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publié par Mélanie Fazi le 18/09/08
Amanda Palmer
- Who killed Amanda Palmer ?
Who killed Amanda Palmer ?

Attente

Que ce soit pour ce projet solo ou ceux des Dresden Dolls, il faut reconnaître à Amanda Palmer le mérite de savoir créer une attente forte. Il y avait eu d’abord ces titres live alléchants disponibles sur MySpace, notamment une splendide version d’“Ampersand” dont nous avions usé et abusé. Des annonces de plus en plus fréquentes sur son blog, toujours aussi drôle qu’intéressant. Puis cette série de vidéos complémentaires dévoilant les nouvelles chansons l’une après l’autre (l’ensemble, réalisé par Michael Pope et disponible sur YouTube, est de toute beauté). Et enfin cette interview accordée au Cargo en juin 2008 qui nous avait confirmé ce qu’on commençait à pressentir très fort : ça n’allait pas être un petit projet parallèle réservé aux seuls fans et à ranger dans un tiroir après quelques écoutes. Il allait vraiment se passer quelque chose de fort. Impression renforcée dès la découverte d’“Astronaut”, première des chansons dévoilées dans leur version studio. On se rappelle avoir songé, ébahi et admiratif : « Alors c’était donc de ça qu’elle nous parlait ».

Interaction

Comme Amanda Palmer nous l’avait annoncé en interview, on retrouve ici un certain nombre d’éléments familiers. Sa voix grave et inimitable, sa manière de donner vie à ses textes, son sens de l’humour tordu aussi bien que de l’émotion pure, et puis son jeu de piano bien sûr. De cet album, elle nous avait dit qu’il lui ressemblait mais qu’il surprendrait peut-être les fans des Dresden Dolls. Elle nous avait vanté chaleureusement l’apport du producteur Ben Folds et ses « arrangements géniaux » qui transfiguraient ses chansons. Et ce qui frappe en premier lieu, c’est effectivement le son riche et dense de cet album. Il y a là une interaction très différente de celle qui se produit avec Brian Viglione au sein des Dresden Dolls, mais pas moins féconde. Peut-être est-ce l’influence des interviews, mais on ne peut s’empêcher de considérer cet album comme l’enfant de Ben Folds presque autant que celui d’Amanda. Ici, en plus du piano caractéristique, les chansons s’habillent de guitares électriques (“Guitar hero”), de cuivres (“Leeds United”), de chœurs ironiques façon Beach Boys (“Oasis”) ou au contraire sincères et émouvants (“Have to drive”), et surtout de cordes, magnifiquement dosées tout au long du disque. C’est sur “Runs in the family” que l’effet est le plus frappant, soulignant l’incroyable dynamique de la chanson. On pourrait, en schématisant, la décrire comme le “Girl anachronism” de cet album, le moment de folie jouissive qui balaie tout sur son passage et où Amanda Palmer délivre le texte d’un seul souffle. Cette chanson écrite vers la même époque que le “Half Jack” des Dresden Dolls, ce qui se sent nettement, possède d’ailleurs l’un des textes les plus intéressants. On y retrouve cette multiplicité des niveaux de lecture qu’Amanda Palmer manie comme personne. Le trait est forcé, la caricature est drôle - mais au premier degré, la chanson dit des choses très justes sur l’impossibilité d’échapper à sa famille et la tentation de l’accuser de tous nos maux.

Cri libérateur

Who killed Amanda Palmer ? impressionne par sa densité, surtout dans sa première moitié. On se retrouve happé dès les premières notes d’“Astronaut”, ce cri libérateur suivi d’un furieux martèlement de piano. On ne nous laisse plus reprendre notre souffle avant le cinquième titre (“Blake Says”, joli exercice de style bourré de clins d’oeil au Velvet Underground). On est immédiatement saisi par les chansons les plus énergiques, par leur impact, leur quasi perfection, leur façon de nous devenir aussitôt indispensables. “Astronaut” intense et douloureuse, “Guitar hero” aux accents glam rock, les friandises “Runs in the family” et “Leeds United” à déguster sans modération, et de préférence en chantant les paroles à tue-tête. Les chansons plus lentes demandent un peu plus d’attention, exception faite du sublime “Ampersand” dont le lyrisme prend tout de suite aux tripes. Alors on laisse tourner l’album, on s’en imprègne patiemment en se rappelant que certaines des plus belles perles des Dresden Dolls, comme “Delilah”, “The Gardener”, “Boston” ou “Slide”, ne se dévoilaient que progressivement. À mesure qu’on apprend à les connaître, “The point of it all” ou “Have to drive” se révèlent être des splendeurs, imprégnées d’une douce mélancolie.

Signe divin

Au niveau des ambiances autant que des paroles, l’album couvre toute la gamme des talents d’Amanda Palmer. À une extrémité, il y a “Strength through music” qui fait référence, de manière pudique et minimaliste, à la fusillade du lycée Columbine. La chanson se construit autour d’un motif de piano répétitif et s’ouvre sur l’intrigant monologue d’un homme qui croit voir un signe divin dans la forme de deux branches cassées. Une émotion fragile naît du dépouillement, de la suggestion et de ce « tick, tick, tick » murmuré tout du long qui annonce le drame imminent - jusqu’à ce « boom » final prononcé dans un souffle. À l’autre bout du spectre, le gros délire d’“Oasis”, la chanson la plus drôle de l’album, où Amanda Palmer prend la voix désabusée d’une ado qui se retrouve enceinte suite à un viol lors d’une soirée arrosée, se brouille avec sa meilleure amie après l’avortement, mais qui s’en contrefout depuis qu’elle a reçu une photo dédicacée d’Oasis. Tout l’effet repose sur le contraste entre les faits sinistres et la mélodie guillerette. L’album confirme d’ailleurs, si besoin était, qu’on tient là l’une des parolières les plus passionnantes du moment. Les textes sont toujours aussi fouillés, parfois énigmatiques (“Leeds United”), parfois capables de nous toucher en plein cœur tant ils font écho à des choses personnelles (“Another year”). On noue avec certaines chansons le lien particulier qui nous unit à celles qui nous font dire j’ai déjà connu ça - mais personne ne l’avait formulé aussi bien. L’album est parsemé de formules particulièrement bien trouvées qui sous-entendent beaucoup en peu de mots : « Who needs love when there’s Dukes of Hazzard » (“Leeds United”), « I’m not gonna live my life on one side of an ampersand » (“Ampersand”). Il est beaucoup question de solitude et d’enfermement, de relations difficiles et de ces failles trop humaines qui nous rendent la vie dure.

Derrière le maquillage

Si cet album délaisse le côté théâtral souvent associé à la musique des Dresden Dolls, on y retrouve l’évidente sincérité qui en fait partie intégrante : derrière le maquillage, les costumes et les jeux, il y a deux artistes qui ne trichent jamais. S’il s’en éloigne au niveau des sonorités, ce projet solo d’Amanda Palmer en est le parfait prolongement. Elle se donne toujours tout entière, et sans doute la clé de sa musique réside-t-elle là. On ne peut rien créer qui possède une telle force et produise un tel impact sur les auditeurs en faisant les choses à moitié. Ce très bel album en est une preuve supplémentaire.

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publié par le 18/09/08
Derniers commentaires
Alexandra - le 18/09/08 à 19:51
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Je suis d’accord avec cette review à 100% et c’est même mettre les mots qu’il me manquait pour décrire les sensations liées à la puissance et la grandiosité de cet album, je suis epoustouflée !!!!