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publié par octane, Renaud de Foville le 10/05/00
calexico - maracas groove

première rencontre avec les calexico lors du début de leur tournée qui accompagne la parution d’un troisième album, hot rail. c’est donc l’occasion de parler de la hype qui entoure tucson et sa scène jumélée avec la france mais aussi d’expliquer l’impressionnante présence de john convertino et de joey burns dans la scène indé américaine... avec giant sand, the friends of dean martinez, op8 et calexico, ces deux talents sûrs ont déjà forgé depuis la moitié des années 90 une discographie colossale et sans faute...

le cargo ! : vous avez joué en première partie de dominique a et sur l’album mustango de jl murat. pour "ballad of cable hogue", vous faites appel à une voix française [marianne dissard]. pourquoi portez vous un tel intérêt à la musique française ?

joey : je ne sais pas vraiment. il y a une très belle émotion, un mode d’expression particulier qui se dégage de la musique française qu’elle soit récente ou plus ancienne. c’est assez unique, on n’a pas vraiment ça en amérique. pour nous qui vivons là-bas, c’est bien d’explorer différents styles de musique. nous avons la chance à tucson d’avoir la visite de nombreux français. amor belhom duo y réside, marianne dissard est d’ailleurs l’épouse de naïm amor, elle fait partie du groupe, elle écrit les paroles. married monk, les little rabbits, bosco et jean louis murat sont aussi passés dans le coin. c’est bien d’avoir toutes ces influences qui viennent à nous, dans notre petite ville bien propre de tucson.

le cargo ! : et y-a-t-il une raison particulière à la venue de ces groupes français ?

joey : sans doute le studio que fait tourner jim waters [qui a produit entre autres gumball, shonen knife, jsbex, moe tucker, posies...]. a part ça, c’est un endroit parfait pour aller chiner, c’est relativement peu cher, c’est magnifique et exotique. comparé à la france, c’est un tout autre monde, c’est comme de se retrouver sur mars. pour les gens de passage, le désert exerce aussi une grande fascination, il représente une excellente source d’inspiration.

john : en fait les deux pays ont beaucoup en commun, mais il y a assez de différences pour que chacun ait une influence sur l’autre. c’est pas que ça rende les choses plus faciles mais, même avec la barrière de la langue, il y a une communication qui se fait. on peut entendre l’influence de la musique américaine sur la musique française mais la réciproque est aussi vraie.

le cargo ! : historiquement comment s’est faite la connexion france-tucson ? on verrait plus volontiers des groupes français aller à new york ou à la, mais à tucson.... ca a commencé comment ? il y a un groupe en particulier qui a lancé les choses ?

joey : pour moi, les déclencheurs ce sont amor belhom duo, c’est eux qui y passent le plus de temps, ils vivent quasiment là. a peu de choses près, tucson leur appartient !

john : mais c’est pas plutôt les little rabbits qui sont venus avant ?

joey : oui, tu as raison...

john : en fait, c’est à cause des femmes tout ça (rires). pendant de nombreuses années marianne a fait l’aller-retour, vivant entre la france et l’arizona et naïm, qui est parisien, est finalement venu la rejoindre avec son groupe. c’est pareil pour eric des little rabbits, sa moitié est aussi de tucson. ah l’amour (en français dans le texte) !

joey : il reste encore de la place pour d’autres français. que ceux qui sont intéressés se jettent à l’eau et...

john : ...qu’ils viennent avec du vin.

le cargo ! : vous ne pensez pas qu’ils viennent y chercher quelque chose de spécial comme les grands espaces... ?

john : oui, il y a du soleil tout le temps, sauf 10 ou 12 jours dans l’année. thomas belhom nous disait que quand il pleut à tucson c’est complètement différent, tout le monde crie "chouette, il pleut !", les gens sortent dans la rue. alors qu’à paris, un jour de pluie et les gens sont dégoûtés. un gros contraste...

le cargo ! : comment vous est venu l’idée de monter calexico tout en faisant partie de giant sand. pour avoir un peu d’espace, être sur le devant de la scène ?

joey : non, pas vraiment, je suis quelqu’un de modeste.

le cargo ! : enfin, pour avoir un projet bien à vous...

joey : a la base, c’était un projet de "home-recording". etre dans sa chambre, enregistrer des chansons, ambiance lo-fi, tard la nuit, sur un walkman, j’aimais ça. et puis, john et moi avons habité ensemble pendant quelques temps et au lieu de laisser un message tout bête sur le répondeur, on enregistrait des petits morceaux rigolos et onça finit par en avoir pas mal dont certains ont évolué vers des chansons.

john : on avait passé beaucoup de temps avec giant sand et même si howe joue très souvent en acoustique, pour composer par exemple, dès qu’il s’agissait de live, le son était très fort, très "rock". donc c’était pas mal d’explorer de nouvelles voies avec des choses vraiment acoustiques et calmes tout en conservant l’énergie. un challenge. une bonne manière d’y arriver était de faire ça à deux, joey jouait sur une basse acoustique, un instrument qui peut aussi faire du bruit mais qu’il est bien d’utiliser dans son état naturel, sans l’amplifier. ca m’a aidé à développer mon jeu de batterie avec des balais. essayer de jouer suffisamment doucement pour qu’on puisse entendre la basse et la guitare tout en se réservant la possibilité de taper plus fort par moments.

le cargo ! : la base de votre musique, c’est la guitare et la chanson est construite à partir de là ?..

john : ca vient en général de la guitare et de la batterie, parfois de l’accordéon. principalement de la guitare quand même.

le cargo ! : et ensuite, vous ajoutez des éléments, des textures ?

joey : au début, après avoir enregistré avec les friends of dean martinez, on avait acquis une bonne expérience concernant le songwriting dans des styles très différents, en jouant avec des influences latino, en faisant des reprises de classiques des 50’s ou des 60’s, strictement instrumentales et agrémentées d’autres instruments comme marimba, vibrophone, mandoline, violoncelle, des instruments étonnants que j’avais depuis des années et comme nous faisions alors de la musique instrumentale, je pouvais enfin les utiliser. j’aime cette idée de musique instrumentale, apporter des voix différentes à travers divers instruments, des mélodies, des harmonies. l’écoute de west of rome de vic chesnutt me rappelle beaucoup nos débuts quand nous jouions très doucement. on a même joué avec lui donc on a pu s’imprégner de son approche, de sa philosophie de la musique. et puis on avait un huit pistes à la maison, c’est une bonne introduction aux techniques d’enregistrement. ca aurait pu être pas mal de continuer dans cette voie : quand tu fais des choses chez toi, ce n’est pas aussi calme que dans un studio, ça apporte une touche personnelle au son.

le cargo ! : comment voyez-vous musicalement l’évolution entre spoke et hot rail ?

joey : plus d’assurance et une capacité à s’essayer à de nouveaux styles, comme le jazz sur des chansons comme "fade" ou "mid-town". une assurance nouvelle en studio aussi qui nous a permis de consommer de la bande et d’essayer des choses. ce qui en est sorti était très bien, par exemple john a joué de la batterie avec des maracas, ce qu’il n’avait jamais fait avant et c’était grand...

le cargo ! : trop de vin ?

joey : (rires) non, pas du tout, on n’avait rien bu.

john : les sessions était plutôt soft. on n’avait aucune limite de temps et on bossait pendant de nombreuses heures, on lançait des idées, on improvisait. la chanson dont on parlait était un groove qu’on jouait et qu’on rejouait, je ne parvenais pas à un résultat satisfaisant avec la batterie, finalement j’ai lâché l’affaire. et puis joey avait 4 ou 5 boucles qui passaient par la pédale de delay, j’ai chopé les maracas histoire de m’éclater et ça fonctionnait.

joey : pour spoke, le son était très basique, entièrement acoustique, pas d’électronique à part quelques overdubs de guitare électrique...

le cargo ! : moins d’instruments aussi...

joey : je ne pense pas.

john : en tout cas, moins d’instruments à la fois.

le cargo ! : un son plus proche du coeur de la chanson alors qu’ensuite c’est plus équilibré, avec différentes instrumentations

joey : avec the black light, on a commencé à jouer avec des trompettes et des violons, en développant un son vraiment "southwest", pas seulement en intégrant le "twang" de la guitare country, mais aussi l’influence des mariachis. et puis il y avait plus de guitares électriques, ça sonnait plus rock, même si je n’aime pas utiliser ce mot, ça faisait plus groupe à guitares alors que spoke est vraiment acoustique, fait à la maison, "living-room compatible"...

john : parfois hot rail est un peu la combinaison de ces deux sons. on voulait pas que la finiion soit parfaite sur tout le disque, ni qu’il soit trop thématique comme pour the black light, on voulait s’aménager des moments "en construction", laisser des briques apparaître, avec des passages plus improvisés et spontanés qui puissent être conservés pour l’album.

le cargo ! : quelle importance donnez-vous aux paroles, la voix est-elle un instrument comme un autre, comme pour beaucoup d’autres groupes, ou bien y attachez-vous un soin particulier ?

joey : j’essaye de rentrer dans l’ambiance de la chanson. je pense que les paroles sont importantes, qu’elles soient marmonnées ou abstraites, c’est une voix, des mots, tu peux les mixer très bas mais elles sont toujours là. pour nous, c’est important de parvenir à un équilibre sur l’album, de ménager des espaces entre les chansons qui ont des paroles, qui véhiculent des pensées et celles qui sont entièrement instrumentales. ca offre une respiration.

le cargo ! : et d’où vient cette atmosphère cinématographique, évidente dans the black light mais également présente dans hot rail ?

joey : c’est quelque chose que nous développons depuis le début. c’est assez agréable quand tu écoutes une chansons avec des paroles, d’avoir des images, des idées qui te parviennent et quand elle est terminée, tu passes à un autre thème, tu négocies un virage...

le cargo ! : c’est comme un réalisateur ou un monteur dans le domaine cinématographique qui passe d’une scène à une autre. et puis ça fait un album entier, avec des temps forts et des temps "faibles"...

joey : on essaye d’arranger les albums de cette façon. avec les vinyls, tu dois changer de faces toutes les demi-heures, alors qu’avec un cd tu peux écouter une même idée qui se déploie sur 74 minutes. c’est bien, maintenant beaucoup de groupes envisagent et construisent leur albums comme un tout, à écouter dans son ensemble. on aime aussi jouer sur des thèmes et des motifs musicaux qui se répondent. ca nous semble très naturel d’avoir les morceaux de john "untitled ii" et "untitled iii" répartis sur l’album, ça fait "avant-après", "ici-là-bas", le même morceau mais joué de deux manières différentes. pareil pour "el picador", "muleta" et "tres avisos" qui forment une sorte de trilogie, les morceaux sont différents mais finalement très proches thématiquement, tellement que quand nous demandons à nos musiciens de les jouer, ils se mélangent les pinceaux et ne savent pas les différencier.

le cargo ! : en tout cas, votre intérêt pour le cinéma est évident. "el picador" ressemble vraiment à la bande son d’un western ou d’un film de tarentino. "the ballad of cable hogue" est le titre d’un film de sam peckinpah. la chanson "ritual road map" sonne comme une b.o...

john : en fait, c’en est vraiment une, on l’a écrite pour un film qui s’appelle committed et qui sort en avril. on aimait tellement le morceau qu’on l’a intégré au disque. j’ai vu que l’un de vous avait écrit dans ses notes rumble fish (de francis ford coppola), c’est un de mes films et une de mes b.o. préférés (ndlr : musique de stewart copeland, le batteur de police). pour moi, c’est assez particulier en plus, j’ai grandi à tulsa et c’est là que le film a été tourné. ca lui donne un caractère spécial, il a été réalisé dans cette ville anonyme d’oklahoma dont personne ne saurait dire à quoi elle ressemble. la bande son est grandiose, j’écoute encore beaucoup ce disque.

le cargo ! : "mid-town" ressemble d’ailleurs à cette b.o., la scène du combat de rusty james au moment où son frère motorcycle boy revient...

joey : sympathique commentaire...

john : c’est vrai, c’est un beau compliment mais nous n’avions pas ça en tête au moment d’écrire la chanson. c’est comme ça que ça se passe, vous assimilez beaucoup de choses et vous ne savez pas quand ça va ressortir. c’est la raison pour laquelle je pense qu’il faut rester ouvert aux influences de son environnement, laisser se passer les choses sans y réfléchir.

le cargo ! : et pour "cable hogue" ? ..

john : ca fait partie des références délibérées et tellement évidentes, c’est comme une ode, un hommage à lee hazlewood ou serge gainsbourg, enfin pas vraiment gainsbourg, c’est plus l’idée de faire intervenir des paroles françaises pour rendre cet élément lee hazlewood différent, comme si bardot et gainsbourg traînaient à tucson sous champignons. (rires)

joey : le titre vient du film, je ne l’avais pas vu mais marianne m’en a parlé. j’évoquais avec elle ce que je voulais faire de cette chanson, et ça lui a rappelé le film. en partant de là, j’ai pu finir le titre, elle est venue le lendemain, a traduit sa portion et on l’a enregistré, c’était parfait. quelques semaines plus tard, j’ai vu le film et j’ai vraiment été surpris (rires). ca n’avait rien à voir avec ce que j’avais imaginé. c’était pas du vrai peckimpah, brutal et dur, mais plutôt très marqué 70’s, très coloré et un peu niais. c’est pas son meilleur.

le cargo ! : avez vous été approché par d’autres réalisateurs ? quelqu’un comme wim wenders, fan de musique devant l’éternel...

john : ce serait bien, wenders est génial.

joey : vous voulez bien lui passer un petit coup de fil de notre part ?

john : on nous a récemment proposé de faire la musique d’un film qui se tourne en sicile, un vrai western spaghetti. on est assez excité. j’ai oublié le nom du réalisateur italien mais on a vu quelques photos des lieux du tournage et certains de ses précédents films. c’est vraiment bien.

le cargo ! : comment avez-vous écrit the black light ? l’histoire est venue avant la musique ?

joey : après. on avait beaucoup de chansons à notre disposition dont certaines étaient liées entre elles par un même esprit. on s’est concentré sur celles-là et ensuite on a écrit les paroles et l’histoire inspirées de ce groupe de chansons.

le cargo ! : et vous ne voulez pas tourner le film maintenant ?

john : ce serait cool

joey : vous voulez pas venir à tucson pour le faire ?

le cargo ! : on peut demander à wim pour vous...

joey : (rires) ouais ! non, sérieusement, j’ai déjà pensé à réaliser le film. avec toute la technologie numérique, les caméras, le montage, on pourrait le faire nous-mêmes. en fait j’ai même demandé à un de nos amis qui est réalisateur. on ne savait pas du tout combien ça pourrait coûter, ni comment vendre ce genre de film. faire son propre cd c’est facile, on voulait savoir si c’était pareil pour le cinéma. eh bien, non. surtout pour tourner en 16 ou en 35 millimètres. c’est horriblement cher.

le cargo ! : saviez-vous que lisa germano qui joue maintenant avec eels était à paris il y a trois jours ?

joey : ah, non. c’est marrant qu’on se retrouve ici, elle et nous, on aurait pu faire un petit quelque chose, une reformation d’op8...

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publié par le 10/05/00