Au départ était “Avant Gardener”, un morceau aussi simple que renversant. Elle s’y révélait nonchalante, dans un récital sans chant, pour une rengaine qu’on devinait écrite pour tromper l’ennui. On l’écoutait un peu pour la même raison. Puis elle s’est finalement révélée être plus qu’un simple passe temps. Sa chanson a trotté longtemps, jusqu’à une compilation de ses deux premiers EPs dans laquelle elle décline d’autres morceaux, prenants, pas autant qu’“Avant Gardener”, mais quand même très plaisants.
La première bonne surprise du premier album de Courtney Barnett, c’est qu’elle a exclu les titres des EPs pour nous offrir uniquement des morceaux nouveaux. La deuxième bonne surprise est que c’est un très bon album, qui tient sur la longueur, suffisamment varié pour ne pas tourner court au bout de quelques titres.
La marque de fabrique de Courtney Barnett est dans sa capacité à raconter des histoires sur un format court. Des histoires de trois fois rien. Des anecdotes, des instants de vie, des projections, des songes. Égrainés avec habilité, avec dérision. Des billets d’humeur avec des traits d’humour.
Dès “Elevator operator”, on retrouve ce sens narratif : cette petite histoire désopilante, absurde, construite autour des tracas modernes, des frustrations contemporaines. Les transports, l’allure, le boulot. Courtney narre ses petites histoires avec un chant retenu, à la limite du parler. Sa voix n’est pas exceptionnelle, elle a ce timbre doux et cet accent aussie qui rendent son phrasé unique.
Ses chansons traitent souvent du couple ou de l’autre, du rapport à l’autre, avec une bonne part de doutes sur soi. Sur la rupture, ou la possibilité de cette rupture . Être sur la ligne, sur le fil, au bord de sa relation au monde, à l’autre, à soi. Elle voit le monde façon Sim City comme elle dit, comme elle chante. Les individus comme des fourmis. Mais s’interroge quand même sur ce que Freud dirait de ce qui lui trotte en tête.
Le son de l’album est travaillé sans être aseptisé ; elle y trouve un bon compromis entre la spontanéité du jeu en groupe et la sophistication du studio. A découvrir les morceaux joués live lors de l’excellent festival Les femmes s’en mêlent, on comprend que l’album a été enregistré par le trio dans les conditions d’un concert.
L’autre grande réussite de son album réside dans ces morceaux qui commencent de façon très classique et s’envolent parfois dans un délire sonore quasi jazz. “Pedestrian at Best” fait penser à un grunge apaisé. Une ode à l’amour contrariant ou contrarié . “Give me all your money / and i’ll make origami”. Sur le quatrième morceau, “Small Poppies”, la guitare s’échappe solitaire, nous entraîne dans une progression tortueuse, libre, claire puis chargée. Une des plus belles lignes de guitare qu’on ait entendu depuis plusieurs mois, aussi sensible qu’une échappée solitaire de Nels Cline au sein de Wilco.
Dans les derniers morceaux, le format se débride. Courtney semble se relâcher un peu et s’éloigner de la formule traditionnelle qu’elle utile au début (“Pedestrian At Best”, “Depreston” ou “Aqua Profundi”, petites pop song savoureuses). Elle s’aventure dans des horizons un peu inconnus dans le paysage somme toute très récent et modeste de l’australienne (l’incroyable “Kim’s Caravan” - quasiment le meilleur morceau qu’elle ait joué à Paris lors du festival Les femmes s’en mêlent - ou le final bluesy et électrique façon Chan Marshall “Boxing day blues”).
Elle nous embarque dans son monde dès cette pochette un peu fragile, au fauteuil tordu, avec une place à prendre. Dans notre univers musical, Courtney a trouvé sa sienne. Pas celle de l’artiste a confirmer, du jeune espoir ou de la prochaine grande artiste à surveiller. Une artiste singulière que l’on apprécie pour sa simplicité, son humour et sa capacité à faire des chouettes chansons qui plaisent derechef.