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publié par Mélanie Fazi le 18/11/15
Arlt - Divan du Monde, Paris - 17/11/2015
Divan du Monde, Paris

Bien sûr on l’attendait, ce concert-là, on s’accrochait à cette idée comme à une bouée dans le chaos de ces derniers jours. Parce qu’indépendamment de ses qualités propres, le contexte le rendait particulier. Le premier concert d’après, quatre jours à peine après l’inimaginable, après avoir appris en sortant d’une salle de spectacle quelles atrocités venaient de se commettre dans une autre. Alors le premier, oui, on s’y accrochait. Et ce, d’autant plus fort que ce serait celui-là, parce qu’en des temps moins perturbés, on est souvent sortis des concerts d’Arlt avec un grand sourire aux lèvres. C’est à eux ce soir d’endosser la lourde et belle responsabilité d’essayer de nous emmener ailleurs.

Être présents

Et puis les portes du Divan du Monde s’ouvrent comme avant, on est un peu étonnés de se trouver là, de partager une bière avec les amis, de les serrer dans nos bras, d’être là tout simplement, plus ou moins concernés, plus ou moins cabossés, mais présents et vivants, avec une soif de musique et de partage plus grande que jamais. Et puis, au terme de la première partie hypnotique assurée par Sourdure, ses boucles, son violon et ses chansons hors d’âge, voilà les quatre silhouettes familières qui montent sur la scène et entonnent « Nue comme la main », le titre le plus solaire de Deableries. Sing Sing et Eloïse Decazes au milieu de la scène comme toujours, Mocke et sa guitare à gauche, Thomas Bonvalet et son indescriptible attirail sur la droite – configuration nouvelle, car on n’avait jamais connu les deux premiers qu’accompagnés de l’un ou l’autre des seconds, jamais tous à la fois.

Les premières minutes sont irréelles, bien sûr. Le reste est encore là, on y pense tout le temps, comme un rouage qui ne tourne pas rond au fond de notre cerveau. Alors on se concentre sur des détails. La gestuelle de Mocke sur les cordes de sa guitare, les sourires chaleureux d’Eloïse Decazes comme autant de rayons de soleil, la silhouette robuste et terrienne de Sing Sing, les mimiques habitées de Thomas Bonvalet faisant naître dissonances et claquements d’instruments plus ou moins probables. Quelques « merci » fusent du public. Les applaudissements prennent ce soir, dès le départ, un poids particulier.

Force de vie

« Je vais passer la soirée à vous dire merci comme une buse », ironise Sing Sing entre deux morceaux. Mais il restera, tout du long, moins disert qu’à l’ordinaire. Présent à la musique, qu’il incarne avec la même force tranquille que toujours, mais plus en retrait lorsque sa guitare se tait. On le sent, à certains moments, profondément ému, peut-être de plus en plus à mesure que le concert avance. À ses côtés, Eloïse paraît curieusement plus radieuse que jamais, force de vie, étincelle de joie, comme un lutin espiègle qui se déplace davantage que d’habitude, danse entre les maracas et les marteaux semés sur la scène. Quelque chose se dénoue soudainement lors d’une version endiablée de « La Rouille » ponctuée par les claquements de doigts énergiques d’Eloïse, peut-être parce que c’est la première chanson qui soit plus ancienne que le répertoire de Deableries, une amie de plus longue date, ou parce qu’elle est plus enjouée aussi. On se retrouve soi-même à chanter les paroles comme un mantra bienfaisant.

Le concert semble s’emballer à partir de là. La dynamique de cette formation à quatre fonctionne à la perfection ; une tension nouvelle s’installe lorsque Mocke et Thomas Bonvalet se lancent dans des duels soniques qui donnent un relief nouveau aux morceaux, sur la fin de « La Rhubarbe » ou celle de « Pièges à loups » qui s’emporte pour ralentir ensuite et mieux nous happer. Vers la fin du concert, Sing Sing et sa guitare descendent dans la fosse le temps de trois morceaux, et une dynamique nouvelle s’installe alors, au croisement de deux axes contraires : l’un parallèle à la scène, formé par Mocke et Thomas Bonvalet ; l’autre transversal, reliant Sing Sing qui danse parmi les gens, comme pris d’une transe hagarde, et Eloïse qui investit toute la scène, chante sur deux micros à la fois et nous communique ses grands sourires, sa lumière bienveillante et contagieuse. On se tourne vers l’un, vers l’autre, tour à tour, on fredonne ce « Château d’eau », ce « Tu m’as encore crevé un cheval » qu’on n’a jamais été si heureux d’entendre jouer sur une scène. On est là, ils sont là, quelque chose passe qui va au-delà des mots, un besoin de partage assouvi, un moment d’apaisement.

Pour la beauté du geste

Le rappel sera bref, l’émotion est palpable des deux côtés de la scène, les cris et les applaudissements montent du fond des tripes. Ils ont été à la hauteur, tous les quatre, ô combien ; on s’éloigne de la scène avec un sourire jusqu’aux oreilles. On s’attarde un peu pour les remercier sans forcément trouver les mots, et ces « merci »-là ne sont ni rituels, ni politesses de forme, mais peut-être les plus chargés de sens qu’on ait jamais prononcés au terme d’un concert. Les gens se serrent longuement dans les bras les uns des autres, Eloïse distribue les hugs à la chaîne, on se rappelle y être retourné deux fois, trois fois, six fois, pour répéter des remerciements qui ne perdaient jamais de leur sens, comme on dit aux gens qu’on les aime quand on a eu si peur de ne plus les revoir. On mesure avec le recul le cran qu’il a pu leur falloir pour remonter sur cette scène-là, on les admire d’autant plus pour la beauté du geste et du partage, pour l’étincelle qu’ils ont réveillée en nous.

Il s’est passé ce soir, dans l’enceinte du Divan du Monde, quelque chose de rare et de précieux. La musique ne peut pas guérir tous les maux, mais elle peut aider à mieux panser ses plaies. Ce qui aurait pu être dérisoire dans un tel contexte nous devient plus que jamais essentiel. Alors on reprend le clavier, tant bien que mal, pour fixer un souvenir de ces choses-là, pour ajouter un merci à la litanie de ceux déjà prononcés de vive voix. Un geste infime de gratitude pour la flamme qui a brillé ce soir.

PS : Un grand merci à Matthieu Dufour, de l’excellent blog Pop, Cultures & Cie, pour la photo.

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publié par le 18/11/15