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publié par Mélanie Fazi le 03/11/12
Amanda Palmer - La Maroquinerie, Paris - 03/11/2012
La Maroquinerie, Paris

L’info était tombée sur Twitter dans l’après-midi : Amanda Palmer avait hésité à annuler son concert suite à une extinction de voix, mais avait décidé de le maintenir. Venant d’autres artistes, on aurait craint le pire. Mais on s’était surpris à sourire en se rappelant l’extraordinaire concert de la Boule noire en 2008 qu’elle avait assuré avec une jambe dans le plâtre. Il y a des gens que les contraintes rendent encore plus créatifs, et l’on connaît assez Amanda Palmer et son public pour s’attendre à un concert hors norme dans ces conditions.

Pancartes

Après une première partie assurée par Jherek Bischoff, membre de son groupe le Grand Theft Orchestra, Amanda apparaît vêtue d’un kimono gris, le visage impassible, brandissant des pancartes qu’elle fait défiler à la Bob Dylan dans « Don’t look back ». « Bonsoir, je m’appelle Amanda Fucking Palmer et j’ai perdu ma voix. Putain. » (En français dans le texte.) Tout est dit en quelques mots : ça ne va pas être simple, mais elle est prête à relever le défi et compte sur nous pour l’y aider. Après avoir cédé la place à une autre première partie, elle revient en costume de scène, casquette et bustier, au son de l’instrumental « A grand theft intermission », et présente les assistants qui l’aideront à faire défiler les paroles façon karaoké sur d’autres pancartes qu’ils jettent ensuite dans la foule. Le tout début est hésitant : la faute au choix de la première chanson, « The killing type », au texte difficile à mémoriser et trop rapide à chanter. Mais le public s’y prête de bonne grâce, conscient que le concert en dépend. Sur « Missed me », où sa voix peine effectivement à suivre, elle contourne la difficulté en transformant le spectacle en jeu de chaises musicales mâtiné de pantomime : tous s’immobilisent quelques secondes à la fin de chaque couplet avant de se précipiter vers une nouvelle place.

D’autres publics, pour d’autres artistes, se seraient sans doute vite lassés (« Heureusement que je ne suis pas Céline Dion », ironise-t-elle d’ailleurs). Mais ce qui frappe toujours dans les concerts d’Amanda Palmer, c’est l’incroyable connivence qui l’unit à ses fans. Ils ne connaissent pas forcément les textes, ne savent pas forcément chanter, mais puisqu’elle demande leur aide, ils sont prêts à essayer. Tout le monde se lâche sur les refrains les plus faciles, avec une assurance croissante. À ce stade, le concert frôle le n’importe quoi, mais tous savent que le moment est particulier et l’expérience intéressante. Il y a même quelque chose de touchant à sentir l’empressement de la foule à jouer le jeu. On sait déjà que le concert ira à son terme et que ce ne sera pas un fiasco. On fait confiance à Amanda pour apporter le reste.

Se laisser porter

Après avoir congédié ses musiciens, elle demande des volontaires pour venir chanter sur scène à sa place. Deux jeunes filles se proposent tour à tour. La première interprète « Sing » tandis qu’Amanda mime les paroles, et l’écho qui se crée alors entre le texte de la chanson, adresse directe au public, et la singularité du moment fait venir les larmes aux yeux. « You motherfuckers, you’ll sing someday », reprend le public en chœur sur la fin. La seconde, étudiante américaine, interprète une très jolie version de « In my mind ».

Alors qu’Amanda commence à retrouver un peu sa voix, elle rappelle sur scène ses musiciens et ramène le concert sur des rails plus classiques. La voix peine aux entournures sur « The bed song », mais la version est belle ; elle se noie en revanche dans le volume sonore de « Grown man cry ». Pendant « Bottomfeeder », elle va se placer à l’avant de la scène, reste immobile quelques secondes, puis se laisse lentement tomber dans la foule sans cesser de chanter, suivie d’un très long voile que le public prend grand soin de ne pas laisser s’accrocher n’importe où. Elle ne regagnera la scène qu’à la fin de la chanson. Avec le recul, le moment apparaît comme emblématique de la confiance mutuelle qui règne au long de la soirée. Se laisser porter par le public, parce que c’est la seule solution, et compter sur lui pour ne pas la lâcher. Sur la toute fin, le concert atteint une intensité inouïe le temps d’un « Leeds United » d’anthologie dont tous crient le refrain à pleins poumons. Lorsqu’on se retourne pour la regarder traverser le public, on voit derrière soi la salle tout entière bondir sur place. Et c’est tout juste si l’on ne se retrouve pas soi-même aphone d’avoir hurlé et chanté avec la foule.

Au centuple

On aura pensé plus d’une fois, au cours de ce concert, à certaines critiques adressées à Amanda Palmer depuis le financement de son album par ses fans via Kickstarter. On peut en comprendre quelques-unes ; que certains voient une part de calcul dans son discours et sa manière d’affirmer sa démarche, passe encore, et peut-être est-ce en partie le cas. Mais à ceux qui l’accusent d’exploiter ses fans ou de leur demander la charité, on ne peut que conseiller de se trouver ne serait-ce qu’une fois au cœur de ce public-là et de partager ce moment. Il faut l’avoir vécu pour le comprendre, mais c’était l’évidence même ce soir encore : ce qu’Amanda Palmer demande à ses fans, elle le leur rend au centuple. Peu d’artistes à l’heure actuelle sont capables d’égaler sur scène sa folie comme sa générosité.

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publié par le 03/11/12
Derniers commentaires
- le 04/11/12 à 17:17
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Magnifique article, merci.

Michel - le 05/11/12 à 17:08
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Ayant fait partie des privilégiés présents ce soir-là à la Maroquinerie, j’approuve bien fort. A.P. s’est montrée dans l’épreuve une artiste généreuse et débordant d’imagination. Les deux heures du concert furent un cadeau (2 heures, c’est rare à la Maroquinerie).
Vivement mars 2013 et La cigale !

Mélanie Fazi - le 05/11/12 à 20:51

Vivement la Cigale, oui !
Et deux heures de la part d’une artiste dont on n’était pas sûrs au départ qu’elle puisse tenir une chanson en entier, c’est d’autant plus impressionnant.
Merci pour vos commentaires !

Minimotte1 - le 06/11/12 à 01:32
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Super article ! Je fais partie des volontaires qui ont aidé à faire ces pancartes ! Deux heures avant le concert... c’était épique ! Amanda est très très très créative, c’est le moins que l’on puisse dire... et en plus de cela, elle met la main à la patte ! Juste avant d’aller se préparer pour entrer en scène, elle faisait ces pancartes avec nous. Et non, elle n’exploite pas ses fans ! On l’aide, et elle nous le rend bien, ça c’est sure ! (et ça commence par une bière offerte, hehe !). Nous avons pu assisté au concert depuis les loges, avec ses deux assistants/amis, qui sont, soit dit en passant, ADORABLE ! Après cela, malgré son état (bronchite), elle nous a reçu dans sa loge pour nous remercier, donc des bisous, des câlins, des photos etc etc bref, tout le monde est content. Et en prime, un T shirt offert ! Et pour les musiciens français qui ont joué avec elle ce soir là, j’étais dans les loges, et je peux vous dire qu’ils ont été payé contrairement à ce que peut affirmer un journal américain bien connu...CALOMNIES ! En résumé, le concert le plus fantastiquement bizarre !

Mélanie Fazi - le 06/11/12 à 12:28

Merci pour ce retour, qui confirme mes impressions sur cette soirée vraiment pas ordinaire. J’ai beaucoup aimé aussi la façon dont le public s’est ensuite approprié ces pancartes (comme beaucoup de gens, j’en ai emporté une, tirée de "Smile").

Minimotte1 - le 07/11/12 à 02:21
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Oui j’ai remarqué ! En tout il y avait 400 feuilles format raisin, coupées en deux, donc 800, on a du en faire 400/500 faute de temps, et quand je suis repassé dans la salle après le concert il n’en restait que quelques dizaines à terre^^ Tu peux considérer cette pancarte de Smile comme un autographe, c’est Amanda qui a préparer celle-ci, après elle est partie se préparer ^^
Ps : C’était moi aussi qui lançait les paroles en français, et...je suis désolée si quelques personnes ont été décapitées ou blessées par ces feuilles jetées comme des frizzbees dans la précipitation ! Sans rancune j’espère :3

Mélanie Fazi - le 08/11/12 à 13:54

On s’est effectivement pris quelques pancartes sur la figure mais ça a plutôt amusé tout le monde, pas de souci. ;) Vu la rapidité de certains passages, ça ne devait pas être facile. Merci en tout cas d’avoir contribué au bon déroulement du concert !