont leur propre point de vue avec sa légitimité et donc ses conclusions.
Les dix épisodes de cette saison vont donc réussir à nous faire vivre cette confrontation inévitable mais avec une subtilité qu’on n’attendait pas, en usant d’idées narratives subtiles. Des extraits du film servent de flashback, les gimmicks/références sont des clins d’œil savamment distillés mais jamais des appels lourdingues du pied. Plusieurs scènes font directement écho au premier film mais jamais de façon racoleuse ni complètement ou seulement avec nostalgie mais plutôt comme un témoignage de l’héritage de ce film entré dans la pop culture et usant de ces références pour ancrer sa mythologie.
Même les absents ont leur rôle. Miyagi joué par Pat Morita, depuis décédé, apparaît lors des flashbacks et nous rappelle l’importance qu’il a eu et a encore pour Daniel San. La scène au cimetière, tout en recueillement et en dignité, est un moment d’émotion d’une justesse évidente. Quant aux intrigues annexes, elles ne le sont finalement pas, du fait qu’elles s’entrecroisent et alimentent l’intrigue principale. Les histoires développées vont sonner comme une réincarnation du passé, une impression d’éternel recommencement, quelque part entre l’héritage et la malédiction. L’autre thème abordé, qui domine et qui amorce les actes et les décisions, est celui de la figure paternelle, absente ou de substitution. Elle a forgé différemment nos anciens héros par le passé et influencera logiquement le destin des nouveaux.
La narration va aussi jouer en filigrane sur des thèmes universels : l’histoire d’amour contrariée façon Roméo et Juliette, l’enseignement maître/élève faisant à la fois référence au premier film mais aussi à la relation Yoda/Luke Skywalker pour le côté spirituel et dépassement de soi. Un autre thème traité propre à Star Wars (mais étant déjà l’axe principal de Karaté Kid 3) est celui de l’équilibre précaire, et la possibilité de passer du côté obscur. Une menace qui grandit en cours de saison, pas seulement pour l’élève mais aussi pour le maître : le danger de laisser la colère motiver et justifier ses actes.
Tout cela pour finir en beauté lors du fameux tournoi, où l’on attend tout en le craignant, le Happy end facile et convenu, ce qui ne sera pas le cas grâce à la tournure finale intelligemment orchestrée, fidèle à tout ce qui a fait la réussite de cette mini série, tirant toujours vers le haut en évitant quasiment tous les pièges d’un récit qui aurait pu n’être que manichéen et se révèle finalement bien plus ramifié et nuancé que prévu, ainsi que profondément humain.
Et finalement, là où ce retour inattendu aurait pu n’être qu’un éphémère one shot vintage, sacrifié sur l’autel de la liste des interminables reboots dont Hollywood nous inonde depuis quelques années, au cinéma comme à la télé, on a finalement droit à une proposition respectueuse de son matériau d’origine, ouverte aux fans comme aux non initiés et conçue intelligemment malgré (où peut-être grâce à) un format qui semblait trop étriqué. C’est pourtant cette formule qui a permis de traiter ce come-back de la meilleure façon, posant les jalons d’un univers bien plus vaste et riche que prévu, laissant présager une inévitable deuxième saison qui devrait encore monter en puissance, si elle est abordée avec cette même logique de création.