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publié par Mélanie Fazi le 01/03/11
Black swan - Darren Aronofsky
Darren Aronofsky

En sortant de Black swan, encore sonné par le final, on s’interroge : vient-on de regarder un film trop sage qui se réveille brusquement sur la fin, ou d’assister à un habile exercice de manipulation ? Avec le recul, l’adéquation qu’on découvre entre la forme du film et son sujet nous ferait plutôt pencher pour la deuxième option. La majeure partie du film, qu’on nous avait pourtant vanté comme assez dérangeant, nous a paru extrêmement classique. Peut-être la comparaison régulière de Black swan avec Perfect blue, le terrifiant anime de Satoshi Kon sur un thème similaire, joue-t-elle en la défaveur du film de Darren Aronofsky.

Perfection

Pourtant, le début de Black swan ne décevait pas pour autant. Car l’histoire, en fin de compte, est prenante jusque dans ce qu’elle a de classique. Nina (Natalie Portman), jeune ballerine obsédée par la perfection mais incapable de se laisser aller, se voit confier le double rôle principal du Lac des cygnes. Si le rôle plus sage du cygne blanc paraît taillé pour elle, Nina semble incapable de trouver en elle les ressources nécessaires pour incarner la figure sombre et sensuelle du cygne noir. Prête à se donner tout entière à ce rôle, qu’une nouvelle danseuse dans la troupe semble chercher à lui voler, troublée par les exigences de son professeur (Vincent Cassel) et couvée par une mère étouffante qui la maintient en enfance (Barbara Hershey, glaçante), Nina se perd. On devine assez vite où toute cette histoire va nous mener. Les renvois constants de l’intrigue du film à celle du ballet renforcent d’autant plus cette impression. La question n’est plus dès lors de savoir si Nina va basculer, mais quand et comment.

Palette

En tant que variation sur les thèmes du double et de la part d’ombre, Black swan commence par remplir efficacement le cahier des charges sans vraiment surprendre. On regrette dans un premier temps que la mise en place du malaise soit si progressive. Mais l’ambiance est prenante. La relation mère-fille, l’enfermement de Nina dans ses propres angoisses, la part de névrose qu’on perçoit très tôt en elle sonnent particulièrement justes. Le rapport de fascination/répulsion entre Nina et sa rivale Lily (Mila Kunis) l’est tout autant. La comparaison peut surprendre, mais le personnage de Lily nous aura furieusement rappelé la figure troublante de Faith dans Buffy contre les vampires : incarnation d’une sensualité débridée que lui envie l’héroïne, mais aussi symbole d’un danger qui guette celle-ci (basculer du mauvais côté pour Buffy, libérer ses démons intérieurs pour Nina). Une habile ambiguïté est maintenue tout du long : on ne sait jamais réellement s’il faut voir Lily comme une rivale calculatrice ou simplement une camarade qui cherche à libérer Nina et sur laquelle celle-ci projette des fantasmes paranoïaques.

On admire également l’esthétique stylisée du film, qui se décline en une palette de noirs et de blancs seulement brisée par le rouge du sang et le rose écoeurant de la chambre de Nina envahie par les peluches et les boîtes à musique. On regarde le cinéaste semer progressivement des indices et tisser des motifs récurrents (telles les ailes du cygne tatouées sur la peau de Lily ou figurées par l’épaule écorchée de Nina) et mettre en place les éléments d’un édifice voué à une destruction brutale.

Abyme

Et puis, dans le dernier quart d’heure, quelque chose bascule. Pas dans l’intrigue, assez prévisible, ni même dans la mise en scène de la folie, convaincante mais jouant sur des ressorts familiers. Quelque chose qui se joue plutôt dans le ressenti et nous prend à la gorge. On comprend alors soudain ce que le choix de Natalie Portman avait de judicieux pour ce rôle. Jusque là, on ne comprenait pas bien le concert de louanges concernant son interprétation, ni l’Oscar qui venait de la couronner. Elle campait une Nina très juste, paumée et fragile à souhait, avec la pâleur et le long cou élancé d’un cygne blanc. Mais finalement pas si différente de la plupart des rôles dans lesquels on a pu la voir. On avait d’elle l’image d’une actrice jolie mais un peu fade, souvent cantonnée à des personnages interchangeables. C’est peut-être là l’éclair de génie de Darren Aronofsky. Après le générique de fin, remué par le final et hanté par une image et une scène en particulier, on comprend soudain qu’il a joué sur nos attentes. Jusqu’au bout, on ne croyait pas réellement Natalie Portman capable d’incarner un cygne noir. Quand le basculement se produit, il est aussi inattendu que fulgurant. Tout passe par un regard, une expression, une minute à peine, mais cette scène nous fait l’effet d’un coup de poing.

Le film lui-même prend alors l’aspect d’une troublante mise en abyme. Difficile de déterminre dans quelle mesure ce contraste est voulu et calculé par le cinéaste lui-même. Peut-être y a-t-il là une part de hasard, un instant de grâce spontané plutôt qu’une construction soigneuse. Mais on saura gré à Black swan de nous avoir secoué, et violemment, au moment où on s’y attendait le moins. L’image du cygne noir nous hante bien après la fin du film. Et la mélodie du Lac des cygnes, au générique de fin, semble désormais résonner d’intonations funestes.

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publié par le 01/03/11