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publié par gab le 31/03/11
Deportivo
- Ivres et débutants
Ivres et débutants

Deportivo, à la fois meilleur espoir et meilleur groupe de rock français tout court depuis un certain nombre d’années maintenant (c’est pas comme s’ils avaient une énorme concurrence non plus), Deportivo, disais-je, nous aura fait attendre. Quatre ans tout de même se sont écoulés depuis leur dernier opus et on est là à l’arrivée, forcément, avec la petite excitation qu’on ressent hélas de moins en moins souvent (ça s’appelle la vieillesse) et qui nous manque grandement. Mais si, vous savez, cette petite décharge d’adrénaline au moment de lancer un disque après une longue attente (même si le plaisir physique est de nos jours amoindri par le streaming puisque bien sur les-albums-aujourd’hui-s’écoutent-en-ligne), oui, cette anticipation de la découverte de nouveaux morceaux au haut niveau espéré, cette peur presque paralysante d’être déçu. Ô terrible première écoute qui nous voit demander l’impossible : être emballé d’emblée par le groupe qui n’aura pas répété les albums précédents et pour autant ne s’en sera pas éloigné au point de ne plus être reconnaissable. Et sur ce coup là, Deportivo joue gros avec son troisième album Ivres et débutants.

spirales

Ils le savent d’ailleurs et, prévoyants, nous donnent eux-mêmes le bâton pour se faire battre au bout de cinq morceaux d’un désabusé « mais putain c’est quoi ce son ? ». Tactiquement c’est bien joué puisqu’en effet pendant les quatre premiers titres l’auditeur deportivophile est passablement dérouté et tout occupé à retrouver ses repères et ses mots, arrivé au cinquième il est sur le point de reprendre ses esprits lorsque le groupe lui souffle en douce sa réplique. Petits filous. Paradoxalement cette mise en abime n’est pas pour nous déplaire, loin de là, elle sera même surement pour beaucoup dans les deuxièmes et troisièmes clics pour relancer l’écoute. Ce ne sera plus le cas pour la quatrième, trop tard, on a été happé par l’énergie communicative et la qualité intrinsèque (pour le coup retrouvée) des chansons du groupe. Quant au son, passé la stupeur et les associations goldmanesques que cela nous inspire à la première écoute, on s’y fait très bien, on a grandi dans les années ’80 après tout. On s’y fait d’autant mieux qu’entre les couches et spirales synthétiques, les guitares de Deportivo ont gardé de leur éclat et de leur fond acéré, elles sont juste moins mises en avant c’est tout. En un mot, le groupe a réussi à changer l’emballage tout en gardant ce qui faisait et fait toujours sa spécificité. Tout ça sous la houlette de celui qui s’impose ces derniers temps sur le devant de la scène avec son disque Ginger mais aussi côté cour à la production (Bleu pétrole de Bashung) ou encore comme simple fournisseur de chanson ("Il y a" pour Vanessa Paradis par exemple), j’ai nommé Gaëtan Roussel (ex-Louise Attaque, ex-Tarmac), aidé dans toutes ses entreprises par l’américain Mark Plati. Si vous voulez un exemple de carrière aux p’tits oignons et sans compromissions, vous l’avez. On n’aime pas tout loin de là mais ça force tout de même le respect. Maintenant foin de paroles stériles, regardons de plus près cet album de « chanson à la française ».

rédemption

Déjà ça commence fort par une reprise des Strokes, "Fais-moi comprendre" … ou pas en fait, mais la ressemblance est frappante, quelque chose nous aurait-il échappé toutes ces années ? Le chant de Deportivo serait-il fortement influencé par les Strokes ? Au bout de trois albums il serait temps de s’en rendre compte et en même temps ça pourrait expliquer le comment de ce phrasé qui nous a d’emblée fait craquer, ce français pas chanté « à la française » justement et qui pourtant sonne parfaitement bien. Il aura fallu qu’ils laissent remonter un poil plus leurs lointaines influences (signe d’une certaine maturité on va dire) côté musique pour que ça nous saute aux yeux. On en est les premiers surpris, ce n’est pas une association naturelle qu’on aurait pu faire, mais ça marche et plutôt bien. Il va sans dire que le morceau est catchy et bien calé dans ses baskets, très efficace côté accroche-première-écoute, très bien placé en ouverture de disque. Et couplé au single "Ivres et débutants" qui le suit de près, ça fonctionne encore mieux. Un single parfaitement choisi pour illustrer ce nouveau son Deportivo avec un mélange de beats (le rapide tchac-tchac-tchac), de deuxièmes voix fraîches (Oh ho !), de basse et de synthés très marqués années ’80, le tout accompagné de guitares plus rêches et de ce chant classiquement deportivien donc. Un melting-pot surprenant et rapidement détonant, fortement influencé par les percées récentes du Ginger de M. Roussel. Et le plus surprenant pour nous est justement qu’on se laisse aisément embarquer car, vous l’aurez compris, on n’est pas spécialement emballé par un quelconque retour eighties d’envergure, les années ’80 ont fait suffisamment de dégâts comme ça. Ceci dit il faut surement se faire une raison, les affiches de Duran Duran dans le métro sont là pour nous le rappeler, on n’y coupera vraisemblablement pas mais traité comme ça, suffisamment digéré, ça peut peut-être le faire. Ceci dit, n’étant pas non plus dans un monde idyllique, Deportivo se lâche surement un peu trop à notre goût sur "Au milieu" et son gimmick pompier. On dirait du Muse-eighties, c’est dire. Ils s’enfoncent même un peu plus encore sur les refrains et leurs nappes de synthés. Ils n’ont pas tort ceci dit, tant qu’à y aller autant y aller à fond. Cela donne au morceau un côté jouissif … après personne ne nous empêche de zapper une fois sur deux. La seule chose étant que dans ce cas on manque la récompense-rédemption d’une fin de morceau aux guitares retrouvées, on ne peut pas tout avoir.

calibré

Heureusement pour nous, certains morceaux conservent un semblant de sobriété dans le changement et sont du coup de franches réussites. "Nos baisers" et son « mais putain c’est quoi ce son », sans doute notre morceau préféré. Et pourtant ce n’est pas le moins eighties du lot, mais c’est fait avec beaucoup de goût, très classe, entêtant, on se surprend à chanter dessus, bref tout y est. D’autres gagnent aussi dans l’exagération, comme quoi le pompier peut être bon (on en est les premiers surpris). "Au saut du lit", par exemple, n’y va pas de main morte dans la grandiloquence tout en se gardant sous le coude suffisamment de respirations pour qu’on ne perde pas pied. Dans la même catégorie "Le bruit que la vie fait" est lui aussi très réussi, notamment dans l’art du refrain parfaitement calibré que maîtrise très bien le groupe. Et quel plaisir de retomber sur les comptines « à la Deportivo » qui parcourent leur discographie, ces chansons comme "Pistolet à eau" ou "N’ai-je ?" qui sur une guitare acoustique et un chant à l’intimisme amical mettent à terre l’auditeur par tant d’évidente simplicité. Il s’agit bien entendu de la chose la plus difficile à réaliser en chanson française, faire sonner mélodiquement un chant sans tomber dans la mièvrerie ni la démagogie. Un écueil qu’évite à nouveau Deportivo sans trop de problèmes sur l’ensemble de l’album.

play

Reste la question de la forme, contre effet d’un emballage très marqué. Et de constater qu’il n’est pas sur au final que la durée de vie de cet album entre nos oreilles soit très longue puisque déjà au bout d’une semaine une petite lassitude s’installe, la qualité intrinsèque des morceaux évoquée plus haut ne suffisant visiblement pas à faire la différence sur la longueur. Pas évident dans ces conditions qu’on revienne vers cet album aussi souvent que vers ses prédécesseurs, pas évident non plus qu’on souhaite les voir continuer dans cette voie à l’avenir (même si on préfèrera toujours un groupe qui avance à un groupe qui fait du sur place). Une chose est sure, on sera un peu plus méfiant à la sortie de son successeur, inévitablement. Espérons seulement qu’on n’aura pas complètement perdu la petite flamme, cette légère et délicieuse accélération cardiaque, lorsque qu’on cliquera sur play ce jour là.

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publié par le 31/03/11
Derniers commentaires
- le 31/03/11 à 16:14
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Étonnant de ne pas mentionner ce qui est pour beaucoup, d’après ce que j’ai pu lire et d’après moi, la meilleure chanson de l’album : Intrépide.

- le 01/04/11 à 00:46
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Bon article , bien argumenté , on regrette la petite déprime de son auteur en fin de texte , et que je ne partage pas du tout , pas de lassitude pour moi bien au contraire,plus je l’écoute plus j’accroche .Bravo et merci à eux d’avoir osé ! les textes sont beaux et les mélodies envoûtantes, du bon Déportivo

gab - le 01/04/11 à 12:54

En effet je ne parle pas d’"Intrépide", en même temps je n’ai rien de spécial à en dire, c’est un morceau qui pour moi est pas mal sans plus (je ne comprends pas trop le buzz autour de ce morceau d’ailleurs). Par contre, parlant d’oubli, "On a vraiment cherché" aurait mérité un petit mot puisque seul reliquat du côté énervé du groupe. Belle mutation de ce côté là aussi et option à creuser éventuellement pour un pendant psyché-rentre-foutoir-dedans-élique à cet album-ci. Et oui, gros passage à vide sur la fin, ce serait pas arrivé si j’avais trouvé le temps de finir ma chronique dans la foulée du début mais en même temps c’est toujours intéressant (et parfois inquiétant) de voir comment un disque vieillit (même sur une semaine).

- le 01/04/11 à 14:28
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Si si il y a une explication pour ceux qui ont acheté l’album bien sûr pour " on a vraiment cherché " le petit * sur le livret renvoi à un " on n’a pas trouvé " ces quelques secondes sont juste un clin d’oeil humour humour ! Quant au bilan sur une semaine c’est juste un nouveau signe de cette foutue société de consommation, on prend on jette. . . dommage pour les artistes qui méritent mieux et qui disparaissent souvent trop vite.

Déportivo à ce petit truc en plus qui fait qu’ils sont bien là et je leur souhaite une belle tournée 2011 et beaucoup d’autres à suivre .

gab - le 03/04/11 à 21:28

hé hé, comment se faire moucher proprement et en public ;-)

Bah on va dire que c’est mérité. Mais merci pour ce renvoi à la pochette, j’avais pas fait gaffe à cette petite note, ç’aurait été dommage de passer à côté (je n’aurai pas acheté l’album pour rien ;-p). Côté bilan, on refait le point en fin d’année afin de voir comment il s’en sort avec le recul. Ceci dit je suis bien d’accord avec ta conclusion et le petit truc en plus de Deportivo (qui aime bien chatie bien), j’entrevois encore de longues heures en tête à tête avec cet album et si le son devient vraiment trop pesant, j’aurai toujours le plaisir de m’entretenir en toute simplicité avec ces morceaux et ma guitare ... toutes les options sont bonnes à prendre.

Informations

Sortie : 2011
Label : Barclay

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