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publié par gab le 08/06/11
Keren Ann
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101

Si l’envie vous prenait d’évoquer en société la sortie d’un nouvel album de Keren Ann, les chances sont grandes pour qu’on vous réponde « Keren Ann ? C’est toujours aussi chiant ? ». On le sait car 1/ on a fait le test, 2/ on l’a soi-même pensé très fort, 3/ objectivement c’est vrai que c’est un peu chiant Keren Ann. Comprenons-nous bien, ses chansons sont belles, toujours parfaitement calibrées et exécutées, on ne trouve jamais rien à redire ni sur le fond, ni sur la forme, mais voilà, on constate qu’on s’ennuie souvent à l’écoute de ses albums. C’est un peu comme les dimanches après-midi de notre enfance, ça traine en longueur, c’est tout calme et tout doux mais c’est pas très excitant. C’est bien simple, la dernière fois qu’on s’est vraiment enthousiasmé pour la demoiselle c’était en 2003 pour sa comédie-musicale dépressivo-lo-fi Lady & bird (en collaboration avec Bardi Johannsson) … et la fois d’avant c’était en 2000 pour son premier album La biographie de Luka Philipsen. Or si on essaie de projeter ça dans une petite série mathématique, il semblerait que ce soit tous les trois disques que Keren Ann se réveille vraiment ou alors que nous ouvrons nos chakras, allez savoir. Mais voilà que cette année la rumeur nous annonce un nouvel album, 101, et tandis que nos sourcils restent imperturbablement plats et que notre moue douteuse murmure un faible « ah ? mouais … », une petite voix se fait entendre pour nous rappeler qu’il s’agit de son troisième album depuis Lady & Bird, si-si, le troisième … « ah ? ouais ?!! ».

coupe

Bon en réalité ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça, tout est vrai sauf la rumeur. En fait, c’était plutôt du genre « hé, y a Keren Ann qui a viré électro ! … et elle s’est fait une coupe Mireille Mathieu !!! … et elle bouge sur scène !!!!!! ». Avec de si bons arguments, on ne pouvait que se rendre illico-presto sur internet pour visionner une de ses prestations et force est de constater, c’est très électro, la coupe est là (même si on a cru voir quelque part que c’était une perruque … !!!), et les petits pas de danse aussi. On n’est pas emballé à la première écoute mais au moins ça change un peu des balades folks. Les mois passent et nous voici cette fois en famille et en voiture branché sur France Inter quand arrive une chanson qu’on entend de plus en plus souvent ces temps-ci, un gimmick de guitare sexy et une histoire de maman sucrée. Ni une, ni deux, les bras et la tête des mômes se mettent à s’agiter dans tous les sens, phénomène très étrange, à ce jour inexpliqué, qui se produit systématiquement sur cette chanson.
« - C’est marrant, on dirait la voix de Keren Ann, s’exclame le conducteur
- Pas possible, répond madame
- Ah, au temps pour moi … » (notez au passage la richesse des dialogues)
Et voila comment on se retrouve à écouter puis chroniquer 101, le nouvel album de Keren Ann.

shaker

Comme on avait dit qu’en 2011 on arrêtait les introductions de plus de quatre pages, on va attaquer directement le vif du sujet, on s’en excuse auprès des amateurs de tranches de vie familiale, un peu de professionnalisme que diable. Pour ceux d’entre vous qui sont encore avec nous, vous vous en doutez, on n’avait pas rêvé, le désormais fameux "Sugar mama" est bien le deuxième single extrait du disque, la série de trois semble se confirmer et nos sens engourdis peu à peu s’éveiller. C’est donc très intrigué qu’on découvre l’ensemble des morceaux de l’album qui commence par le premier single "My name is trouble", cette même chanson qui nous avait laissé un peu froid il y a quelques mois. A la réécoute il passe plutôt bien, un bon beat un peu lancinant et surtout un chant soutenu, pas super dynamique mais jouant très bien la carte mystère. C’est frais, pas racoleur du tout, très éloigné de nos habitudes keren-annesques, en résumé c’est tout bon. Et puis bien sur, on retrouve l’excellent déclencheur-de-danse-enfantine "Sugar mama" qui confirme toutes nos impressions de départ. Une musique simple et ultra-efficace, le chant des couplets très détaché, limite dominateur, enchaîné sur des refrains jouissifs où l’on reconnait enfin la vraie voix de Keren Ann et où l’on a qu’une envie, shaker ses bras et bouger son ass (si on peut se permettre).

unité

Ce sont bien sur les deux faits d’armes de cet album, avec sous une autre forme le dernier morceau "101" qui donne son titre à l’album. Les autres morceaux retrouvent un certain classicisme dans l’écriture qui pourrait nous faire craindre le pire … mais il n’en est rien, au contraire. Déjà le fait de disséminer les morceaux de bravoure tout au long de l’album, cela donne des respirations indispensables aux morceaux plus calmes et a le mérite de réveiller en beauté l’auditeur. Et surtout les morceaux à la base plus lents et classiques voient leur production enrichie grandement par leurs voisins de palier. Ainsi le très apprécié "Run with you" qui aurait été, on imagine, assez pénible avec juste guitare-voix gagne ici en profondeur via sa mise en forme. Autre avantage important, l’album conserve ainsi une unité de son tout au long des morceaux, tout ce qu’on aime. Bon ça n’empêche pas de conserver des réserves sur certaines chansons (le refrain et la musique un peu irritants de "Blood on my hands" par exemple, ou l’incartade Mazzy-Staresque de "Song from a tour bus") mais globalement l’album est varié, plaisant, il donne envie d’y revenir, c’est aussi un très bon compagnon de transports en commun, on ne demandait pas beaucoup plus.

tranchées

Enfin, moins globalement et pour ne rien gâcher, cet album possède aussi ses joyaux, ses morceaux à l’aura et au feeling intemporels, "You were on fire" et "Strange weather". "You were on fire", le triomphe de la mélodie à l’ancienne avec nappage de cordes et chant d’une beauté troublante, du grand art dont on sait bien sur Keren Ann capable depuis longtemps. Elle semble par contre avoir compris qu’il n’était pas nécessaire de chercher cette magie sur chaque morceau, un seul par disque suffit amplement à notre bonheur, on en est ravi. "Strange weather", du même genre mais dans une autre catégorie, la catégorie des morceaux qui vous prennent à la gorge, des chansons qui envahissent vos tranchées d’émotions pourtant fortement gardées, des morceaux qui partent de loin, très loin, au plus profond de soi et qui remontent par paliers pour se diffuser lentement dans vos jambes, dans votre dos, dans vos bras. Un morceau bouleversant tout simplement.

extraterrestre

Voila donc comment réussir haut la main et en douceur un virage électro. On ne sait pas combien de temps va durer l’incartade mais au vue de la très bonne reprise de "Je fume pour oublier que tu bois" de Bashung (sur le récent album hommage Tels), profitons de la case trois de la série pendant qu’elle est là. Et si d’aventure elle devait s’achever sur cet album-ci, au moins finirait-elle en point d’exclamation sur l’extraterrestre "101". Une lente descente en ascenseur avec voix synthétique énumérant des données militaires, scientifiques et religieuses (des trois grandes religions monothéistes) en une sorte d’état des lieux de l’humanité vue de l’espace, pour finir au premier étage sur un dieu unique. Le message est clair, brillamment délivré, sans une once de démagogie ou de facilité. « 79 star trek episodes », un peu de finesse dans un monde de brutes ...

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publié par le 08/06/11
Informations

Sortie : 2011
Label : EMI