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publié par le 02/02/00
Asian Dub Foundation - L’antithèse de toutes les valeurs de la britpop

nous étions vraiment heureux d’avoir une interview avec deux des membres d’asian dub foundation, l’un des meilleurs groupes anglais sur scène depuis quelques années. venus à paris début février pour la promo de leur nouvel album, community music, nous avons pu discuter avec dr das et chandrasonic. le groupe sera à la mutualité le 21 mars à paris, le 23 à nulle part ailleurs et fera aussi quatre autres dates en province. nous avons partagé cette interview pour des questions de planning surchargé avec le fanzine sofa. cela explique les va et vient entre les différents sujets. la prochaine fois c’est promis on les coince pour nous tout seul !

où vivez vous ?

moi, personnellement, à londres.

quelle a été l’évolution de community music depuis 1993 ?

community music existe depuis 1983 en fait. c’est un jazzman qui l’a démarré. l’idée était de créer un endroit pour encourager les gens à se lancer dans la musique, à utiliser de nouvelles techniques musicales. ce n’est pas un type d’académie ou quelque chose de ce genre. le principe est d’encourager les gens à s’exprimer à travers la musique, et ce n’est pas un problème de capacité, peu importe qu’on puisse jouer de tel instrument ou pas, votre origine sociale ou vos incapacités. c’est une "éducation communautaire".

est ce que vous êtes toujours en contact avec community music ?

bien sûr, on y est. notre rôle en fait c’est de développer à grande échelle ces idées, de remettre en cause la façon dont la musique est généralement perçue et conçue. nous croyons vraiment que ce qui sort de community music et de notre propre organisation, "adef", est meilleur que ce qui sort généralement musicalement.

qu’est ce que vous faites avec "adef" ?

eh bien, nous avons déjà produit un groupe qui s’appelle invasion, qui a joué avec nous plusieurs fois et qui sera en première partie de primal scream à brixton academy. ils sont très intéressants, c’est une sorte de groupe de rap de 5 personnes, ils écrivent leurs propres paroles, ils jouent des percussions, de la flûte, ils chantent etc...

est ce que vous avez d’autres idées en tête ?

en gros, c’est ça. on espère que ça va continuer et s’amplifier. l’album est plus lent que d’habitude, notamment la partie centrale.

dans quel état d’esprit étiez vous pendant l’enregistrement ?

il n’y aurait pas d’intérêt à faire le même disque que les fois précédentes, n’est ce pas ? rafi’s revenge a été enregistré dans des conditions difficiles, dans un temps limité, il y avait beaucoup de tensions. cette fois-ci on voulait essayer différentes atmosphères et différents tempo, et différentes ambiances.

peut être aussi que vous avez été influencés par d’autres types de musique, comme le hip-hop ?

je ne sais pas, vous pensez ? je pense plus le ragga, il y a plus de ragga sur ce disque. il y aussi sur cet album probablement le morceau le plus expérimental qu’on ait jamais enregistré, la toute dernière chanson de l’album ("scaling new heights"), qui est en fait influencée par la musique indienne traditionnelle. les bandes originales des westerns spaghettis ont aussi influencé une chanson, "the judgement", qui est la chanson la plus proche du pastiche qu’on est jamais faite. c’est censé être nous jouant pour un western spaghetti. oui, nous nous sommes diversifiés. nous sommes un groupe aux multiples facettes. le dernier album ne reflétait pas tellement ça.

êtes vous influencé par la pop indienne, la dance music indienne ?

la musique indienne est aussi variée que n’importe quelle autre. on parle là d’un pays où 17 langages différents sont parlés. on parle aussi d’une musique qui est vieille de 5000 ans, vous voyez ce que je veux dire ? pour moi, des termes comme "pop" ou je ne sais quoi d’autres n’ont pas vraiment de sens. pour la musique indienne, la musique traditionnelle ou la musique religieuse indienne, qu’elle soit hindou ou musulmane ou "kowali", elle est tellement ancienne qu’on ne peut pas vraiment regarder cette musique comme on voit la musique pop occidentale. ca ne peut pas marcher comme ça. c’est une musique très complexe. même la musique de film la plus nulle est sophistiquée, élaborée. donc oui, nous suivons ce qui se passe musicalement en inde. nous nous intéressons aussi à la musique anglaise et à la musique française, à la musique japonaise... nous essayons de suivre tout ce qui sort et ce qui est bien.

est ce que vous êtes en contact avec des gens en inde ?

oui bien sûr, mais on est aussi en contact avec des français, des japonais...

est ce que vous connaissez des groupes indiens ?

oui... bon écoutez, nous habitons londres, vous voyez ce que je veux dire ? cela répond à votre question. l’inde est quand même loin d’ici. donc c’est difficile de monter un atelier dans une cité à bombay...

j’ai entendu parler d’un musicien indien qui vit en angleterre et qui retourne en inde une fois par semaine pour animer une émission pour mtv india. ca m’a surpris...

pourquoi ça vous a surpris ?

je ne sais pas le fait de prendre l’avion...

je pense qu’il est fou, mais bon, c’est vrai que ce n’est pas si loin en fait.

nous n’avons pas les paroles de l’album, mais apparemment trois chansons particulièrement ("memory war", "rebel warior" et "officer xx") ont un vocabulaire guerrier ou militaire...

"memory war" parle d’une guerre de l’esprit, du combat pour découvrir la vérité plutôt que l’histoire racontée.. les paroles disent "the history i teach is the voice of the victim". c’est une guerre psychologique vraiment, il s’agit de trouver comment les choses se sont réellement passées, plutôt que de s’en tenir à ce qu’on vous raconte à l’école. découvrir la vérité peut être considéré comme une guerre parce qu’obtenir des informations exactes peut être particulièrement difficile, plein de choses sont secrètes et ont été effacées ; c’est donc une guerre dans ce sens. "rebel warrior" est basé sur les écrits d’un poète des années 20 qui était un guerrier et qui se battait contre l’occupation britannique au bango occidental. "officer xx" parle de l’affaire steve lawrence en angleterre. vous en avez entendu parler ? bien ! au cours des investigations sur le meurtre de steve lawrence, il y avait des noms de code qui étaient utilisés pour les policiers, parce que leurs noms ne pouvaient pas être révélés au tribunal, et l’un d’eux était "officer xx".

l’engagement politique est très important dans vos chansons...

c’est vrai. ces chansons parlent de choses qui nous tiennent à cœur, et dans lesquelles nous nous impliquons. "officer xx" est une analyse en profondeur de la corruption dans le milieu policier et tout ce que cela implique, vous voyez ce que je veux dire . ca part de l’affaire steve lawrence, autour de laquelle il y a pas mal de publicité maintenant. nous ne sommes pas les seuls à en parler.

de quoi parle la chanson "naxalite" sur l’album précèdent ? est ce l’histoire d’un combattant indien ?

en fait si on a écrit "naxalite" c’est à cause de tout ce truc sur les asiatiques en angleterre, surtout à londres. cette ambiance hippie, exotique, ces touristes... dans "naxalite" on parlait d’autres aspects de l’histoire de l’inde qui n’ont aucun rapport avec cette mode, vous voyez... "naxalite" est le nom qu’on donnait à des groupes de gens lors d’un énorme soulèvement à la fin des années 60 et au début des années 70 au bango occidental. c’est une sorte d’armée de paysans maoïstes, communistes radicaux. c’est ça les naxalites, et en fait ils ont pris le pouvoir dans des grandes parties du territoire. c’est juste un aspect différent de l’histoire de l’inde. et ça parle aussi des raisons pour lesquelles les gens se soulèvent et font partie de groupes de ce genre, donc ce n’est pas juste sur l’inde.

que pensez vous de l’angleterre ? est ce que vous vous sentez anglais ou indien ?

je m’en fous en fait.

vous êtes né en angleterre ?

oui

dans vos chansons vous parlez de la façon dont les immigrants vivent en angleterre. est ce que vous pensez que les choses ont changé depuis que vous avez commencé ?

beaucoup de gens nous ont posé cette question. oui, les choses ont beaucoup changé, symboliquement et culturellement. nous avons maintenant un programme de divertissement asiatique avec des groupes comme nous qui passent, il y a beaucoup de présentatrices des infos à la télé qui sont asiatiques. le problème c’est que le racisme et ce genre de choses ont leurs racines dans l’économie. nous avons une classe pauvre énorme en angleterre actuellement, que l’on avait pas il y a encore 20 ans. et les noirs et les asiatiques sont touchés par ce fléau de façon disproportionnée. le système économique actuel est un mécanisme très raciste, et est resté inchangé parce que les bases de l’économie sont les mêmes. comment dire... si vous vous en tenez aux médias, vous allez voir un groupe comme asian dub foundation gagner un mercury prize, vous allez voir un film comme east is east et ce genre de chose, et vous allez penser que tout est différent maintenant ! c’est vrai, mais seulement dans ce domaine. et ça n’a pas forcément d’impact sur les 30% de population qui vivent sous le seuil de pauvreté. tout dépend de l’angle duquel vous regardez les choses. donc la réponse à votre questions est oui et non, selon d’où vous regardez.

est ce que vous avez vu east is east ?

non, je ne l’ai pas vu. je n’ai pas particulièrement envie de le voir. ca ne m’intéresse pas vraiment. le problème c’est qu’il y a comme une partie de moi qui rejette l’idée que je dois absolument voir tous les films qui ont un rapport avec l’inde. je n’en ai pas envie ! j’ai déjà assez de tout avec asian dub foundation ! pendant mon temps libre, je préfère faire quelque chose d’autre.

sur "concious party" vous avez cité zebda, un groupe français. ils sont aussi très engagés politiquement et ont parfois un problème moral à parler de tout ça en étant partie intégrante du business de la musique. est ce que vous ressentez ce genre de problème avec ces compromis ?

pas du tout parce que pour nous c’est une idée complètement dépassée... mais pourquoi parlez vous de zebda exactement ?

ils ont un fait un énorme carton cet été et...

et vous vous voulez parler du reste... c’est la réponse à votre question...

ils peuvent passer un message grâce à ça...

c’est vrai. donc nous avons répondu à votre question. parce que vous savez le problème avec les années 80, quand les gens disaient qu’ils étaient engagés politiquement, c’est qu’ils se retrouvaient à dire ça devant 10 personnes ou à jouer dans des bars. ce n’est pas bien. il faut communiquer votre message au plus grand nombre de personnes possible, et d’une manière permettant aux gens de l’assimiler. les gens nous disent " mais est ce que vous pensez vraiment que de faire un disque sur satpal ram va changer quelque chose ? ". je réponds : " est ce que vous avez déjà entendu parler de satpal ram avant d’entendre le disque ? non ? alors voilà la réponse à votre question ".

vous avez joué pour amnesty international à paris en 1998. vous avez joué en dernier, après radiohead. beaucoup de gens étaient déjà repartis pour le dernier métro, ils ne restaient que les gens qui voulaient vraiment vous voir. qu’est ce que vous avez pensé du public ?

oui, c’était très bien, vraiment bien. je suis content qu’on ait pu jouer. on est toujours malchanceux dans ce domaine. notre bus était tombé en panne, on était en retard. il n’y pas grand chose à faire dans ce cas-là.

avez vous idée de pourquoi vous avez mieux marché au début en france ?

on a eu le droit de se faire entendre en france, c’est aussi simple que ça. la maison de disques nous a beaucoup soutenu. ils ont fait des campagnes d’affichage, ils ont mis des cd dans les boutiques, ils ont fait de la pub pour les concerts, ils ont essayé de faire passer notre musique à la radio.

cela n’a pas été fait en angleterre ?

non

pour des raisons artistiques ou politiques ?

l’angleterre a des valeurs différentes. l’essentiel n’est pas la musique. ce sont les médias qui font la loi. la musique est là pour les médias plutôt que le contraire. la britpop venait d’exploser à l’époque, et nous sommes clairement l’antithèse de toutes les valeurs de la britpop, donc beaucoup de choses sont passées à la trappe à l’époque. c’est probablement ce qui est arrivé de pire à la musique anglaise.

nous avons en france des groupes, des artistes qui se rassemblent pour défendre une cause. est ce que vous avez l’équivalent en angleterre ?

vous voulez dire des organisations officielles ? pas forcément... primal scream et nous avons été très proches dans la campagne pour satpal ram.

où cela en est à propos de satpal ram ?

il y a une réunion très important lundi prochain entre ses défenseurs et le ministre, qui pourrait avoir le pouvoir de le libérer. on verra bien...

selon vous quelle perception de l’europe a généralement la communauté asiatique ?

je ne sais pas, comment pourrais-je le savoir ? on parle là de millions et millions de gens...

y a t’il une sorte d’unité ?

non, pourquoi faudrait il qu’il y en ait une ? est ce qu’on pourrait en dire autant de la communauté française ? le continent indien est énorme, il y a des langues différentes, c’est une autre échelle, il faudrait comparer cela à l’europe, donc je ne serai pas assez arrogant pour me permettre de dire : " eh bien la communauté asiatique aime ça, fait ça, pense ça... "

pourquoi avez vous accepté d’être sur la b.o.f de the beach ?

on n’avait plus d’argent. la maison de disque nous a mis la pression. c’était notre seul moyen de s’en sortir. et aussi parce qu’on nous a demandé de faire quelque chose qui nous plaisait vraiment, une reprise. c’était facile et amusant à faire en fait, cette chanson "the return of jango". je trouve que musicalement c’est vraiment bien. si on avait su plus tôt ce qui s’est exactement passé en thaïlande autour du tournage, on aurait sûrement changé d’avis, mais on l’a sur trop tard.

et que pensez vous du film ?

j’ai trouvé qu’il y avait de bonnes choses. j’ai aimé le fait que ça critiquait l’image du voyageur. l’image habituelle du voyageur est celle d’un homme qui s’échappe de son monde et qui est meilleur que le monde qu’il a laissé derrière lui. c’est bien d’avoir critiqué ça et de ne pas montrer ça comme une vraie fuite. je trouve que leo di caprio est vraiment nul. il est tellement... c’est une décision si commerciale, c’est de la manipulation de l’avoir pris pour le rôle principal. le film, lui, est correct. il a des bons et des mauvais cotés.

est ce que vous comptez faire d’autres reprises ?

c’est la seule reprise que l’on ait faite pour l’instant. on va peut être faire une nouvelle version d’une chanson de bob dylan, qui devrait être intéressante, pour un autre film qui s’appelle hurricane. ce film là est très bon. je l’ai vu l’autre jour, c’est proche de l’affaire satpal ram. un boxeur noir est en prison pendant 19 ans pour un crime qu’il n’a pas commis. tout le film parle de lui sur le chemin du retour à la vie normale. bob dylan avait fait une chanson pour lui en 1975, qui s’appelait "hurricane". je ne suis pas un grand fan de tout ce qu’il a fait, mais cette chanson est vraiment bien.

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publié par le 02/02/00