accueil > articles > interviews > Françoiz Breut

publié par Mélanie Fazi le 10/03/16
Françoiz Breut - Des Morlocks et des mouettes

On aura beaucoup ri pendant cette interview. Déjà parce que c’est un grand plaisir de partager une heure avec Françoiz Breut et Stéphane Daubersy (guitariste sur scène et co-auteur des deux derniers albums), pas franchement les gens les plus sinistres qui soient – on en oublie d’être intimidé par la perspective de questionner quelqu’un dont la voix nous accompagne depuis près de vingt ans. Mais aussi grâce à la magie de la création qui fait qu’un disque ne reflète pas nécessairement les conditions qui l’ont vu naître. Ainsi, l’idée qu’on ait pu percevoir Zoo comme un album qui respire l’aisance, la grâce et la liberté semble faire naître chez eux une profonde hilarité – comme vous le lirez plus loin, la réalité de l’écriture de cet album fut tout autre.

Le moment se prolongera un peu après l’arrêt du dictaphone dans ce café du quartier de la Gare de l’Est où Françoiz et Stéphane ont posé valises et instruments en attendant l’heure de reprendre le Thalys pour Bruxelles. On songera plus tard, en repensant à cette rencontre, que Françoiz Breut s’apprête à sortir ce qui est sans doute l’un de ses meilleurs albums, mais qu’on n’est pas tout à fait sûr qu’elle en ait vraiment pris la mesure. Depuis, on le réécoute sous un jour nouveau ; on entend désormais un peu mieux entre les lignes ce que nous soufflent les mouettes de Loon-Plage, le serpent du Jardin d’Eden ou la drôle de ménagerie de la chanson-titre.

Plusieurs impressions ressortent en découvrant l’album, mais l’une d’entre elles domine en particulier : il est incroyablement joyeux. C’était déjà présent sur certaines chansons de l’album précédent mais ça s’étend ici à toute la longueur de l’album, et c’est presque une forme d’euphorie qui est totalement contagieuse.

Françoiz : Ah oui ? C’est bien, si ça donne comme on dit « le boyau de la rigolade ». (Rires) Oui, je ne dis pas que c’était notre leitmotiv mais déjà, au niveau de la forme, on voulait quelque chose d’assez rythmique et on a fait assez attention au tempo quand on a commencé à travailler les morceaux. Et au niveau des thèmes, j’ai envie de raconter des choses plus drôles, même si ce n’est pas évident d’écrire des chansons drôles. Ce n’est pas que je souhaite passer en boucle sur Rires et chansons mais j’avais vraiment envie de continuer à m’amuser avec les mots et d’essayer de raconter des choses beaucoup plus légères.

Stéphane : C’est marrant parce qu’il y en a quand même une qui est très triste sur l’album, la dernière.

Il y en a quelques-unes qui sont plus nuancées au niveau des textes, la dernière effectivement (« La proie ») et aussi « Écran total » qui parle de se perdre dans les écrans et le numérique, mais elles sont extrêmement joyeuses de tempo. La dernière est un peu plus inquiétante mais elle a un côté sensuel qui fait qu’elle n’est jamais plombante.

Françoiz : C’est plus sous la forme d’un conte, donc c’est un peu tragique mais ce n’est pas du désespoir.

Stéphane : Je parle purement au niveau de la couleur musicale qui est plus dramatique, mais c’est vrai qu’il y a du second degré.

Autre impression à l’écoute de l’album : c’était déjà présent sur La chirurgie des sentiments mais il y a une fantaisie de plus en plus grande dans les textes et les images, là où les morceaux que tu chantais en tant qu’interprète étaient plus réalistes, plus en demi-teinte. On a l’impression d’un imaginaire qui se déploie de plus en plus. C’est frappant notamment avec « Zoo » : on part d’expressions toutes faites et d’un seul coup les images s’incarnent et se développent. Même si les thèmes restent très concrets, il y a de plus en plus un jeu sur les images.

Françoiz : Dans ce cas particulier, la chanson sur « Zoo », j’ai voulu parler de la phobie des araignées, puis ensuite j’ai développé sur toutes les expressions autour du corps. Et en fait, particulièrement sur ce morceau et beaucoup d’autres, je ne sais jamais où ça va atterrir, ça commence et puis il va falloir trouver une chute à cette histoire. Après, la forme que ça prend, c’est assez dur à décrire parce que ça parle de la folie…

Cet album fait penser à un livre d’images, d’autant plus qu’il a une de tes illustrations en guise de pochette et qu’on y entend même un bruit de pages qui se tournent. Tu parlais aussi de contes tout à l’heure. Ce sont des chansons très imagées qui font penser au type d’univers qu’on rencontre dans les livres pour enfants, et qui du coup pourraient faire le lien avec ton travail d’illustratrice.

(Françoiz semble hésiter.)

Stéphane : Il y a certaines de tes paroles qui rejoignent un peu ton travail d’illustration, quand même.

Françoiz : Oui, mais on utilise beaucoup d’images… Il y a comme un film qui se crée mais en même temps… En plus, ce morceau est complètement foufou, ça parle de la folie, le fait d’être envahi par des animaux dans notre corps, c’est complètement débile comme thème. Enfin je ne sais pas parler de ça. Je trouve que c’est bien, la façon dont tu l’analyses, mais c’est comme si je n’avais pas assez de recul.

Stéphane : Et tu entends un bruit de pages, tu disais ?

Sur le morceau en allemand (« Morlock und die Streunerin »), on a l’impression d’entendre des pages se tourner.

Stéphane : Oui, c’est Rebekka quand elle a enregistré la voix, on entend la feuille qui passe devant le micro de l’ordinateur.

Ce morceau est très surprenant d’ailleurs, d’abord le fait qu’il s’agisse d’un texte lu en allemand, et ensuite on remarque que le titre fait allusion aux Morlocks – ce sont bien ceux de H.G. Wells ?

Françoiz : En fait, ça parle du temps qui passe et la folie des heures et des secondes qui s’écoulent. J’ai été marquée par un film quand j’étais enfant qui s’appelle La machine à explorer le temps, tiré de H.G. Wells, un bouquin de 1895. Je ne sais pas si tu as vu ce film, qui date des années 60, un film vraiment super chouette ? C’est un gars qui se retrouve dans sa machine dans le Londres de la fin du XIXème et qui traverse les siècles, c’est assez fou, et il y a des personnages à un moment, des Morlocks dans une grotte qui ont des têtes pas possibles – tu peux aller voir les photos sur Internet, c’est assez drôle. C’était un jeu avec ma sœur quand on était enfants, on jouait à La machine à explorer le temps. Et j’ai commencé à écrire un truc là-dessus tout simplement, inspiré de ce film, parce qu’il m’a vraiment marquée. Donc ça parle du temps qui passe, de la folie du fait qu’on ne peut pas revenir en arrière, toutes ces questions qu’on se pose quand on n’a pas assez de temps à soi.

Et pourquoi on l’a fait en allemand, ça n’a rien à voir non plus. Je vais faire des concerts depuis des années en Allemagne et je voulais écrire une chanson. Quand j’ai demandé à Rebekka, qui est une amie, de le traduire, c’était dans le but d’en faire une chanson, parce que j’aime bien cette langue, je trouve que c’est une très belle langue. Mais le temps – et là encore, c’est une histoire de temps – fait qu’on n’a pas pu travailler ça.

La Machine à explorer le temps (1960)

C’est un moment très étrange sur l’album, mais en même temps assez drôle à écouter. Et il participe de cette impression de « livre d’images », comme si d’un seul coup on nous faisait la lecture.

Stéphane : Il fait du bien, ce morceau.

Il contribue vraiment au côté totalement ludique de cet album.

Françoiz : C’était ludique mais pas tant que ça, beaucoup plus travaillé que le disque précédent. On a vraiment, pour réutiliser une expression de Stéphane, « enfoncé le clou » jusqu’à ce que ça fasse mal, très mal. Sur le premier disque que j’ai écrit, À l’aveuglette, j’étais plus dans la prose, je faisais moins attention à la musicalité des mots, je me laissais un peu porter par la musique et j’essayais de placer ma voix, donc c’était plus aléatoire. Pour le disque d’après avec Stéphane, on a déjà travaillé ça. Et puis là, Stéphane a insisté, et il avait raison, pour aller vraiment trouver le mot qui aurait le plus de musicalité possible. Évidemment, la musicalité plus le sens, c’est le plus difficile avec le français : comme on n’a pas envie de raconter n’importe quoi, on essaie vraiment de fouiller. Et c’est ça qui est assez excitant, d’essayer de trouver le mot juste.

C’est amusant parce que l’écoute du disque donne vraiment l’impression d’une aisance de plus en plus grande. Au niveau de l’écriture des textes notamment, on a l’impression qu’après avoir un peu tâtonné, tu as atteint une maîtrise assez grande pour pouvoir te libérer totalement.

Françoiz : C’est bien que tu aies cette impression parce que ce n’est absolument pas du tout ça. (Grand éclat de rire.) C’est super. J’ai beaucoup souffert sur ce disque. C’est comme si j’avais été déjà essorée avant la fin du processus de travail. C’est-à-dire que si Stéphane n’avait pas été là pour me piquer les fesses, au sens figuré évidemment, j’aurais baissé les bras et je me serais découragée. Donc c’est bien que ça ne se perçoive pas. Mais il y a eu quand même beaucoup de travail. (À Stéphane :) Je ne sais pas ce que tu en penses ?

Stéphane : Ça n’a pas tout le temps coulé de source naturellement, par moments il a vraiment fallu forcer. D’où l’utilisation du terme « taper sur le clou ». (Rires) Par moments c’était difficile, mais c’est bien que ça ne transparaisse pas au final.

On a même l’impression inverse. On sent quand même que c’est très travaillé dans le sens où il y a plein de petits détails, notamment tout un travail sur la rythmique et sur les sons, le son des basses par exemple. Mais on n’a pas l’impression d’un album accouché dans la douleur.

Stéphane : Je suppose que notre producteur y est pour quelque chose aussi, le son des basses comme tu dis : on a quand même été en Angleterre, ce sont des gens qui savent faire ça, on a été bien entourés au niveau du son. Ça aide à ce que les choses soient belles.

Le producteur en question est Adrian Utley (Portishead). Comment s’est produite la rencontre ?

Françoiz : On s’est rencontrés il y a déjà huit ans. On nous avait invités à l’époque de À l’aveuglette, je crois, sur un festival dont Portishead étaient les curateurs, All Tomorrow’s Parties. On s’était croisés, on avait un petit peu discuté, et puis voilà. Depuis on n’avait plus trop de contacts avec lui, mais on a longtemps réfléchi à des producteurs éventuels qui auraient pu nous aider à porter notre projet. Stéphane connaissait la passion d’Adrian Utley pour tout ce qui est synthés, et par rapport au fait qu’il y avait quand même pas mal d’utilisation de synthés, on s’est dit : « Pourquoi pas lui ? » Et comme sa réaction a été très rapide, c’était une occasion en or d’aller travailler avec lui. Parce que ce n’est pas évident de trouver des producteurs, le fait d’aller aussi loin de chez soi… On s’est dit : « Bon, quand même, les Anglais détiennent un savoir-faire, on va sortir de nos habitudes », alors qu’on aurait pu très bien retourner dans un studio travailler avec des gens qu’on connaît. Mais le fait d’aller travailler avec quelqu’un qu’on ne connaît pas très bien, même si je l’ai déjà croisé, ça nous a vraiment fait sortir de nos habitudes.

Stéphane : Et je pense qu’Adrian est fan, c’est ce qu’il nous a dit. On lui avait fait écouter ton premier album en tournée, c’est là qu’il t’a découverte et il adorait, je pense qu’il était fan des albums précédents de Françoiz. Donc ça aide aussi à ce que tout ça se passe bien. Je veux dire par là qu’il était content de participer au projet. Il s’est montré assez disponible pour nous alors que son agenda est chargé.

Un argument parfois avancé par certains artistes francophones qui chantent en anglais est que la langue française serait un frein pour toucher d’autres publics, que l’anglais ouvrirait davantage de portes. Toi qui as travaillé avec des gens comme Adrian Utley ou Calexico, qui as tourné dans différents pays dont les États-Unis, l’Australie ou l’Allemagne, quelle est ton expérience à ce niveau ? L’idée selon laquelle le français serait un frein est-il une idée reçue ?

Françoiz : Je ne fais pas de la musique pour toucher un public… J’ai envie évidemment que les gens m’écoutent, mais je ne suis pas en train de calculer ça à la base. Si je chante en français, c’est parce que c’est la langue que je connais le mieux et que je pense maîtriser le mieux – même s’il y a encore des lacunes sûrement, mais c’est celle que j’ai envie de triturer, envie de découvrir, c’est pour ça que je le fais. Après, quand on écoute de la musique, on est touché par la musique du monde entier. En tout cas, je ne le calcule pas par rapport à ça.

La question était plutôt par rapport à la réception. C’est un argument qui revient souvent et que j’avoue ne pas trouver très convaincant.

Françoiz : Non, parce que si on écoute de la musique étrangère, de la musique du Zimbabwe, ou de la musique indienne, ou de la musique avec des chants, ce n’est pas forcément le sens qui nous touche, c’est un ensemble de choses. Après, effectivement, si les Anglais ou les Américains n’écoutent que de la musique en anglais, c’est leur problème, mais tout le monde n’est pas comme ça. Je pense qu’on a une ouverture, on écoute plein de choses différentes. Entre le fait d’avoir envie d’avoir du succès quelque part et le fait d’avoir juste envie d’écrire des textes pour raconter des choses… Ce n’est pas la même démarche.

C’est le deuxième album que vous écrivez ensemble avec Stéphane. Comment votre relation de travail évolue-t-elle ? Comment s’est passée la préparation de cet album-ci par rapport au précédent ?

Françoiz : On a décidé de changer pour la prochaine fois, parce qu’on n’a pas tout à fait travaillé de la même façon mais quand même un peu, on est passés par l’ordinateur… Parce que c’est difficile évidemment, je ne joue pas d’un instrument, à peine du clavier, Stéphane est un peu tout seul à essayer de me demander ce dont j’ai envie au départ. Et comme je ne sais pas tout à fait, on se retrouve le matin et il me dit : « Bon, qu’est-ce que tu veux faire aujourd’hui ? », et je lui réponds : « Je ne sais pas, je ne sais pas, essayons… quoi ? » (Rires) Par exemple pour « Zoo » il me laisse deux secondes et il me dit : « Vas-y, trouve un rythme sur le programme live. » Je tape sur deux trois touches et on a trouvé un rythme à partir de ça, de fausses batteries mais qui font très réelles. Ensuite Stéphane les a retravaillées et on a eu une base de travail. Donc ça peut partir de ça. C’est assez marrant parce qu’on n’a pas de batteur avec nous dans la pièce et qu’on va partir quand même d’un rythme, c’est la magie de tous ces programmes-là. Après, je vais juste essayer de chanter. Mes textes sont déjà écrits, ou une partie…

Stéphane : Bien souvent tes textes évoluent en parallèle avec la musique, tu arrives avec quelques phrases mais qui ne sont jamais finies. Le fait qu’on avance dans la musique, c’est-à-dire qu’on ait un embryon qui naisse de notre collaboration à deux, te donne envie de terminer ton texte, ou en tout cas de le modeler pour qu’il soit bien complémentaire avec la musique. J’ai l’impression que c’est souvent comme ça.

Françoiz : Mais il y avait des textes qui étaient plus avancés. Et d’autres textes qui étaient beaucoup plus lents et où ça s’est développé au fur et à mesure.

Stéphane : Je pense que c’est souvent comme ça que la musique happe le texte et que du coup le texte est déterminé par ce que la musique pourrait devenir et par le temps et l’espace qui reste. Il y a rarement eu trop de mots pour la musique… tu vois ce que je veux dire ? C’est souvent l’inverse.

Françoiz : Disons qu’on a été souvent avares en mots.

Stéphane : Mais je trouve ça intéressant que les deux s’auto-influencent. C’est un moteur, d’une certaine manière. Par exemple pour la chanson « Zoo », au début tu avais le thème sur l’araignée et le début du deuxième couplet, et on s’est dit : « Bon, on a un tiers de chanson voire un quart, il nous faut une suite. » Comme il fallait une suite à la musique, il fallait une suite au texte et tu as parlé ensuite de l’éléphant. Souvent, comme il fallait une conclusion musicale, il fallait une conclusion au niveau du texte, c’est une interaction.

Françoiz : Et puis on trouve une structure dans la chanson et on va essayer d’y placer les mots. Et à partir du moment où on sait qu’on a tant de phrases, c’est juste un jeu de placement et de trouver évidemment le fond, parce que c’est quand même important aussi.

Ça rejoint l’impression que les structures sont de moins en moins formatées sur cet album. On n’est pas dans des constructions « couplet/refrain plus accompagnement » très rigides. Par exemple la chanson « Le jardin d’Eden » est vraiment marquante, d’abord par son côté très zen, mais aussi par ce refrain composé d’une longue phrase qui se déroule.

Françoiz : Ça, c’est une grosse souffrance. (Rires) J’ai besoin de beaucoup d’air pour chanter cette phrase-là. Et contrairement à Eve qui est en train de se détendre sous les palétuviers ou je ne sais quoi, moi je souffre à chanter ce morceau. « L’abandon, l’abandon, l’abandon et la relaxation… » (Fait mine de s’étouffer.) Mais c’était assez marrant comme exercice.

Et ça marche, parce qu’on a l’impression d’une chanson extrêmement zen. D’autant qu’elle commence par les mots « Tranquilles et décomplexés »… Et c’est sans doute un des meilleurs morceaux sur l’album.

Stéphane : C’est mon préféré. En plus il est particulièrement bien produit, je trouve. L’ambiance est très belle.

Il fonctionne très bien à tous les niveaux. Le texte aussi est frappant par certaines images qui surprennent dans le contexte de cette histoire classique : le bronzage d’Adam, le « serpent aux cheveux bouclés »… On s’arrête sur le texte en se disant « Tiens, c’est moins classique d’un coup. »

(Grand éclat de rire.)

Stéphane : C’est de la fantaisie. C’est là que ça rejoint tes illustrations.

Françoiz : Justement, c’est ne pas se bloquer, essayer de se lâcher un petit peu, de ne pas se prendre au sérieux. J’avais envie d’écrire une histoire sur Adam et Eve parce que j’avais envie d’embellir ce mythe que je trouvais un peu trop sérieux, donc ça vire un peu décalé.

Stéphane : Entre décalé et un rêve tropical.

Françoiz : Sous champignons.

Tu as vécu dans le Nord il y a déjà un certain temps mais il revient régulièrement dans tes chansons, écrites par toi ou par d’autres. Il y avait « Le Nord » sur ton premier album, puis « Dunkerque », et maintenant « Loon-Plage » sur cet album-ci.

Françoiz : Tout ça, ce sont des rencontres. Un photographe m’a contactée pour écrire un texte sur ce qui s’est passé dans ce coin avec la construction du terminal méthanier. C’est un photographe qui s’appelle Renaud Duval, qui a fait toute un travail de photos sur cet espace naturel qui allait disparaître car ils allaient construire un terminal méthanier avec des cuves de méthane, etc, donc totalement anti-poétique. Il m’a contactée parce qu’il savait que je connaissais cet endroit. C’est là qu’il y a la Maison du Pendu... Tu as la raffinerie et puis de grandes dunes et la Maison du Pendu – il y avait une légende qui disait que le mari pêcheur était parti et n’était jamais revenu donc la femme s’était pendue. Tu as une ruine au beau milieu des dunes, c’est un paysage cinématographique, vraiment magnifique. Donc cette zone était protégée, naturelle avec la faune et la flore, et ils (je pense que c’est EDF-GDF) sont venus construire ces cuves, la zone a été complètement rasée et ils ont fermé. C’était un endroit où les gens venaient se détendre, venaient pêcher, c’était magnifique, et les gens ont eu beau se mobiliser contre cette construction, ça s’est quand même fait. Ça n’a servi à rien que ce soit protégé.

Bref, Renaud m’avait contactée, j’avais fait un texte qui accompagnait son expo et je lui avais dit que j’écrirais peut-être une chanson là-dessus parce que ça me touche beaucoup. Je connais un endroit similaire dans ma région, ça arriverait dans cet endroit-là, je serais totalement bouleversée. On prend quelque chose aux habitants juste pour l’argent, encore, des histoires d’argent. Donc ça y est, c’est construit, et quand on est allés en Angleterre, on a pris le bateau à Loon-Plage et on avait vraiment le truc sous les yeux. En fait, ce n’est pas une personne qui parle dans la chanson, c’est une mouette. « Je vais devoir partir », je vais devoir quitter cet endroit parce que ce n’est plus vivable. Mais je n’ai pas dit que c’était une mouette.

Ce n’est pas dit dans les paroles mais ça devient évident une fois qu’on le sait… Dans tes chansons, on trouve souvent un imaginaire marin qui est très lié aux paysages du Nord. Les bateaux-feux de « Dunkerque », les bateaux qui partent vers l’Angleterre…

Françoiz : J’habitais en face de la mer quand j’étais enfant, donc maintenant, comme je suis dans une ville entre quatre murs de béton, je n’ai plus d’horizon devant moi et j’imagine… C’est pour ça qu’il y a beaucoup de chansons qui se passent dans la nature, des histoires d’arbres, etc, parce que je commence à me faner dans ma ville.

C’est vrai que la nature est très présente sur cet album.

Françoiz : Oui, beaucoup plus qu’avant. Mais c’est ça, c’est que j’en ai besoin, je suis en train de mourir à petit feu. (Éclat de rire.)

Vous participiez hier à Petit Bain au concert de Génération X, qui est un collectif d’anciens artistes du label Lithium. À l’initiative de qui ce projet est-il né ?

Françoiz : De Pascal Bouaziz de Mendelson. C’est lui qui nous a invités, et c’était assez curieux parce que je n’avais plus de nouvelles de lui depuis 19 ans, on avait fait une tournée ensemble. Par contre j’étais toujours en contact avec Michel Cloup et Eric de Perio. Ce sont des gens avec qui j’ai tourné il y a 20 ans donc c’était plutôt chouette de se retrouver, bien que les univers soient quand même assez différents. Je me disais : « Qu’est-ce que je vais faire là-dedans, est-ce que ça ne va pas faire tache par rapport à ce qu’ils font ? » Et en fait ça se mélange assez bien, on fait chacun son set plus un morceau ensemble à chaque début de set. C’était plutôt une chouette expérience, qu’on renouvelle sur plusieurs concerts.

Quels souvenirs gardes-tu de l’époque de Lithium ? La situation de l’industrie musicale a dû beaucoup changer depuis.

Françoiz : Je suis arrivée un peu par hasard dans le milieu de la musique, comme je ne l’ai pas cherché. J’ai été amenée par Dominique A qui travaillait déjà avec Lithium, donc le fait de travailler avec Vincent, c’est parce que j’étais avec Dominique. C’était plus facile pour moi mais à l’époque je sais que pour les artistes qui cherchaient des labels, ce n’était déjà pas évident. Aujourd’hui, oui, ça grouille de choses, de groupes…

Stéphane : Ça a changé avec Internet. Il y en a plein qui n’ont pas de labels mais qui balancent leur musique sur Internet et qui existent comme ça. Il y a beaucoup plus de possibilités d’exister, d’une certaine manière.

Françoiz : C’est vrai.

Stéphane : Une bonne révolution, à ce niveau-là.

Françoiz : Mais après, la qualité dans tout ça, c’est super dur de faire la part des choses.

Stéphane : Oui, mais quelque chose qui est bon, normalement, va sortir du lot.

Françoiz : Il y a plein de choses qui sortent du lot et qui ne sont pas forcément bonnes. (Rires)

Stéphane : Ça, ça a toujours été.

Françoiz : En tout cas, pour moi ça a été très très facile. Après je me rends compte que j’ai voulu continuer mais que maintenant, je sais ce que je fais, alors qu’avant je me laissais porter par les choses. Donc c’est une autre vie, une vie très lointaine.

Vous avez plusieurs dates de tournée annoncées. Est-ce que ce sera avec le même groupe, la même formation ?

Françoiz : Malheureusement, nous avons dû nous séparer de notre batteur – mais ça, c’était plutôt pour des raisons de sensibilités musicales –, et récemment notre claviériste avec qui nous avions aussi tourné et enregistré le disque, et qui est architecte, a eu énormément de travail d’un seul coup au moment des répétitions. Il a donc dû nous quitter après quinze jours de répétitions, ce qui n’était pas vraiment facile et pas du tout prévu. Surtout que le mois de janvier devait être consacré aux répétitions de ces nouveaux morceaux, de ce nouveau répertoire en trio, on était super excités parce qu’on avait trouvé une formule qui allait vraiment révolutionner la musique… (Rires) On était contents parce qu’on se disait : On fait vraiment un truc particulier, on réadapte les morceaux d’une façon moins classique (guitare basse batterie). Aujourd’hui Stéphane navigue de la batterie à la guitare au clavier, et moi je joue un peu de clavier sur un Yamaha de bac à sable… Bref, nous avons dû rechercher quelqu’un d’autre, une perle rare, multi-instrumentiste, qui s’est très vite adapté et on est en train de retravailler, ça sera donc un trio.

Stéphane : On va tourner en trio, et moi-même et Roméo Poirier, le nouveau musicien, on va se partager les claviers, la batterie et la guitare.

Françoiz : De toute façon, il y a beaucoup de morceaux qu’on a faisait déjà en duo, on ne s’est pas arrêtés depuis plus d’un an, il y a des choses qu’on maîtrise très bien. Ce sont juste les aléas des rencontres musicales et ça fait partie du jeu : il y a un moment où les groupes se font, se défont, c’est assez dur mais c’est comme ça, ça ressemble à la vie qui n’est jamais un long fleuve tranquille et heureusement d’ailleurs.

Photomontages : (c) Françoiz Breut

Partager :

publié par le 10/03/16