1997 ! Depuis 1997 ! Cela fait presque quinze ans qu’on attend le tome 2 de Sasmira, la magnifique bande dessinée de Vicomte. Autant dire que depuis le temps, c’était devenu l’équivalent BD du prochain album de My Bloody Valentine. On avait d’ailleurs fait une croix dessus depuis belle lurette. Et pour cause, comment donner suite à une si forte intrigue ? Comment ne pas détruire le fragile édifice construit dans L’appel (le tome 1) ? Cet appel justement venu du passé sous la forme d’un poème et d’une photo jaunie, cette vieille dame inconnue qui meurt dans les bras de Stanislas en l’appelant par son prénom, ce mystère qui fait basculer Stan et Bertille dans le passé, l’orichalque, la photo encore et Sasmira, le regard de Sasmira … Quinze ans donc qu’on rêve de lire la suite, qu’on attend fébrilement (bien qu’on laisse croire le contraire) et voila que fin 2011 alors qu’on fait nos courses de noël en toute innocence (ou presque, on est quand même dans une grande enseigne d’abrutissement des masses), on tombe en arrêt devant une couverture ocre, un visage énigmatique qu’on reconnait d’emblée et un titre qu’on peine à intégrer tellement il vient ébranler nos défenses. Sasmira.
art
Il faut dire que notre relation (unilatérale bien entendu) avec Laurent Vicomte ne date pas d’hier (1997) mais plutôt d’avant-hier (le tout début des années ’90) lorsqu’on découvre les quatre premiers tomes de Balade au bout du monde, la série commencée en 1983 avec Makyo. Et quelle découverte. Si on n’était plus à Gaston Lagaffe et Lucky Luke depuis quelques temps déjà, il y eut bien un avant et un après Balade au bout du monde. Evidemment c’était la première fois qu’on tombait sur un ovni de ce genre avec scénario hors-norme de royaume oublié dans les brumes d’un marais, soutenu par un dessin s’accordant à merveille avec le mystère ambiant et se permettant au passage quelques faits d’armes impressionnants (un seul exemple, le basculement dans la folie d’Arthis en pleine bataille). Un dessin s’accordant tellement bien qu’aucun des dessinateurs suivants de la série n’a su retrouver cette noirceur étrange teintée de mélancolie des deux premiers tomes puis la folie latente plus lumineuse des deux tomes suivants. Intense découverte donc, sur fond de Loveless de My Bloody Valentine (encore eux) qui venait de sortir, quoi de plus évocateur et déstabilisant pour le jeune homme de 17 ans qu’on était. Et si on revient sur cette série, au delà de nos bouleversements d’époque, c’est évidemment qu’on a retrouvé dans le premier tome de Sasmira ce mystère et ce jeu avec le temps qu’on avait tant adoré. Les parallèles entre les deux séries sont même assez nombreux et l’impression donnée au final était que Sasmira poussait encore plus loin dans ses retranchements le scénario et le dessin de la période précédente. Si on avait vu évoluer et s’affirmer le style de Vicomte sur quatre balades, on le découvrait là au sommet de son art pour son coup de maître.
affres
C’était d’autant plus frappant que Laurent Vicomte se lançait seul au scénario et au dessin. Pour une œuvre aussi singulière ce ne pouvait être que très personnel. Trop personnel ? Comment expliquer toutes ces années ? Problèmes de scénario (comme dirait Diabologum) ? Trop de perfectionnisme ? Le livre d’entretiens avec Yslaire autour de la série Sambre (La légende des Sambre) donne certaines indications à ce sujet expliquant qu’il (Yslaire) devait sa boulimie de documentation de ses ateliers avec Vicomte qui, par exemple, savait très exactement ce que porte chaque personnage sous ses vêtements apparents. Documentation qui fait la majestueuse beauté des planches d’habillage en robes début XXe de L’appel. A moins que ce ne soit un problème de lâcher prise, l’incapacité à passer de l’autre côté du sommet qu’on évoquait plus haut. Quoiqu’il en soit, laissons leur part de mystère aux affres de la création, l’important est qu’aujourd’hui les blocages semblent levés, que Vicomte s’est fait aider par Claude Pelet qui cosigne les dessins et qu’on peut les remercier tous les deux pour ce cadeau inespéré.
raison
Ceci dit ce n’est pas le tout de nous faire attendre quinze ans et de réapparaître comme le messie juste avant noël, on ne va pas non plus se laisser embobiner comme ça. Que vaut donc La fausse note (ce fameux tome 2) ? L’envie est grande de vous dire qu’il est en tout point à la hauteur de nos attentes les plus folles, que ce soit côté scénario (qui tient toutes ses promesses et son lot de frustrations) ou côté illustrations (toujours aussi troublantes), mais on ne le fera pas. Il n’y a pas de raison qu’on n’attende pas nous non plus une petite dizaine d’années avant de vous livrer nos impressions (ça laissera le temps aux amoureux du tome 1 de le découvrir). Tenez, prenons dès maintenant rendez-vous pour la sortie du tome 3 (en 2018*), on reviendra alors en long en large et en travers sur les révélations détonantes de La fausse note. On est déjà impatients d’y être !
* Notez qu’on ne laisse que sept ans entre les deux tomes suivants … notre optimisme nous perdra.