accueil > articles > albums > Hrsta

publié par arnaud le 21/06/05
Hrsta
- Stem Stem In Electro
Stem Stem In Electro

Créativité Communautaire

Il y a d’abord eu ce nom, énigmatique, imprononçable pour le non-initié, puis un disque tout aussi intrigant, sans aucune mention au recto, montrant juste une jeune femme perdue dans ses pensées dans un dégradé de mauve. Voilà comment hrsta (prononcez eur-chta) avait déboulé sur nos platines fin 2001 avec un magnifique premier album au titre évocateur, L’éclat du ciel était insoutenable, qui faisait la part belle aux ambiances, installant ses chansons au gré des plages instrumentales, compositions hallucinées empruntes d’un certain psychédélisme à la croisée du folk et du post rock. C’est avec une impatience non feinte que l’on attendait la suite du projet de Michael Moya, ex-guitariste au sein de la formation tentaculaire Godspeed You Black Emperor !, que l’on avait juste entraperçu aux côtés de la canadienne Elizabeth Anka Vajagic lors de l’excellent Constellation Roadshow du printemps 2004. C’est justement au sein de l’intransigeante écurie montréalaise qu’hrsta refait surface avec un Stem Stem In Electro de haute voltige qui apporte encore la preuve que la communauté artistique de la ville est définitivement l’une des plus riches d’Amérique du Nord. Après avoir entre autres reçu les renforts d’une partie de Molasses sur sa précédente production (un juste retour d’ascenseur puisque Moya a collaboré sur plusieurs albums du groupe de Scott Chernoff), c’est autour d’un lineup constitué des deux Hangedup, des violonistes Beckie Foon (A Silver Mt. Zion, Esmerine) et Sophie Trudeau (Godspeed ou A Silver Mt. Zion parmi d’autres) et de Harris Newman à la basse (auteur de deux albums de folk experimental lorgnant dans la direction de John Fahey, et surtout responsable du mastering de la quasi totalité des disques parus au catalogue Constellation) que le bonhomme choisit de construire ses nouvelles compositions.

Répétition Incantatoire

Le décor est planté dès l’ouverture du disque sur ...And We Climb, les éléments se mettant en place au fur et à mesure, pour partir dans une lente montée hypnotique, transe de cordes malmenées, de guitares répétitives, Dans sa construction, cette introduction résume parfaitement Stem Stem In Electro et l’univers de Hrsta en général, lequel semble marqué par le caractère répétitif des motifs de guitares, tissant des morceaux qui rompent avec le format pop couplet/refrain/couplet, et se concentrant plus sur l’émotion pure créée par la voix ou les ambiances qui l’enveloppent (en ce sens il semble se rapprocher de Molasses, avec un côté folk-americana moins prononcé) La répétition est même présente dans les voix du chœur, constitué de Moya et de son trio à cordes féminin, qui psalmodient une incantation : « we climb to the light ». Ces quatre là avaient déjà construit ce genre d’ambiances inquiétantes - mais sans jamais utiliser les voix dans l’expérimentation - sur les albums de Set Fire To Flames. On retrouve d’ailleurs par moments cet étrange mélange de field recordings, boucles, larsens et cordes dissonantes au gré de l’album, plus précisément sur l’instrumental Heaven Is Yours, parenthèse qui étouffe plus qu’elle ne permet la pause, moment de claustrophobie ultime, ou sur Quelque chose à propos des raquetteurs, morceau plus serein, comme si on se laissait porter d’une tension à l’autre, de cordes grinçantes en boucles de guitares claires, sorte d’interlude pour flotter sur le fil de l’eau en attendant les chutes.

Voix fragile

Au delà de l’instrumentation, Hrsta parvient à construire des ambiances en se reposant aussi sur son talent vocal, et là où L’éclat du ciel était insoutenable paraissait brumeux à souhait, utilisant la voix de Michael par touches, créant un halo de clarté, Stem Stem In Electro, se fait plus sombre et bien moins diffus. Moya, androgyne et sensuel, touche droit au coeur, sait apporter suffisamment de fragilité aux chansons pour les sublimer, et cette fois-ci sa présence monopolise bien plus l’attention de l’auditeur. Sur la ballade dépressive Blood On The Sun par exemple (même si elle est placée en arrière des instruments), sa voix prend des accents dramatiques qui rappellent Elizabeth Anka Vajagic, l’emphase en moins, mais une noirceur partagée, des univers qui semblent concomitants, une direction commune (impression confirmée au fil des sorties respectives des deux artistes, en témoigne le récent Nostalgia/Pain ep de la demoiselle) On ressent chez l’un et l’autre la même tension à peine dissimulée, celle qui sur Folkways Orange se fait discrète pour finalement filtrer à travers les instruments : dans la manière d’attaquer les cordes de guitares, ou derrière cette basse qui rebondit, à peine calmée par un orgue flottant. Et même dans les moments les plus calmes, sur Gently Gently, (chanson qui semble faire écho aux Silver Planes du premier album) on pense encore à l’artiste québécoise, comme s’il s’agissait d’une réponse à Iceland, morceau central de son premier album sorti l’an dernier : même sens de l’apesanteur, malgré un avantage certain dans l’interprétation plus nuancée de Moya.

Catastrophe imposante

Stem Stem In Electro, à l’image de L’éclat du ciel était insoutenable, pourrait prendre l’allure d’un monolithe à l’accès difficile. Il n’en est rien. Car cette fois-ci une pièce semble se détacher du lot et imposer son ombre gigantesque à l’album, le rendant aussi plus immédiat, voire accessible. Swallow’s Tail et son riff de guitare imparable s’étirent sur près de huit minutes d’émotion, tour à tour en dedans, plein de retenue sur les couplets, pour ensuite se lancer dans une véritable explosion épique sur les refrains. Encore une fois la répétition joue ici un rôle clef, agissant comme un véritable révélateur de l’angoisse qui parcourt le morceau de bout en bout : sur l’introduction tout d’abord, avec ce bruit aigu qui vient déranger l’oreille de peur qu’elle ne s’habitue trop facilement au thème principal ; dans les couplets ensuite, avec cette basse qui marque le temps de façon métronomique, comme les battements d’un cœur ; sur les refrains enfin avec ces guitares chaotiques qui glissent autour de la mélodie principale. L’ambiance n’est pas sans rappeler celles que savent construire Godspeed You Black Emperor !, sauf qu’ici la voix joue un rôle déterminant. Sur des nappes de guitares jouées au tournevis, à peine troublées par des cordes lointaines, Moya chuchote plus que ne chante (avec comme sur Folkways Orange des voix dédoublées du meilleur effet !), hante les couplets pour ne laisser que les instruments parler sur les refrains. La tension en est décuplée, on sent l’orage prêt à éclater à tous moments comme si l’hirondelle dont il est question dans le titre semblait annoncer une catastrophe imminente. Coïncidence ou non, on peut se demander si le titre de la chanson ne fait pas référence au dernier tableau de Dali (La Queue d’aronde, The Swallow’s Tail en anglais) qui était censé augurer un cycle consacré aux catastrophes... La tension ne semble retomber qu’au cours du dernier morceau de l’album, Une Infinité de trous en forme d’hommes, instrumental doux-amer, traînant son spleen sur un lit de cordes qui semblent enfin trouver l’apaisement dans un final au chœur glorieux qui n’est pas sans rappeler la musique des rockers finlandais de Magyar Posse. Stem Stem In Electro est un album riche, inquiétant, fragile et sensuel, qui devrait ravir autant les amateurs de post-rock cinématographique que les fans de folk aventureux, tant il sait mêler à merveille les ambiances et les mots.

Partager :

publié par le 21/06/05
Informations

Sortie : 2005
Label : Constellation

Pour le même artiste