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publié par Mickaël Adamadorassy le 05/09/17
Iron & Wine
- Beast Epic
Beast Epic

Sam Beam a beau être un de nos songwriters préférés, on avait un peu décroché après un Ghost on Ghost (2013) qui lorgnait trop vers le jazz et le R&B à notre goût. Depuis on ne peut dire que Iron & Wine ait chômé, avec une moyenne d’une sortie par an. Il y aura eu un album de reprises avec Ben Bridwell (le chanteur de Band Of Horses) , une compilation d’ inédits sortis du grenier et surtout en 2016, Love Letter For Fire, co-écrit avec la géniale Jesca Hoop. Mais cette fois-ci Beast Epic ne contient que des nouvelles compositions de Sam et ça sort chez Sub Pop, le mythique label de Seattle où il a débuté sa carrière. Une coïncidence a priori, mais on serait tenté d’y voir un symbole car Beast Epic marque un retour à une musique beaucoup plus proche des trois premiers albums, dans l’écriture comme dans la production, tout en gardant aussi le meilleur des expériences accumulées depuis. Iron & Wine a toujours su marier émotions et poésie dans ses textes mais le projet trouve ici un équilibre quasi-parfait dans la mise en musique, au premier abord dépouillée, nichée dans l’intime mais au fil des écoutes, on distingue de plus en plus clairement une grande richesse instrumentale, des constructions qui jouent avec les creux et les pleins pour vous tenir en haleine tout du long de onze titres du disque.

Retrouvailles

« I’ve enjoyed experimenting with different genres, sonics and songwriting styles and all that traveled distance is evident in the feel and the arrangements here, but the muscles seemed to have relaxed and been allowed to effortlessly do what they do best. » *

Les albums d’Iron & Wine sont depuis longtemps un champ d’expérimentation, une occasion de d’évoluer et de se débarrasser de l’étiquette folk qu’on a collé au projet dès le départ. Le superbe EP In The Reins en collaboration avec Calexico montrait déjà ce que pouvait donner l’écriture de Sam, sublimée par un groupe de musiciens ultra-doués (cf. le lapsteel de Paul Niehaus, une des plus belles choses du monde), Kiss Each Other Clean apportait de nouvelles couleurs très pop, Ghost on Ghost s’ouvrait sur d’autres genres musicaux et donnait plus d’importance au rythme. Tout ce parcours se retrouve dans les arrangements et les atmosphères du nouvel album mais Sam Beam semble ne plus vouloir se forcer à changer pour changer, à écrire et composer pour se définir différemment. Il est donc revenu à ce qui est pour lui le plus naturel et le plus efficace : s’enfermer pendant deux semaines avec un groupe pour faire le disque, en enregistrant le maximum de choses ensemble en live.

le contraire de la saturation

Cette façon de procéder, on a vraiment une impression de la retrouver en écoutant Beast Epic. Au casque en particulier, c’est vraiment comme si on était dans une pièce avec le groupe en train de jouer. Que ce soit la batterie, le pedal steel, les cordes ou les claviers, tout le monde est au service des chansons, pour distiller notes, textures et accents aussi bien en toile de fond, comme un décor en pointillés, que sur le devant de la scène. Le groupe n’est pas un figurant, les compositions laissent les espace nécessaires pour qu’il puisse apporter aussi à l’édifice. Sur Last Night , on sort même complètement de l’ossature folk classique, pas de guitare mais tous les instruments qui jouent stacatto tandis les cordes s’embarquent dans de savoureux mini solis dissonants.

Si tout ça fonctionne aussi bien, c’est d’abord grâce au très bon groupe qui accompagne Sam mais il faut aussi souligner le très bon travail de Tom Shicks au mix, un nom qu’on ne connaissait pas mais le monsieur a un CV plus qu’impressionnant. Il parvient à vous donner l’impression initiale d’écouter un disque de folk intimiste, mais enregistré en "hi-fi" (avec des plus beaux sons de guitare acoustique enregistrée qu’on ait entendu). A ce stade on se régale surtout des titres du début du disque comme Claim Your Ghost ou Thomas County law, qui font partie des meilleures chansons de Sam. Puis au fil des écoutes, c’est toute la richesse des arrangements qui se révèle et c’est un vrai bonheur de décortiquer chaque chanson et ses arrangements. Un exemple parmi tant d’autres : le travail de Jim Becker (violon) et Teddy Rankin Parker (violoncelle) sur les changements de timbre, les nuances de dynamique dans le jeu, une approche très moderne de la pratique des cordes qu’on attendrait pas forcément sur un disque folk mais ça fonctionne parfaitement dans le mix de Tom Shicks.

Il y a dans Beast Epic tout une palette d’intensités mais le groupe n’a pas besoin de monter le mur du son pour vous fait parvenir à une plénitude sonore bien réelle. Qui est même plutôt le contraire de la saturation. La musique d’Iron & Wine parle de grands espaces, d’attentes lancinantes, de silences plein de sens, elle est lumineuse, angoissée puis apaisée, mélancolique mais pleine d’humanité et au final d’espoir car quelque soit les expériences vécues il y a toujours de l’espoir et de l’affection chez Sam Beam, pour lui-même et pour les autres.

Fables

« Where the older songs painted a picture of youth moving wide-eyed into adulthood’s violent pleasures and disappointments, this collection speaks to the beauty and pain of growing up after you’ve already grown up » *

Beast Epic désigne en anglais une oeuvre en prose racontant les histoires d’animaux auxquels on prête des sentiments et des motivations humaines (en littérature française ce serait les fables de la Fontaine ou le Roman de Renart). Mais il ne faut prendre ce titre au pied de la lettre : dans la note qui accompagne le disque, Sam explique qu’il a d’abord choisi cette expression parce qu’il la trouvait « fucking cool » (je cite) mais qu’au fond pour lui ces "histoires d’animaux qui parlent et agissent comme des humains" racontent très bien ce qu’est la vie de tout un chacun.

Les textes d’ Iron & Wine sont toujours aussi beaux mais surtout ils gardent une part de mystère, des images poétiques que chacun pourra s’approprier. Sam nous explique que pour lui, il est question de rites de passage sur le ce disque, un thème récurrent chez lui mais abordé cette fois-ci avec une maturité qu’il n’avait pas plus jeune. Un façon de continuer à grandir en tant qu’adulte qu’il trouve à la fois belle et douloureuse. Ce qui se retrouve dans l’atmosphère du disque mais on a quand même l’impression qu’à la fin, la lumière l’emporte sur les ténèbres, Beast Epic peut avoir de la gravité et une certaine mélancolie mais ce n’est pas un disque pessimiste. S’il y a toujours des épreuves qui attendent les animaux humains d’une fable, s’ils ne gagnent pas à chaque fois, il y a une morale à en tirer de chaque histoire, un moyen de grandir et de faire mieux la prochaine fois.

C’est exactement ce qu’a fait Sam Beam avec Beast Epic : ce n’est pas un retour en arrière mais le début d’un nouveau cycle, on revient au même endroit mais riche de toute les expériences passées. Et c’est cet équilibre subtil qu’Iron & Wine a trouvé qui fait que Beast Epic est un bon disque et surtout qu’on a à nouveau envie de voir où va nous emmener son auteur.

P.-S.

* : ces citations sont extraites du très beau texte de Sam Beam accompagnant l’album que vous pouvez retrouvez ici : https://www.subpop.com/releases/iro...

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publié par le 05/09/17