Nous sommes en 2199, Shannon Moss, jeune recrue de l’US Navy perdue en plein exercice sur le terrain, observe à l’extérieur d’elle-même sa propre crucifixion. Son corps à l’envers, nu, livré à la torture du froid glacial de la fin du monde. Puis les secours arrivent, elle se voit évacuée par une navette de la Navy, pendant qu’elle gît un peu loin, abandonnée à une mort certaine.
Si vous ne comprenez pas... c’est normal mais on en reparle ! Mais d’abord précisons que si cette scène est légèrement traumatisante, Terminus n’est pas gore ou à classer dans le genre horrifique, ce roman de science-fiction fait plutôt sien un certain réalisme sans concession à la G.R.R Martin. Tom Sweterlitsch emprunte la forme du thriller, qu’il dote d’une solide mécanique (pseudo) scientifique, cohérente sans être réservée aux doctorants en physique quantique. Et peu à peu il dévoile une conspiration labyrinthique qui va vous retourner le cerveau, plusieurs fois. En tout cas, c’est ce que ce livre a fait à votre serviteur ainsi qu’à un certain Neil Blomkamp (District 9) qui va l’adapter au cinéma. Il s’entend tellement bien avec Tom qu’ils ont commencé à écrire des courts-métrages ensemble. (Rakka, 2017).
Dans la navette, Shannon est soignée en urgence et face à la gangrène qui a commencé à se développer, on doit lui amputer une jambe. On pourrait penser que c’est la fin de l’histoire pour elle mais pas du tout. C’est l’une des deux choses que l’on découvre dans cette introduction :
1 - Shannon Moss n’abandonne jamais
2 - la fin du monde a été découverte, elle a même un nom : le Terminus.
Retour vers les futurs
Mais peut-être est-il temps d’expliquer un peu ce qui se passe ? Terminus (The Gone World en VO) décrit une réalité alternative où l’US Navy, impliquée dans la conquête spatiale depuis le "Star Wars" de Reagan mène un programme secret d’exploration du temps et de l’espace profond. Grâce à des avancées majeures en physique quantique, l’homme est désormais capable d’explorer des galaxies lointaines et de voyager vers le futur (ou plutôt des futurs hypothétiques). La Navy a donc créé une division spéciale pour mener ces explorations, avec sa bureaucratie et ses protocoles.
Et la police navale, le N.C.I.S, exactement comme dans la série télé qui porte ce nom, est chargée d’enquêter sur les crimes commis par des marines du programme, ceux atteints de folie meurtrière suite à tout ce qu’ils ont vu et vécu ou encore ceux qui essaient d’en tirer un bénéfice personnel.
Déjà-vu
Retour en 1997, le présent, l’époque "réelle" ou "terre ferme" selon le jargon des explorateurs, Moss après plusieurs opérations et de la rééducation, est agent spécial du N.C.I.S. On l’appelle en pleine nuit pour une affaire atroce : une famille a été massacrée chez elle et le suspect principal est le père, Patrick Mursault, un Navy SEAL (commando d’élite de la marine). Seule rescapée, la fille aînée, Marian est portée disparue, probablement enlevée par son père.
L’affaire a une résonance toute particulière pour Moss : sa meilleure amie Courtney habitait dans la maison de la famille Mursault, elle a été égorgée dans un parking, au même âge que Marian et elle était brune aussi et sa mort a profondément affectée toute la vie de Shannon.
Marian à tout prix
Sauver Marian devient vite une obsession pour Moss, et alors que chaque heure qui passe diminue les chances de retrouver la jeune fille vivante, elle va prendre tous les risques pour la retrouver. Mais l’enquête se heurte à un mur. Ce qui ne laisse qu’une possibilité à Moss : dans le futur, il est fort possible que l’affaire ait été résolue, le corps de Marian retrouvé, les coupables jugés. La Navy autorise ses agents à aller chercher dans le futur la solution à un crime présent.
C’est le début d’une longue enquête, brutale, difficile, parfois sans espoir mais jamais Shannon n’abandonnera Marian, même quand on lui brise à nouveau le corps. Même quand infiltrer le réseau responsable de ces meurtres et beaucoup d’autres l’oblige à passer des années dans des futurs qui disparaissent ensuite tandis qu’elle conserve les années passées sur place et se rapproche en âge réel de celui de sa propre mère. En suivant ce fil rouge, les coïncidences, les motifs récurrents révèlent peu à peu une trame cohérente, une immense machination à travers le temps, l’espace et de multiples réalités.
Tout le monde descend
Et il y a l’horreur du terminus bien sûr : un futur inéluctable détecté par les voyageurs du temps, dont la date se rapproche depuis sans cesse du présent. L’humanité condamnée à mourir dans d’atroces souffrances, crucifiée, dépecée, asphyxiée le corps expulsant de l’argent liquide par la bouche, ou morte d’épuisement pour les malheureux condamnés à courir par centaines sans jamais s’arrêter. Une épée de Damoclès suspendu au dessus de la tête de nos explorateurs du temps, qui savent qu’ils doivent trouver un futur ou une planète qui leur permettra d’échapper au Terminus.
Echos
S’il n’était "que" ça, Terminus serait déjà un sacré thriller, digne de la saison 1 de True Detective, pour son ambiance gothique, à la lisière de l’horreur et du mysticisme, comme pour la qualité de l’écriture de ses personnages ou plutôt de son personnage.
Moss n’est pas une héroïne sans saveur, une allégorie, mais une créature d’esprit, ingénieuse, déterminée mais aussi de chair, qui a ses désirs, ses failles, qui se trompe parfois, qui est à la fois la fille "typique" des suburbs américains qui aurait pu finir comme sa mère à bosser dans le télé-marketing et une superwoman digne de Dana Scully qui est son modèle dans le livre. Elle est consciente de sa propre beauté et elle a peur en même temps de ce que son amant pensera de l’odeur due à sa prothèse.
Soulfood
Mais ce ne sont qu’une partie de tout ce qu’il y a comme matière à réflexion dans le livre : Tom Sweterlitsch réussit à créer à la fois un univers régi par sa propre physique quantique, un système cohérent et logique qui refuse tout deux ex machina ou toute "licence poétique". Et en même temps il arrive à insuffler de la poésie justement dans son univers, sa forêt glacée infinie et terrifiante, des vies qui ne sont pas des vies mais juste des échos, un vaisseau fait avec les ongles des morts pour aller mener la bataille contre les dieux, un poisson qui est piégé dans une boucle de temps quantique. La même arme qui sert à tuer à l’infini à travers le temps et l’espace. Des gens que l’on croise à plusieurs reprises dans différentes versions d’eux-même.
Rigueur dans la construction de l’intrigue, SF ambitieuse, poésie, images marquantes, humanité des personnages. Terminus coche à peu près toutes les cases du bouquin de SF parfait, et c’est presque le cas mais je ne pourrais pas vous parler de la seule chose qui m’ait un peu déplu dans le livre sans spoiler, même si je la comprends et que ça n’enlève rien à l’oeuvre de Tom Sweterlitsch. Rendez-vous peut-être dans un autre article pour cela, en attendant qu’est-ce que vous faites encore là ? par la magie de l’ebook vous pourriez déjà être en train de découvrir Terminus !